Le livre belge entre le marteau de la politique en faillite et l’enclume des poids lourds français
Les éditeurs belges crient à l’aide en pleine campagne “Lisez-vous le belge!”. Le budget en crise de la Fédération Wallonie-Bruxelles et les concentrations en France mettent le secteur sous pression.
Une rencontre fort attendue pour le secteur du livre belge a lieu ce mercredi 22 novembre au cabinet de la ministre francophone de la Culture, Bénédicte Linard (Ecolo). Elle fait suite à un courrier envoyé le 9 novembre dernier à la ministre, ainsi qu’au ministre-président Pierre-Yves Jeholet (MR) et à son collègue du Budget, Frédéric Daerden (PS), en ces termes: “Nous avons pris connaissance de l’avant-projet de décret-programme et souhaitons vous faire part de l’extrême préoccupation de notre secteur des Lettres et du Livre, et de l’incompréhension dans laquelle ce projet nous plonge”.
“Absence total de refinancement”
A l’heure où les éditeurs belges veulent susciter l’intérêt des lecteurs, avec la quatrième campagne intitulée ‘Lisez-vous le belge?”, des nuages budgétaires obscurcissent le ciel. “La filière du secteur livre est à bout de souffle !, clament les représentants du PILEn (Partenariat interprofessionnel du Livre et de l’Édition numérique), en compagnie de tous les acteurs du secteur, en dénonçant “l’absence totale de refinancement du secteur Lettres et Livres, dont le budget ne dépasse pas 4,5 millions d’euros”. Le montant pour 2024 ne serait même pas indexé.
“Les montants alloués aux programmes de lettres et livres ne représentent déjà aujourd’hui que 0,4 % de l’ensemble des budgets culturels alloués, précisent-ils. Malgré la forte inflation des années précédentes, le secteur n’a reçu aucune augmentation, pendant que, et même si nous nous en réjouissons pour eux, les Arts de la scène engrangent 35 millions d’euros supplémentaires (ils passent de 110 millions d’euros à 145 millions d’euros). Pour une filière du livre reconnue comme essentielle durant la crise sanitaire, il semble que tout ce que ce secteur porte n’a plus d’importance.”
Le tout survient alors que la Fédération Wallonie-Bruxelles connaît une situation budgétaire extrême préoccupante, d’autant plus qu’elle ne dispose d’aucune capacité fiscale.
Il s’agit autant d’une question économique que philosophique, insiste pourtant le secteur. Qui met l’accent sur le contexte difficile du moment: “Les données les plus récentes font état du tassement des activités commerciales en librairie en raison de la sortie du Covid, notamment en littérature et BD, mais rien n’est prévu pour soutenir le secteur des lettres et du livre et ses acteurs, pour tenter d’en prévenir la crise qui aura des effets sur l’emploi et la diversité des créations”. A cela s’ajoute l’impact de la réforme des droits d’auteurs, décriée, décidée par le gouvernement fédéral.
Poids lourds français
Un double contexte plus large se greffe à cette inquiétude belgo-belge. D’une part, le marché du livre a tendance à se fracturer de plus en plus entre gros vendeurs et auteurs dont les publications n’obtiennent qu’une marque polie d’intérêt. D’autre part, les grandes manoeuvres dans le secteur du livre en France suscite l’inquiétude quant à une accélération du phénomène avec le rachat du numéro un Hachette par Vivendi et la reprise d’Editis par l’homme d’affaires tchèque Daniel Kretinsky.
L’auteur belge Vincent Engel, par ailleurs administrateur indépendant de la RTBF, a décidé de reprendre les droits de ses textes publiés en France et de fonder une petite maison d’édition, Edern. “Le constat est amer et largement partagé par mes collègues du secteur éditorial : le monde du livre est à la dérive, justifie-t-il. Le modèle actuel conforte le monopole de l’édition parisienne, asphyxie les autres éditeurs et constitue un scandale économique, écologique et littéraire.”
Un acteur du secteur nous confiait récemment toute la difficulté pour les éditeurs belges de compter sur le soutien des libraires, un autre secteur à bout de souffle, pour grandir. L’heure est au dynamisme audacieux et aux bouts de ficelles pour convaincre les lecteurs en se passant, parfois, des intermédiaires. Mais cela est davantage le fruit d’un esprit d’entrepreneur ultra-flexible que d’une politique réfléchir.
La question se pose: pendant combien de temps pourra-t-on encore lire belge?
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