Bruno Colmant
Le capital mobilier a tiré profit des gains de productivité au travers d’une précarisation des travailleurs
La question n’est pas de s’émouvoir et de constater qu’une partie importante de la population n’est pas capable de jouir d’une vie décente hors du surendettement, de la précarité ou même de la pauvreté structurelle et emprisonnant.
En vérité, toute la question revient à effectuer correctement le partage des gains de productivité. Légitimement, le capital peut avancer que ces gains récents sont essentiellement issus des révolutions technologiques qu’il a financées, tandis que le travail rétorquera que sans consommateurs, il n’y a pas de débouchés pour les biens et services du capital. C’est typique des plateformes commerciales numérisées dont le moteur est un système informatique et dont les opérateurs (chauffeurs, livreurs, etc.), en bout de chaîne, sont sous-payés et ne bénéficient pas d’une protection sociale correcte. Une autre variable, durement ressentie, est de savoir comment le travail et le capital sont protégés contre l’inflation.
Dans les pays occidentaux, le capital mobilier a, en termes relatifs et sur une période de 25 ans, tiré profit des gains de productivité au travers d’une précarisation des travailleurs, essentiellement manuels, les moins qualifiés. Les richesses se sont concentrées. Cette réalité est, il est vrai, beaucoup plus prononcée dans les pays anglo-saxons que dans les pays d’Europe occidentale.
Certains contestent cette analyse statistique au motif que les gains de productivité attestés sont correctement partagés entre les capitalistes et les travailleurs. Ceci exige pourtant une nuance.
Lorsqu’on mesure le partage des gains de productivité, il est d’usage d’adopter une vision de comptabilité historique qui restitue les événements passés. Mais aujourd’hui, dans le cadre de la finance moderne, la valeur du capital s’exprime par l’actualisation de flux futurs anticipés de résultats.
Si cette anticipation augmente, ou qu’elle est flattée par des taux d’intérêt très faibles ou négatifs, la valeur du capital augmente, sans qu’il soit possible de discerner, dans cette valeur, ce qui sera produit ultérieurement par le capital ou apporté par le travail. Nul ne serait capable de séparer ces deux composantes. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle les mesures de la productivité de Karl Marx seraient difficilement transposables à nos temps.
Lorsque la valeur du capital boursier indicé a doublé de valeur en six ans, comme ce fut le cas aux États-Unis au travers des valeurs boursières, cela ne signifie pas que la masse salariale future augmentera dans la même importance. C’est peut-être même le contraire qui sera constaté dans un contexte de numérisation. L’augmentation contemporaine des valeurs mobilières pourrait être une expression de l’anticipation par les marchés financiers d’une extraction de la valeur qui sera produite au détriment du travail, ou plus généralement, de toutes les parties prenantes à la vie de l’entreprise.
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