Le gouffre budgétaire belge se creuse encore, même après l’accord d’été 

Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Le gouvernement De Wever utilise des moyens lourds, avec un malus sur les pensions et une limitation dans le temps des allocations de chômage, pour combler le trou dans le budget. Pourtant, le déficit budgétaire continue de croître, atteignant même 6,5 % en 2030.

Lors de la présentation nocturne de l’accord d’été, le Premier ministre Bart De Wever (N-VA) n’a pas craint les grandes déclarations. « C’est la plus grande réforme du siècle » et « du jamais vu ». « Cette réforme est l’une des plus grandes de la décennie. Nous devons remonter aux gouvernements de Wilfried Martens ou de Jean-Luc Dehaene pour trouver un tel paquet de mesures», selon le professeur d’économie Erik Buyst (KU Leuven). « Reste à voir si ces mesures seront appliquées sur le terrain, mais les intentions sont là et bien plus importantes que d’ordinaire. On est face à un exploit potentiel. » 

Des mesures comme le malus sur les pensions et la limitation dans le temps des allocations de chômage peuvent être qualifiées de révolutionnaires selon les normes belges. L’importante économie réalisée sur les coûts de fonctionnement du gouvernement est aussi notable. « Mais selon les normes européennes, c’est une politique parfaitement normale. Il n’y a d’ailleurs pas d’alternative. Sans cette politique, la Belgique serait tôt ou tard contrainte par des forces externes à prendre des mesures encore plus douloureuses », déclare Erik Buyst. 

Un tournant dans la politique budgétaire

Cet accord rend possible un tournant dans la politique budgétaire. Il réduit les coûts de fonctionnement de l’État et stabilise les dépenses sociales autour de 26 % du PIB, ce qui est, au regard du vieillissement de la population, un tour de force. Exprimées en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), les dépenses des administrations publiques diminueront à partir de 2026, malgré l’augmentation des charges d’intérêts et des dépenses de défense. Sous le gouvernement De Croo, les dépenses sociales ont encore augmenté de 1,5 point de pourcentage du PIB. « La stabilisation des allocations sociales à la suite de la nouvelle politique contraste fortement avec les projections précédentes », constate le Bureau du Plan. 

La baisse relative des dépenses publiques est un revirement historique, car les dépenses ont systématiquement augmenté plus vite que le PIB au cours des dernières décennies. Cette année encore, les dépenses atteignent un niveau historiquement élevé de 55,7 % du PIB, faisant déraper davantage le déficit budgétaire à 5,4 % du PIB. Une augmentation encore plus importante deviendrait impayable. D’ici 2030, les dépenses publiques devraient diminuer à 55 % du PIB, prévoit le Bureau du Plan. Cette baisse est donc indispensable, mais reste limitée. En 2029, l’État dépensera encore une part plus importante du PIB qu’en 2024. 

La détérioration du budget se poursuit

Et pourtant, la détérioration du budget se poursuit. D’ici 2030, le Bureau du Plan prévoit un déficit budgétaire de 6,5 % du PIB, à partir du déficit de 5,4 % de cette année (voir tableau un budget de plus en plus plombé). On peut aussi voir les choses autrement : sans politique de réforme et d’économies, le déficit budgétaire serait encore bien plus élevé, allant vers 8 % et plus. De tels chiffres seraient impossibles à vendre à l’Europe et aux marchés financiers. Mais soit, pour la première fois depuis des décennies, cette nouvelle dérive n’est pas due à une hausse excessive des dépenses sociales. Reste la question : Mais alors à quoi est-ce dû ? 

1. Sans changement de politique, le déficit augmente automatiquement 

Établir un budget en période de vieillissement démographique est une tâche particulièrement ingrate. Si l’on ne fait rien, les chiffres continuent de sombrer dans le rouge. Cela signifie qu’un gouvernement doit déjà effectuer de lourdes économies rien que pour stabiliser le déficit. La différence entre une politique inchangée et un déficit budgétaire de 1,5 % – un impératif à long terme pour remettre les finances publiques sur les rails – est d’environ 6 % du PIB, soit environ 35 milliards d’euros. Avec des dépenses supplémentaires pour la défense et la transition climatique, l’effort budgétaire requis atteint même 50 milliards d’euros, selon les calculs de la Banque centrale européenne. 

Des scénarios historiques peu reproductibles

Cet effort est historiquement important. La mère de toutes les opérations d’assainissement belge reste la politique d’économies sous les gouvernements Martens dans les années 1980. Pendant six ans, un effort de plus de 1 % du PIB a été fourni. Dans les années 1990, les gouvernements Dehaene ont assaini pendant six ans à raison de 0,7 % du PIB pour préparer la Belgique à l’entrée dans l’euro. Cela a été possible grâce à une hausse des impôts et à une baisse des charges d’intérêts. Aucun des deux scénarios n’est aujourd’hui reproductible. Après la crise de la dette en Europe, les gouvernements Di Rupo et Michel ont réduit le déficit budgétaire pendant sept ans à raison de 0,2 point de pourcentage par an, bien que leurs politiques soient très différentes. 

Aujourd’hui, un solide ajustement budgétaire est à nouveau nécessaire : pendant sept ans, une amélioration de 0,5 point de pourcentage par an est requise. Cela semble faisable, mais l’effort réel est plus grand, car le déficit budgétaire augmente de lui-même en l’absence de changement. Le gouvernement De Wever accomplit une partie de cette tâche, mais elle ne pourra jamais être entièrement réalisée en une seule législature. Le soutien des entités fédérées est souhaitable, mais peu probable. Le mieux qu’elles puissent offrir, c’est sans doute de stabiliser leurs propres déficits. 

La réforme des pensions

La réforme des pensions en particulier permet, surtout à long terme, des économies considérables. Elle réduit les coûts du vieillissement entre 2024 et 2070 de 1,8 point de pourcentage du PIB, selon la Comité d’Etude sur le Vieillissement. Au lieu d’une hausse de 3,5 points de pourcentage du PIB, les coûts du vieillissement n’augmenteraient que de 1,7 point d’ici 2070. Ainsi, la Belgique se situe dans la moyenne. Entre 2022 et 2070, les coûts du vieillissement augmentent en moyenne de 1,4 point de pourcentage dans l’Union européenne. 

La suppression des régimes de retraite avantageux (0,6 point), l’introduction d’un malus sur les pensions (0,4 point) et la suspension temporaire de l’enveloppe Adaptations au bien-être des pensions (0,3 point) réduisent les coûts liés au vieillissement. Attention, les dépenses pour le vieillissement augmentent toujours, mais plus lentement grâce à ces réformes. Les prochains gouvernements remercieront cette coalition. « C’est très peu belge qu’un gouvernement ose des réformes dont ce sont surtout les gouvernements suivants qui récolteront les fruits », dit Erik Buyst. 

Chaque exercice budgétaire risque d’être accompagné de négociations nocturnes difficiles

Les coûts du vieillissement culminent cependant vers 2050 à 27,6 % du PIB. Les dépenses de pensions se stabilisent quelque peu, mais les dépenses de soins de santé continuent d’augmenter et maintiennent la pression budgétaire élevée – d’ici 2050, le nombre de personnes de plus de 75 ans augmentera de près de 75 %, ce qui fera inévitablement grimper le budget des soins.

Jusqu’en 2050, chaque exercice budgétaire risque d’être accompagné de négociations nocturnes difficiles. Ce n’est pas que la situation s’améliore rapidement après 2050. Entre 2050 et 2070, les coûts du vieillissement n’augmentent plus, mais c’est tout ce que l’on peut en dire. Le gouvernement De Wever est prisonnier de cette réalité. Les réformes sont historiques selon les normes belges, mais elles ne suffisent qu’à freiner la hausse des dépenses sociales. Elles ne suffisent pas à réduire le déficit budgétaire. 

2. Des dépenses accrues pour la défense 

Alors que les dépenses sociales se stabilisent pour la première fois depuis longtemps, le gouvernement reçoit une nouvelle facture pour la défense. Dès cette année, les dépenses de défense sont portées à 2 % du PIB, soit le pourcentage demandé par l’OTAN. Le gouvernement précédent avait déjà fourni un effort similaire de 0,6 % du PIB pour augmenter le budget de la défense. Les prochaines années, le budget restera à 2 % du PIB, comparable au niveau historiquement élevé de la fin des années 1980. Une éventuelle hausse supplémentaire, vers 3 % ou plus, ne sera envisagée qu’en 2029. 

L’Europe ferme pour l’instant les yeux sur ces dépenses de défense plus élevées. Les investissements dans les munitions, les chars ou les frégates peuvent temporairement rester en dehors du budget. De cette manière, la Belgique pourra respecter les règles budgétaires européennes les prochaines années. Jusqu’en 2028, les dépenses publiques belges augmentent un peu moins rapidement que ce que prévoit l’Europe, pour remettre le budget sur les rails. Il s’agit de la hausse nette des dépenses, en tenant aussi compte de l’évolution des recettes. Une hausse des impôts permet par exemple une augmentation des dépenses sans enfreindre la norme de dépenses. 

À partir de 2029, les dépenses nettes risquent à nouveau d’augmenter nettement plus que ce que l’Europe autorise. Cela vient du fait que les dépenses supplémentaires pour la défense seront alors comptabilisées dans le budget et que les réductions d’impôts prévues entreront pleinement en vigueur. Pour l’Europe, cette baisse d’impôts est, selon les règles budgétaires actuelles, un chèque en blanc. Il est possible qu’elle cache une stratégie d’« affamer la bête » du gouvernement. En réduisant les recettes, on exerce une pression pour réduire les dépenses. Le gouvernement Michel avait déjà appliqué cette stratégie de manière limitée. 

3. La réduction d’impôt prévue 

Si le budget continue malgré tout de prendre l’eau, malgré le tournant historique sur les dépenses, c’est surtout à cause d’un autre tournant. Pour la première fois depuis longtemps, les recettes fiscales et parafiscales vont diminuer sensiblement. Surtout à partir de 2029, lorsque la réduction prévue de l’impôt des personnes physiques tournera à plein régime, les recettes diminueront et le budget risque de chavirer plus rapidement. Ces dernières années, les recettes publiques ont oscillé autour de 50 % du PIB, pour tomber à 48,5 % d’ici 2030. Cette réduction d’impôt coûte à l’État presque trois fois plus que l’augmentation du budget de la défense. 

« Nous devons oser dire la vérité en Belgique. Il n’y a PAS d’espace budgétaire pour une réduction d’impôt », dit Erik Buyst. « Cela n’est possible que si l’État est mis encore plus drastiquement au régime. Mais les fruits les plus accessibles ont déjà été cueillis. Des économies et réformes supplémentaires seront plus difficiles et se heurteront à plus de résistance. » 

Sous le gouvernement De Croo, les recettes fiscales ont encore augmenté, sans grandes mesures. Grâce à l’augmentation de l’emploi et des salaires, la forte progressivité de l’impôt a entraîné une hausse du taux d’imposition moyen. En outre, le gouvernement précédent a profité de paiements anticipés élevés dans l’impôt des sociétés et de taxes encore élevées sur l’énergie nucléaire. Le gouvernement De Wever ne peut pas compter sur ces bonus. Une réduction d’impôt, surtout sur le travail, est souhaitable, mais cette ambition n’est pour l’instant pas financée. 

4. Le bonus d’intérêt est devenu un malus d’intérêt 

Il n’y a pas de bonus d’intérêt pour le gouvernement De Wever. Au contraire : avec la poursuite de la hausse de la dette publique et la remontée des taux d’intérêt, la facture d’intérêts repart à la hausse. Cette augmentation est progressive, car la dette belge est financée à relativement long terme, mais entre 2024 et 2029, les charges d’intérêt augmentent de 0,6 point de pourcentage du PIB. Pour chaque 100 euros de recettes, le gouvernement devra bientôt consacrer 7 euros au paiement des intérêts. Cela reste supportable, mais cela réduit considérablement la marge de manœuvre politique. 

Le gouvernement fédéral peut s’estimer heureux qu’il n’y ait pas encore d’effet « boule de neige » des taux. Le taux d’intérêt que l’État paie sur sa dette est encore inférieur à la croissance nominale du PIB. La hausse de la dette publique est donc encore entièrement imputable à l’augmentation du déficit budgétaire lui-même. Mais les déficits et dettes élevés rendent le budget très vulnérable. La Banque Nationale met en garde depuis plusieurs années : il n’y a plus de coussins budgétaires pour faire face aux revers. 

5. Des effets de retour limités 

L’espoir du gouvernement De Wever de combler en partie le trou budgétaire avec 8 milliards d’euros d’effets de retour est sans doute illusoire. « Il existe un large consensus pour dire que les effets de retour seront inférieurs aux estimations du gouvernement », déclarait encore Pierre Wunsch, le gouverneur de la Banque Nationale, en juin. 

Le Bureau du Plan tient compte dans ses prévisions des effets de retour, mais il est moins optimiste que le gouvernement quant à l’augmentation du taux d’emploi et de la croissance économique. Une dose supplémentaire de croissance ferait du bien au budget, mais la conjoncture internationale dégradée ne permet pas, pour l’instant, de miracles économiques. L’économie belge résiste relativement bien, mais il ne faut pas espérer plus qu’une croissance potentielle de 1 à 1,5 %. Avec de tels taux de croissance, il est impossible d’assainir le budget en période de vieillissement démographique. 

Même avec l’aide de réformes historiques, une croissance économique normale ne suffit pas pour remettre le budget à flot. 

Et pourtant, beaucoup reste possible pour stimuler la croissance belge à travers des réformes structurelles supplémentaires sur les marchés du travail et des produits. L’augmentation de la productivité, essentielle pour financer le vieillissement, est au point mort.

Typiquement belge

Un ensemble complet de mesures pour stimuler la croissance ne figure pas dans l’accord de gouvernement. « C’est typiquement belge qu’un gouvernement choisisse soit l’austérité, soit l’activation de la croissance par le renforcement de la compétitivité. Un gouvernement belge ne fait jamais les deux en même temps, car cela ferait souffrir trop de gens en même temps. En soi, ce n’est pas une politique insensée, car dans ce pays, il faut mener une politique du possible pour obtenir des résultats », dit Erik Buyst. 

La tactique du Premier ministre De Wever consistant à se hâter lentement rend possibles des réformes historiques, mais ne sauve pas encore le budget, même si le gouvernement maintient officiellement son objectif de déficit budgétaire à 3 % d’ici 2029. Sur la base de l’accord de gouvernement actuel et des réformes décidées, cet objectif est irréalisable. Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, parle déjà d’un Nouveau Testament venant compléter l’Ancien, mais la question est de savoir si ce gouvernement a encore suffisamment de capital politique pour rouvrir l’accord gouvernemental. Le gouvernement De Wever fait en tout cas face à une tâche herculéenne, si même une révolution politique ne suffit pas à combler le gouffre budgétaire. 

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