Lire la chronique d' Amid Faljaoui
Le gaz russe et le casier judiciaire de Merkel
Les jeunes se sont souvent désintéressés de l’Europe. Quand j’évoque l’Europe, je ne vise pas notre continent ou sa population. Je pense plutôt à l’Europe institutionnelle.
Nous en avons tous fait l’expérience à l’occasion de l’une ou l’autre discussion. Lorsqu’on disait à ces jeunes que l’Union européenne nous avait évité la guerre en réconciliant des anciens ennemis mortels comme la France, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, ces mêmes jeunes avaient tendance à hausser les épaules, vu que la guerre, c’était toujours ailleurs qu’en Europe. Avec la guerre à nos portes en Ukraine, les mêmes ont compris que la parole des plus anciens n’était pas vide de sens.
L’Ukraine nous rappelle que la paix n’est pas une situation garantie, elle reste fragile, il faut donc la chérir et ne pas la considérer comme allant de soi. D’ailleurs, l’Europe a encore montré son utilité la semaine dernière. Alors que nous allons partir bientôt en vacances, la Commission européenne a été chargée de nous éviter un hiver sans gaz en jouant la carte de la coopération. Exactement comme du temps du COVID, avec l’achat groupé de vaccins. A vrai dire, nous n’avons pas le choix. La Russie a déjà réduit – momentanément dit-elle et pour des raisons techniques – la livraison de gaz à 12 pays de l’Union européenne. Personne n’est dupe et les Allemands sont passés en mode alerte de niveau 2 sur une échelle de 3 niveaux.
Oui, l’Europe est entrée dans une course contre la montre pour atteindre un niveau de stock en gaz de 80% pour d’ici le 1er novembre 2022. Pour l’instant, les stocks sont à 55%, ce qui signifie que cet été, la Commission européenne aura pour mission de tout faire pour nous permettre de nous passer du gaz russe. La mission est d’autant plus urgente que Poutine pourrait décider d’un moment à l’autre de couper encore plus ses livraisons de gaz. Et, ô paradoxe, le président russe risque de le faire d’autant plus facilement, que la hausse des prix lui a déjà permis largement de compenser la baisse des livraisons de ces dernières semaines.
Pour l’Europe, cette indépendance énergétique est aussi cruciale pour ses entreprises. Motif ? Si l’Allemagne n’a plus de gaz pour faire tourner ses usines, le pays entrerait en récession, et quand l’Allemagne tousse, c’est l’Europe qui a une pneumonie ! Pour le reste, l’Histoire retiendra que si l’ancienne chancelière Angela Merkel a été très populaire en Allemagne et ailleurs, au point que nous avons tous écrasé une petite larme pour son départ, les Allemands voient aujourd’hui qu’elle a clairement manqué de vision. Après la catastrophe de Fukushima en 2011, elle avait décidé de fermer toutes les centrales nucléaires. Son choix, plébiscité par la population, l’Allemagne le paie au prix fort maintenant avec la guerre en Ukraine. Car même si Merkel a misé sur les énergies renouvelables, elle a parallèlement trop misé sur le gaz russe. Résultat ? Aujourd’hui, le numéro 2 du gouvernement allemand, Robert Habeck, un ECOLO pur jus est obligé de faire appel aux centrales au charbon pour compenser le gaz russe. C’est amer à avaler comme potion, mais, au final, un élu écolo allemand est aujourd’hui obligé d’augmenter les émissions de CO2 pour éviter que ses compatriotes ne puissent pas se chauffer cet hiver.
C’est donc ça l’héritage de Mme Merkel. Mais c’est aussi un rappel vivifiant pour inciter nos politiques à ne pas légiférer sous un coup de sang. L’ancien doyen de la Faculté de droit de Paris disait qu’il ne fallait jamais légiférer par “anecdotes”. L’appel ne sera pas entendu, car hélas, l’immédiateté est devenue la norme. La faute principale en incombe aux réseaux asociaux qui forcent les politiques à être en campagne électorale permanente. Pour Merkel, on ne pourra plus parler de bilan, mais de casier judiciaire.
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