Le saut d’index, une mesure hautement polémique

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Dans son accord de gouvernement, la coalition composée de la N-VA, du MR, du CD&V et de l’Open VLD annonce “un saut d’index en 2015”. Dans l’air depuis des années, la mesure est hautement polémique. Mais de quoi s’agit-il précisément?

L’indexation automatique des salaires a été créée en 1920 pour préserver le pouvoir d’achat de la population. Moteur de croissance pour les uns, frein à la compétitivité pour les autres, ses effets sur l’économie sont controversés, même parmi les économistes. Ce mécanisme dépend de l’évolution des prix d’un panier de biens et services censé représenter la consommation des ménages. Ce panier ne comprend toutefois pas l’alcool, ni le tabac, l’essence et le diesel. L’indexation des salaires se base sur l’indice santé plutôt que sur l’indice des prix à la consommation.

En pratique, le lien entre l’indice santé et les salaires dépend des secteurs. Dans le secteur public, les salaires sont augmentés de 2% une fois que la moyenne des indices santé des quatre derniers mois dépasse une valeur appelée l’indice-pivot. Dans le secteur privé, le moment où les salaires sont indexés est négocié et défini par conventions collectives de travail. L’indexation s’applique également aux allocations sociales (pensions, chômage, allocations familiales, etc.), selon le même procédé que pour les salaires de la fonction publique.

Dans son accord, le gouvernement Michel prévoit un saut d’index en 2015, ce qui signifie que les traitements ne seront pas adaptés au coût de la vie cette année-là. La mesure n’est pas inédite: dans les années 80, le gouvernement Martens-Gol l’avait imposée à trois reprises. Mais cette fois, elle sera “corrigée socialement”, promet le gouvernement. Celui-ci assure en effet sa “neutralisation” pour les petites pensions, les allocataires sociaux et d’autres catégories de la population qui restent à déterminer.

D’après les calculs du PTB, ce saut d’index représentera une perte de 34.000 euros bruts sur 20 années de carrière pour un couple de travailleurs dont l’un gagne 2.800 euros bruts par mois et l’autre 2.400. Si elle n’a lieu qu’une fois, la mesure a un impact tout au long de la carrière. De son côté, le gouvernement insiste sur “la perte de compétitivité des entreprises belges vis-à-vis des principaux pays voisins (Allemagne, Pays-Bas, France)”. Il considère le saut d’index comme l’un des moyens de résorber le handicap salarial de la Belgique et, partant, de relancer l’économie.

Bernard Jurion, économiste de l’ULg, approuve le choix du nouvel exécutif. “Nos coûts salariaux sont supérieurs par rapport aux pays voisins. L’indexation pose problème mais aussi les charges sociales, notamment. Le gouvernement doit donc agir sur ces facteurs.” La réduction des coûts salariaux lui semble d’autant plus importante que la Belgique est une économie fortement ouverte. “Ce qui compte pour nous, c’est l’aptitude à vendre à l’étranger.”

Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCL et membre de l’Itinera Institute, partage ce point de vue. “Face à l’inflation, ce sont surtout les petits revenus qui trinquent. L’indexation, qui s’applique de manière uniforme, protège moins les ménages aux faibles revenus, qui ont une structure de consommation différente: les dépenses en matière d’énergie ou de santé sont beaucoup plus importantes pour eux, par exemple. Le gouvernement a annoncé qu’il redistribuerait vers les bas revenus le milliard économisé grâce au saut d’index. On sur-indexe les plus pauvres et on sous-indexe les autres, en quelque sorte. C’est bon pour la relance”, estime le chercheur. Il relève que l’argent équivalent à l’indexation est davantage dépensé par les ménages les plus pauvres que par ceux aisés, qui préfèrent épargner.

Ilan Tojerow, professeur d’économie publique à l’ULB, se montre plus circonspect. “A ma connaissance, aucun papier n’a jamais montré de lien de cause à effet entre l’indexation automatique des salaires et un problème de compétitivité de la Belgique”, affirme-t-il. “Je me demande aussi si cela a du sens de parler de coûts sans tenir compte de la productivité. Si nous n’avions que des ingénieurs, les coûts salariaux augmenteraient mais la productivité aussi! ” Enfin, le chercheur relève que le saut d’index “sous-entend que le problème de compétitivité se pose de manière identique dans tous les secteurs. Or, si ce problème existe, c’est surtout dans les secteurs exportateurs. D’autant plus que, d’après des études de la BNB (Banque nationale de Belgique, ndlr), nos entreprises ne fixent pas les prix elles-mêmes puisque nous sommes une économie ouverte. Ce seraient surtout le type de produit et les pays vers lesquels nous exportons qui expliqueraient le manque de performance.” Ilan Tojerow craint dès lors que le saut d’index “réserve de mauvaises surprises”. Ce qui est sûr, conclut-il, “c’est que, à court terme, c’est de l’argent qui ne sera pas dépensé dans l’économie”.

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