Philippe Ledent
Le consommateur serait-il le seul à subir les conséquences des chocs actuels?
Une année marquée par une guerre en Europe, une vague totalement inédite d’inflation et un virage important des banques centrales, peut difficilement être sereine.
La guerre en Ukraine nous a fait basculer dans un autre monde. De plus, la confrontation du variant omicron, très contagieux, et de la politique zéro covid en Chine risque de renforcer encore les problèmes dans les chaînes d’approvisionnement. Ceci dit, jusqu’à présent, malgré la très forte hausse des prix des matières premières et de l’énergie et malgré la très forte baisse du moral des consommateurs depuis le mois de mars, les indicateurs de confiance des entreprises ne se sont pas effondrés. C’est un peu étonnant: le consommateur serait-il le seul à subir les conséquences des chocs actuels? Non. C’est impossible. Il est fort probable que ce ne soit qu’une question de temps avant de voir apparaître l’impact sur les entreprises, et ce pour deux raisons.
Une année marquée par une guerre en Europe, une vague totalement inédite d’inflation et un virage important des banques centrales, peut difficilement être sereine.
Tout d’abord, pour les entreprises, la question n’est pas tant de savoir si les coûts augmentent, mais de savoir dans quelle mesure elles peuvent reporter ces hausses de coûts sur leurs prix de vente. Cela dépend de très nombreux facteurs: le type de contrat, l’état de la demande, l’importance de la concurrence, bref, le pricing power de l’entreprise. Les prix à la production (les prix pratiqués entre entreprises) montrent que les entreprises font face à de très importantes hausses. L’augmentation de nombreux prix à la consommation confirme par ailleurs qu’une partie de ces hausses sont déjà reportées vers le consommateur final. Les enquêtes auprès des entreprises indiquent enfin que les prix de vente attendus sont toujours en hausse.
Ceci étant, le choc sur les prix de l’énergie est en train de détériorer le pouvoir d’achat des ménages, et ce malgré les indexations de revenus. Les chiffres de ventes au détail montrent clairement un ralentissement de la consommation en Belgique et dans l’ensemble de la zone euro. Dès lors, pour les entreprises, le choc sur les prix devient une sorte de jeu de chaises musicales. Jusqu’à présent, il y avait autant de chaises que de joueurs. Autrement dit, la majorité des entreprises ont pu maintenir leurs marges en reportant les hausses de coûts sur les prix, ce qui expliquerait le maintien d’un moral des entreprises plutôt correct. Mais petit à petit, le nombre de chaises diminue à mesure que la consommation des ménages ralentit. Dans un tel environnement, toutes les entreprises ne vont plus être en mesure de relever leurs prix de vente, à commencer par celles au plus faible pricing power. Le moral risque d’en prendre un coup.
De plus, l’augmentation des prix a poussé les banques centrales à agir en remontant leur taux directeur (c’est le cas de la Réserve fédérale américaine) ou en promettant de le faire prochainement (telle la BCE). Mais une hausse des taux n’est pas qu’une action théorique de politique monétaire. Cela a surtout des implications économiques: cela ralentit la consommation et l’investissement en relevant le coût de financement. Cela modifie l’équilibre financier entre les classes d’actifs en modifiant les valorisations de ceux-ci, etc. Les entreprises seront donc nécessairement touchées par la hausse généralisée des taux d’intérêt.
Restons donc réalistes: une année marquée par une guerre en Europe et par une vague totalement inédite d’inflation, marquée également par un virage important des banques centrales, peut difficilement être une année sereine. C’est vrai pour les ménages, ce sera probablement aussi vrai pour les entreprises.
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