Le gouvernement n’a pas les outils statistiques pour aider la classe moyenne: “On ne peut pas prendre de telles mesures à l’aveugle”
Le gouvernement cherche à aider la classe moyenne. Bien. Mais dans les faits, il ne sait pas dire aujourd’hui combien de ménages, par exemple, gagnent plus de 50 .000 euros, note l’économiste Philippe Defeyt.
Pour aider la population aux prises avec la crise énergétique, le gouvernement fédéral veut aider la classe moyenne. Mais dans les faits, on est dans le brouillard, car notre appareil statistique ne donne pas, pour l’instant, une image précise des revenus des ménages, observe l’économiste Philippe Defeyt de l’Institut du développement durable. “Depuis de nombreuses années en Belgique, on connaît bien les pauvres”, dit-il. “On sait qui par exemple bénéficie du tarif BIM (les “bénéficiaires de l’intervention majorée” qui obtiennent de meilleurs remboursements des soins de santé et des médicaments.) Mais pour le reste de la population, on est dans le flou”.
Mais que connaît-on ?
Philippe Defeyt: On connaît le nombre de ménages tout court. Je peux dire qu’il y a cinq millions de ménages en Belgique aujourd’hui. On sait donc que si on aide les ménages du 3e au 8e décile (le 3e décile est le salaire en dessous duquel se situent 30% des salaires, le 8e décile est le salaire en dessous duquel se situe 80% des salaires, NDLR), on aide six dixièmes des ménages, donc 3 millions. Vous multipliez par le forfait, vous avez le coût budgétaire. Mais vous ne pouvez pas savoir si vous aidez des ménages qui gagnent jusqu’à 30.000 euros ou jusqu’à 60.000 euros. Et si vous voulez aider les ménages qui gagnent jusqu’à 60.000 euros par an, vous ne savez pas dire combien de ménages sont concernés !
C’est un problème ?
Oui, parce que pour des problématiques comme le covid ou l’énergie, il faut travailler à partir des ménages. Et c’est là qu’intervient la difficulté. Les statistiques fiscales distinguent les ménages qui font une déclaration commune (cohabitants légaux et mariés). Pour ceux-là, pas de soucis. Mais les déclarations individuelles peuvent être le fait d’une personne vraiment seule, mais aussi d’une personne qui vit avec quelqu’un d’autre qui lui-même a rentré une déclaration séparée.
Nous n’avons donc pas, pour ces ménages de fait, de statistiques de revenus ?
Non. Si nous voulons, par exemple doubler le seul d’accès au tarif social, personne ne peut dire combien de ménages sont concernés. Et si inversement nous voulons aider, comme c’est, je crois, l’idée actuellement sur la table, les ménages du 3e au 8e décile, on ne peut pas dire quel est le revenu imposable de ce 8e décile.
Car je le répète, on ne sait pas combien de déclarations fiscales individuelles correspondent à des personnes vivant en ménage Or pour le tarif social ce sont les revenus imposables du ménage qui sont pris en considération. En plus, pour être équitable, il faudrait connaître les revenus cadastraux de chaque ménage… Pour accéder au tarif social, on tient compte des revenus cadastraux (moyennant une exonération). Mais dans les déclarations fiscales aujourd’hui, vous avez les revenus autres que ceux de votre propre habitation. Si on veut être équitable, il faudrait pouvoir tenir compte du revenu cadastral de votre propre habitation.
On ne sait pas réaliser d’estimation budgétaire si on décide par exemple d’aider les ménages jusqu’à 50.000 euros de revenu imposable. Au niveau politique, il me paraît être le strict minimum de savoir si on veut aider les gens jusqu’au 8e décile, si on aide des gens qui ont 30.000 ou 60.000 euros de revenus imposables.
Que faudrait-il faire ?
En résumé, il faudrait donc coupler trois bases de données : le registre de la population, les déclarations fiscales et le revenu cadastral des habitations propres. Et réunir ces données par ménages.
Et il n’y aura pas de RGPD (le règlement européen qui protège les données individuelles, NDLR) qui entrerait considération, car ce que l’on demande ce ne sont pas des listes individuelles, mais des statistiques.
Je ne crie pas au scandale d’état, mais je demande si on peut prendre aujourd’hui des décisions sans connaître la distribution des revenus imposables par ménages !
C’est simple à faire ?
Oui, c’est simple à réaliser, mais il faut le faire. Si le gouvernement veut aider les ménages, qu’il ait au moins une petite connaissance de la répartition des revenus par ménages. On ne peut pas prendre de telles mesures comme cela, à l’aveugle.
Cela a déjà été le cas par le passé ?
Le problème en Belgique est lancinant. Nous avons des exemples. Quand la Région wallonne a décidé de modifier le système d’aide pour les emprunts hypothécaires, elle l’a fait sur des statistiques mal interprétées, n’ayant pas conscience que la distribution des statistiques fiscales sur lesquelles elle s’était basée mélangeait des isolés, des cohabitants de fait faisant des déclarations séparées et des couples mariés et cohabitants légaux faisant des déclarations communes. C’est affolant.
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