Le secteur des titres sociaux ne comprend pas la potentielle suppression des écochèques par l’Arizona
Le secteur des titres sociaux (chèques-repas, écochèques, etc.) s’est fortement développé ces dernières années. Vu la taxation sur le travail, notre pays est le champion européen en la matière. Alors que l’Arizona envisage la suppression des écochèques, l’occasion était belle de faire le point sur un secteur très digitalisé et qui se diversifie fortement.
Le secteur des titres sociaux (chèques-repas, écochèques, chèques sport et culture, chèques citoyens, etc.) est en constante évolution en Belgique. Le titre-repas (sa dénomination exacte) a été instauré en 1965 et est devenu exclusivement électronique depuis le 1er janvier 2016. Pour donner une idée de cette folle croissance, il représentait 166 millions d’euros en 1985, 749 millions d’euros en 2000 et 1,725 milliard d’euros en 2010. De nos jours, plus de trois milliards d’euros de titres-repas sont émis par an, ainsi que 380 millions d’euros d’écochèques et 10 millions d’euros de chèques sport et culture.
Il est admis que deux tiers des salariés bénéficient de chèques-repas et quasiment la moitié d’écochèques. Depuis le printemps de cette année, les fonctionnaires fédéraux, via le SPF Bosa qui soutient les institutions fédérales, entre autres, dans le domaine des RH, ont accès à des chèques-repas. Un marché qui a été remporté par Pluxee. L’ancien Sodexo BRS est l’un des trois acteurs actifs dans le secteur en Belgique.
En 2010, précurseur d’un mouvement qui est devenu aujourd’hui une mode dans le monde économique, le groupe Accor s’est divisé et s’est séparé d’Accor Services, la branche qui gérait, entre autres, le Ticket Restaurant. Rebaptisée Edenred, cette branche est entrée en Bourse en juillet de la même année. Treize années plus tard, Sodexo a fait de même avec Sodexo BRS (Benefits and Rewards Services) en 2023. Appelée désormais Pluxee, elle a fait ses débuts en Belgique à l’automne de la même année. Quant à l’entrée en Bourse et la séparation officielle, elle a été actée en février dernier.
“Avec Sodexo, nous étions frère et sœur, nous sommes désormais cousins, sourit Sven Marinus. Cette séparation est logique puisque nos activités sont tellement différentes. Elles nécessitent des stratégies et des politiques d’investissement tout aussi différentes. La séparation nous permet de devenir un acteur spécifique et innovant et permet une plus grande valorisation de nos activités tant pour nos clients que pour nos actionnaires.”
En Belgique, les deux entités étaient entremêlées dans leur siège social commun à La Plaine, à Ixelles, avec une certaine confusion à la clé. Le déménagement vers l’immeuble Aria, un magnifique bâtiment Art déco nouvellement rénové et situé à un jet de pierre de la gare Centrale de Bruxelles, a permis d’entériner une séparation physique.
“Nous avons chacun un étage et nos systèmes informatiques sont désormais différents, poursuit Sven Marinus. Seul le rez-de-chaussée avec l’accueil et une salle de réunion que nous partageons sont encore partiellement communs. Nous n’avons d’ailleurs pas aménagé nos étages de la même façon ni avec la même société. Chez Pluxee, nous sommes plus nombreux et avons perdu 64% de notre superficie de bureaux. J’aurais voulu plus d’espace à la base mais Partena Professional avait déjà réservé les étages supérieurs. Il a donc fallu se montrer très créatifs pour répondre à nos besoins et aux nouvelles façons de travailler. Sans oublier les services qui n’existent que depuis peu comme le data management ou le customer experience. J’ai voulu créer un espace de collaboration pour briser les derniers silos. Au bout d’un an, je constate que les gens d’horizons différents se croisent et se parlent à nouveau. Les multiples espaces (cabines téléphoniques, salles de réunion de taille et d’aménagements variés, petits paysagers, cuisine et coin café centraux, espaces bien-être, etc., ndlr) de notre étage épousent aussi notre organisation en pods. Ceux-ci sont des équipes collaboratives et transversales organisées autour d’un client ou d’un consommateur spécifique. Il y en a 15 en tout. Les membres de ces pods restent attachés à leur département de base mais sont spécialisés dans un domaine précis et se réunissent quand c’est nécessaire. On y trouve tous les profils qui interviennent dans la gestion de ce client. Par exemple, pour les marchands, nous avons un pod spécialisé dans les grands comptes comme Delhaize ou Colruyt et un autre dédié aux petites structures comme des boulangeries. En mettant le client au centre de ces pods, Pluxee répond mieux à ses besoins et améliore sa satisfaction. Je constate que cette organisation transversale dope notre capacité d’innovation.”
Les deux autres sont Edenred et Monizze. Le premier est le leader belge en termes de chèques et 1,9 million de ses cartes sont en circulation en Belgique. Pluxee se trouve juste derrière mais remporte la palme si on y ajoute les titres-services dont il a remporté le marché auprès des trois Régions du pays. À titre d’exemple, en 2023, le secteur des titres-services a engendré un chiffre d’affaires de 3,557 millions d’euros pour 128 millions d’heures prestées.
Enfin, Monizze, le petit acteur disruptif créé en 2011, dispose du plus grand nombre d’entreprises clientes : elles sont quasiment 60.000 aujourd’hui. En 2023, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 27,3 millions d’euros et assure chaque année une croissance entre 10 et 15%.
Impact durable des écochèques
Les trois entreprises sont fédérées au sein de VIA (Voucher Issuers Association) qui, outre du soutien sous diverses formes, défend et représente les membres auprès des différentes autorités et lors d’événements. VIA est actuellement placée sous la présidence de Jean-Louis Van Houwe, le fondateur et CEO de Monizze. Ces derniers temps, le secteur s’inquiète de la potentielle suppression des écochèques qui se trouve dans la super-note de Bart De Wever et sur la table des négociations de l’Arizona. Une mesure que personne ne comprend.
“Supprimer les écochèques, ce n’est pas une bonne nouvelle pour nous, explique Sven Marinus, le CEO de Pluxee Belgique et Luxembourg. Mais l’impact réel toucherait de nombreux autres intervenants. Tout d’abord les marchands. Pour certains, cela représente entre 5 et 10% du chiffre d’affaires annuel. Les écochèques garantissent des dépenses en Belgique et, même si les chèques ne dépassent pas 250 euros, les consommateurs ajoutent souvent eux-mêmes la différence. Ensuite, les salariés. Remplacer les écochèques par des chèques-repas à la valeur faciale plus élevée ? Mais quasiment une moitié des salariés qui reçoivent ces écochèques n’ont pas droit à des chèques-repas ! La société va aussi y perdre. Selon l’audit de CO2Logic (un consultant belge spécialisé et respecté, ndlr), 1 euro dépensé via un écochèque permet d’économiser 1 kg de CO2. Toutes les études démontrent que les écochèques induisent un comportement d’achat durable auprès de plus de la moitié des bénéficiaires. Enfin, l’État va y perdre. La suppression va indéniablement pousser les consommateurs vers d’autres lieux de commerce, dont des étrangers. Avec une baisse de recettes de TVA à la clé.”
L’impact réel de la suppression des écochèques toucherait de nombreux intervenants. – Sven Marinus
VIA n’a évidemment pas été consulté avant que cette mesure ne soit inscrite à l’agenda de l’Arizona. Mais depuis, la fédération a fait jouer ses relais pour exposer aux différents partis ce qui est vraiment en jeu.
“Il ne faut pas casser ce cercle vertueux, s’exclame Jean-Louis Van Houwe. Chaque euro payé en écochèques est investi dans l’économie belge avec un impact clair sur la durabilité. C’est l’exemple parfait d’un outil qui a un impact sur l’environnement et l’économie et que l’Europe nous envie. Et on veut le supprimer ? Je ne comprends vraiment pas ! On se plaint des achats transfrontaliers et d’avoir raté le train de l’e-commerce mais avec cette suppression, le futur gouvernement va, au moins partiellement, faire le jeu des uns et de l’autre. À l’occasion du récent ‘week-end du client’, un bourgmestre m’a encore confirmé que ces écochèques sont un élément essentiel pour maintenir le petit commerce et les centres-villes en vie.”
Chaque euro payé en écochèques est investi dans l’économie belge avec un impact clair sur la durabilité. – Jean-Louis Van Houwe
Engagement
À côté de la gestion des différents chèques offerts par les entreprises à leur salariés, les trois entreprises du secteur ont entamé, chacune, une diversification stratégique. Dans un milieu très concurrentiel, c’est une façon de fidéliser ses clients mais aussi d’en attirer d’autres. Chez Edenred, on a d’abord dit adieu à Ticket Restaurant, la marque historique et iconique. Une décision qui pouvait surprendre.
“Ce fut une question de branding et de reconnaissance, confie Olivier Bouquet, managing director d’Edenred Belgique & Luxembourg. Après la digitalisation réussie, il fallait se repositionner et la Belgique a été choisie pour conduire un projet-pilote. Plus de clarté était nécessaire. La marque était forte mais ne mentionnait pas Edenred. Nous proposons nos services, et nous sommes les seuls en Belgique, en quatre langues. Et pour les néerlandophones et les germanophones, Ticket Restaurant ne voulait pas dire grand-chose. Désormais, tout est décliné de façon plus simple : Edenred Repas, Edenred Meal, Edenred Maaltijd, Edenred Cadeau, etc.”
Cet automne, Edenred s’est engagée résolument dans les ressources humaines en lançant Edenred Engagement, une plateforme digitale qui comporte quatre modules : communication (un espace interactif pour stimuler la communication interne), reconnaissance (feedback et appréciation), bien-être (contenu varié sur la nutrition, le sommeil, etc.) et avantages qui permettent d’avoir des réductions sur un nombre important de produits.
“C’est une proposition de valeur qui change la donne, poursuit Olivier Bouquet. Le lancement d’Edenred Engagement a été accompagné de la publication d’une étude portant sur 5.500 salariés belges où l’on apprend, entre autres, que seuls 49% trouvent que leur entreprise en fait assez pour promouvoir le bien-être au travail. Edenred Engagement questionne le salarié, à côté des réductions que nous proposons depuis 2019, autour du bien-être au travail dans sa notion large. Ce bien-être, vous le savez, est, de nos jours, crucial dans les RH dans l’optique du vieillissement de nos actifs, de la guerre des talents et du besoin de se former de façon continue. Cette plateforme découle du rachat par le groupe de Reward Gateway, une entreprise focalisée sur l’engagement et leader aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. Une fois de plus, la Belgique a servi de pionnier pour le groupe Edenred et nous avons beaucoup travaillé pour adapter la plateforme de Reward Gateway à la culture belge. Nous avons lancé tous les modules de la plateforme. La France nous a suivi avec une partie seulement et l’Italie le fera en janvier. Pour la suite, je vais regarder si nous allons proposer nous-mêmes d’autres services liés au bien-être ou si nous allons autoriser des parties tierces spécialisées à se greffer sur notre plateforme.”
Les PME dans le viseur
Chez Pluxee, on rappelle que l’engagement fort en termes de durabilité lui donne un solide avantage sur ses concurrents lors des appels d’offres. L’entreprise vise le net zéro en 2035 mais dispose déjà du label Ecovadis Gold et du label GEEIS (Gender Equality European & International Standard) qui récompense les entreprises pour les initiatives favorisant l’équilibre entre vies professionnelle et personnelle, ainsi que la création d’une culture d’égalité à tous les niveaux. Elle a choisi de se diversifier récemment dans la mobilité.
La suppression de la marque Ticket Restaurant fut une question de branding et de reconnaissance. – Olivier Bouquet
“Dans le nom Pluxee, les deux ‘e’ signifient employee engagement, explique Sven Marinus. Le stimuler chez nos clients est notre raison d’être et donc la moindre des choses, c’est que nous soyons nous-mêmes très engagés sur le sujet avec nos propres employés. Ce label GEEIS en est l’un des aspects. Quant à la nouvelle appli sur la mobilité, nous l’avons testée nous-mêmes à l’occasion de notre déménagement avant de la proposer à nos clients. Avant, 64% de nos employés se rendaient au travail en voiture. Aujourd’hui, ils sont moins de 15% à le faire encore et souvent partiellement. Nonante-quatre pour cent ont opté, vu notre situation bruxelloise centrale, pour les transports en commun. Cette appli liée à une carte permet aux employés de payer leurs frais de mobilité, de se faire rembourser les kilomètres effectués en vélo et de gérer le budget qui leur est octroyé. Elle permet aux départements RH de gérer facilement la mobilité de leurs employés et de disposer de toutes les données afférentes.”
Les trois entreprises du secteur ont fait des PME, leur cœur de cible. Et pour cause, vu le tissu économique belge, elles constituent de solides relais de croissance mais elles ont longtemps été à la traîne dans le domaine. Monizze y occupe une place de choix.
“Depuis le début de nos activités en 2011, les clients des différents chèques ont changé, souligne Jean-Louis Van Houwe. Ce n’est plus une pyramide inversée avec les grandes entreprises largement majoritaires mais une véritable pyramide. La digitalisation a permis l’accessibilité du système aux PME puisqu’elle a simplifié la gestion des chèques. Monizze s’est résolument engagée sur ce terrain-là, sans perdre de vue les grands comptes. KBC (18.000 employés) et Colruyt (28.000) sont aussi nos clients. Mon objectif, outre d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés, a toujours été de permettre aux PME de jouer d’égal à égal avec les grandes entreprises en termes d’avantages salariaux. Ne pas proposer de chèques-repas ne facilite pas le recrutement… Nous avons lancé une IA qui permet aux PME d’y voir plus clair dans la législation, parfois très compliquée, des avantages extralégaux. Tous les supports digitaux que nous mettons au point visent à permettre aux petites entreprises de ne pas être disqualifiées. Notamment pour offrir facilement des perks, ces bénéfices octroyés aux salariés : plan cafétéria, budget mobilité, PC, smartphone, etc. L’idée est de leur faciliter la vie et de trouver les bons partenaires. C’est le même esprit qui nous habite quand nous réalisons des intégrations poussées avec les secrétariats sociaux, les comptables, les applis de gestion du temps et des absences. Nous sommes une fintech et une HRtech. Nous mettons nos talents aux services de nos clients. Parfois sans que le consommateur final ne se rende compte qu’il utilise un produit Monizze. Je n’ai pas l’obsession de pousser la marque. C’est pour cela que nous sommes les seuls à être intégrés dans les applis de KBC, Belfius et BNP Paribas Fortis. Pour moi, ce qui compte, c’est être dans le cœur du client et être obsédé par sa satisfaction. C’est comme cela que l’on réussit !”
380 millions – En euros, valeur des écochèques émis chaque année
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