En 2015, la Belgique pensait renflouer son budget en taxant davantage le vin et les spiritueux. Dix ans plus tard, les chiffres démontrent que le calcul politique s’est transformé en contre-performance économique. Explications.
En novembre 2015, dans le cadre du tax shift, le gouvernement belge avait décidé d’augmenter les taux d’accises sur le vin et les spiritueux de respectivement 31 % et 41 %. L’objectif de cette mesure était de générer entre 220 et 227 millions d’euros supplémentaires par an entre 2016 et 2020 grâce aux boissons alcoolisées afin de soutenir le budget déjà sous pression à l’époque.
Le paradoxe fiscal : hausse des taxes, baisse des recettes
Dix ans plus tard, le bilan que dresse Vinum Et Spiritus, la fédération du secteur, est interpelant. Au cours des premières années qui ont suivi l’augmentation des taux d’accises, les recettes fiscales ont augmenté. Mais, elles sont restées en deçà des prévisions, qui tablaient sur un supplément de 220 à 227 millions d’euros par an. À cela s’est ajoutée une perte de recettes de TVA, celles-ci s’étant déplacées vers les pays voisins.
Au final, les recettes fiscales issues des accises, loin d’avoir explosé, ont reculé, selon les données du SPF Finances. Depuis 2022, après le pic du Covid-19, la tendance à la baisse des ventes de boissons alcoolisées en Belgique s’est poursuivie, passant même sous le niveau de 2015. Fin 2024, les recettes des accises atteignaient 740,14 millions d’euros, soit 38 millions de moins qu’en 2015. La tendance s’est encore aggravée en 2025. Fin septembre, les recettes fiscales étaient inférieures de 14,5 millions d’euros à celles de l’année précédente.
La perte réelle pour le Trésor belge ne se limite pas seulement à une baisse des recettes provenant des accises et de la TVA, elle va bien au-delà, stipule le bilan de Vinum Et Spiritus. L’impact se fait également sentir sur les recettes provenant de l’impôt sur les sociétés, des retenues à la source et même des cotisations sociales.

Le grand déplacement de la consommation
Le cœur du problème réside dans la fuite massive des consommateurs belges vers l’étranger. Et, notamment dans les supermarchés transfrontaliers pour s’approvisionner en vins et autres spiritueux, révèle la fédération. Les écarts de prix – parfois importants – entre la Belgique et ses voisins ont provoqué un véritable exode. Un consommateur payait avant le tax shift 13,72 € pour une bouteille de vodka moyenne, alors que cette même bouteille coûte aujourd’hui 16,49 € en Belgique. Une augmentation d’environ 20 % perceptible tant pour le consommateur que pour le producteur. Au Luxembourg, cette même bouteille coûte actuellement 8,15 €.

La bouteille de vodka à moitié prix
Les magasins frontaliers en France, au Luxembourg et en Allemagne profitent pleinement de cette mesure. Les consommateurs belges se rendent en masse dans les pays voisins, où les taux d’accises et de TVA sur les boissons alcoolisées et d’autres produits sont nettement inférieurs. Selon les chiffres de la fédération de l’industrie alimentaire Fevia, les Belges ont dépensé pas moins de 745 millions d’euros dans les supermarchés des pays voisins en 2024, dont 40 % pour des boissons. Le volume de spiritueux achetés à l’étranger a triplé depuis 2015, celui des vins mousseux a doublé. La valeur totale du volume d’alcool acheté par les Belges dans les pays voisins est en hausse constante depuis 2015. En 2024, elle a augmenté de 36,56 millions d’euros par rapport à 2015, soit une hausse de 58 %.
Cette bascule s’accompagne d’une perte sèche pour les finances publiques. TVA, impôt des sociétés, cotisations sociales… tout suit la même trajectoire vers l’étranger.
L’effet domino sur le tissu économique
Derrière les chiffres se cache un autre perdant : le producteur belge. En dix ans, la part de spiritueux produits localement a chuté de 15,2 % à 8,3 %. Les marges des distilleries et négociants se sont effondrées, étranglées par une “lasagne fiscale” qui les rend moins compétitifs que leurs voisins français ou luxembourgeois. Cela pèse aussi sur l’emploi : les enseignes frontalières, dopées par la clientèle belge, recrutent. Les distilleries belges, elles, rationalisent.
Les producteurs belges fragilisés
La hausse des accises a creusé un désavantage fiscal pour les producteurs et commerçants belges, fragilisant tout un secteur. Selon les rapports annuels de l’IWSR ((International Wine & Spirits Research), la part des spiritueux produits localement dans le volume total des ventes de spiritueux en Belgique affiche une tendance à la baisse constante. En 2014, 15,2 % des spiritueux vendus en Belgique et au Luxembourg étaient produits localement. En 2024, ce chiffre n’était plus que de 8,3 %, soit une baisse de 45,4 %. Ce recul se traduit par une perte de revenus, d’emplois et d’investissements pour les acteurs locaux, étouffés par une fiscalité moins favorable que chez leurs voisins.
“Tirer les leçons du passé”
« Dix ans plus tard, la situation semble étrangement familière : pression sur le budget, nouveaux calculs et recherche d’équilibres budgétaires », avance la fédération Vinum Et Spiritus. « La question de savoir si les responsables politiques tireront cette fois-ci les leçons du passé sera déterminante pour l’avenir du secteur, les consommateurs belges et les recettes publiques belges », conlut-elle.