Carte blanche
Le mercantilisme chinois fait partie du passé
La profonde modification de la stratégie commerciale chinoise va grandement nous affecter.
En 1978, Deng Xiao Ping le pragmatique (peu importe la couleur du chat, du moment qu’il attrape les souris) instaure une économie de marché, emmêlée avec Le Parti qui la régule, mais s’ouvrant au monde, et où les sociétés privées et mixtes, en concurrence et cotées en bourse font croître le produit national de plus de 10% l’an. Les exportations croissent bien plus vite encore sur base de coûts salariaux 20 fois inférieurs à ceux des occidentaux. Les excédents de balance commerciale s’amplifient auxquels correspondent des avoirs extérieurs croissant, c’est à dire des bons du trésor américain et des fonds d’Etat européens.
Cette politique mercantiliste se justifiait pour créer des emplois industriels au sein d’une population gigantesque disponible, mais aussi pour faire du yuan une monnaie forte, bientôt une monnaie clef, dans la perspective de surpasser la puissance économique américaine et le dollar. En attendant, les Chinois prenaient des parts de marché dans les produits de bas de gamme, ensuite à plus grande valeur ajoutée. Ils captaient de la haute technologie en partenariat avec des sociétés occidentales, évinçaient des concurrents d’Europe et d’Amérique qui se désindustrialisaient et pâtissaient de délocalisations.
Les paramètres ont changé
Désormais, les paramètre ont changé. La monnaie chinoise s’est appréciée, les salaires ont tant augmenté qu’ils ne sont plus que 60% inférieurs à ceux des occidentaux. Ceux-ci se rebiffent devant leurs déficits commerciaux et la délocalisation de fabricants jugés stratégiques (médicament, puces électroniques, masques, iPhone, …) augmentent leurs tarifs douaniers et la protection de leurs brevets. Et surtout les taux d’intérêt réels sont devenus négatifs et les cours des obligations occidentales sont à leur plus haut historique. A quoi bon encore produire plus que l’on dépense et prêter encore aux États occidentaux dans ces conditions à la veille d’une remontée des taux d’inflation et d’intérêt ? La Chine a mieux à faire que d’accumuler du papier d’Etat et s’en défait grâce, oh miracle, aux achats de la Banque centrale européenne et de la Réserve fédérale américaine
Stratégie inversée
La Chine inverse la stratégie du commerce international. Mieux vaut produire pour son marché intérieur et son équipement, par exemple édifier des centaines de centrales nucléaires (il y en a autant par tête d’habitant qu’en France). Mieux vaut ne céder que des produits au plus haut prix et importer des produits de haute technologie au prix le plus bas grâce à l’appréciation de sa monnaie. Tel devrait être le but du commerce extérieur, non pas accumuler de l’or ou des devises. La Chine en a déjà tant accumulé qu’elle peut en revendre et supporter des déficits de balance courante des paiements. Elle envahit l’Afrique. Elle achète des concessions minières et des matières premières (lithium, terres rares, cobalt, cuivre etc.) qu’elle stocke chez elle et dont les prix libellés en dollars ont déjà monté de près de 40% depuis un an, tout comme le pétrole dont le cours a triplé.
Les Chinois réduiront leurs prêts aux pays occidentaux. Ils ont détenu plus de la moitié des bons du trésor américain. Depuis que la pandémie sévit les déficits et dettes publiques ont explosé. Qui donc achètera leurs emprunts massifs ? Pas les épargnants qui thésaurisent temporairement en dépôts bancaires. Aussi rationnels que les Chinois, ils ne voudront pas s’appauvrir à tout va et consommeront.
Chaque 1er avril, l’Etat belge annoncera l’émission d’une obligation perpétuelle à coupon zéro, exempte de droits de succession. Les Belges en riront sauf des nonagénaires innocents qui rêveront d’y souscrire. Leurs banques y seront obligées par le régulateur étatique et la Banque centrale européenne au motif que ce serait soit disant sans risque !!! Les banques peuvent emprunter aux banques centrales à -0,5%, de quoi prêter aux états à +0.5% à des échéances un peu plus longues. Le phénomène est le même pour les compagnies d’assurances et les fonds de pension suite aux contraintes de l’Union européenne (Solvency II), qui limitent fortement ces institutions d’investir en actions, le seul actif résilient et porteur de croissance. Mais cela ne suffira plus et les banques centrales sous pression des gouvernements actionneront encore la planche à billets. Elles ne pourront néanmoins pas acheter toutes les dettes publiques ; elles devront arrêter leur monétisation quand l’inflation des prix se sera accélérée. Cela nous promet des hausses de taux d’intérêt et probablement d’impôts qui compliqueront la réadaptation à une vie économique normale.
Retour de l’inflation
Les facteurs d’inflation se renforcent. En automne la pandémie aura été jugulée et comme après toute les guerres, la demande privée (consommation, investissement, stock) rebondira.
Au même moment, les 1900 milliards de dollars de Joe Biden et les 750 milliards d’euros distribué par l’Union européenne, tous empruntés, vont se déverser à contretemps.
Déjà les prix des matières premières ont augmenté de 57% en euros depuis un an. Voilà bien un indicateur précurseur.
Certains biens, soit importés de Chine et grevés de droit de douane, soit produits à nouveau en Occident , renchériront aussi.
L’excès de demande et sans doute aussi des revendication sociales et salariales, typiques à l’issue d’épreuves qui les ont contenues, provoquera une flambée inflationniste.
La suite dans un an…
Alain Siaens, économiste et ancien patron de la Banque Degroof
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