Le Canada, de l’euphorie à la réalité
L’amour entre le Premier ministre et les Canadiens ne durera pas trois ans. Dès sa deuxième année au pouvoir, Justin Trudeau devra prendre des décisions délicates, en particulier concernant l’environnement.
Les couples mariés reconnaîtront sans doute le sentiment général qui accompagne le début de la deuxième année au pouvoir du gouvernement libéral de Justin Trudeau.
La lune de miel a été longue, commençant à l’issue de la victoire surprise des libéraux aux élections fédérales d’octobre 2015. Elle a parfois même été euphorique : il suffit de penser aux millions de Canadiens souriants qui se sont photographiés au côté de leur jeune Premier ministre charismatique (avec ou sans sa chemise). Comme ont tendance à le faire les couples récents, les Canadiens et le gouvernement libéral ont passé la majeure partie de l’année écoulée à parler de la façon dont ils changeront le pays et le monde.
L’année 2017 marquera le retour à la vraie vie. Les multiples consultations publiques menées dans le but de tout améliorer – du système électoral à la distribution de l’aide internationale – prendront fin. Des décisions politiques seront prises et elles ne plairont pas à tout le monde. Pour que Justin Trudeau soit confronté à sa première grande crise, il suffirait que, une fois président, Donald Trump exécute sa menace de révoquer les accords commerciaux. Les Etats-Unis sont le plus important partenaire commercial du Canada: ils ont acheté à leur voisin du Nord près de 77 % de ses exportations de biens en 2015.
Si la lune de miel est terminée, le pays peut cependant se réjouir à l’approche d’un autre événement heureux. Le 1er juillet, les Canadiens fêteront le 150e anniversaire de leur pays. Ils commémoreront en réalité la signature de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, la loi qui a donné naissance au dominion du Canada en réunissant au sein d’une fédération les quatre colonies autonomes de l’Ontario, du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse et en leur donnant une Constitution écrite. Les Canadiens font remonter la naissance de leur pays à 1867, même si les autres provinces et territoires se sont joints plus tard à la Confédération (le Nunavut a été créé en 1999 seulement) et la Constitution canadienne découlait jusqu’en 1982 d’une loi promulguée par le Parlement britannique.
La colère des verts
Mais le gouvernement libéral devra prendre une décision difficile avant le début des festivités: va-t-il ou non autoriser la construction d’un oléoduc destiné à acheminer du pétrole vers le port de Burnaby (Colombie-Britannique) sur la côte ouest, depuis l’Alberta, province occidentale au riche sous-sol?
L’Office national de l’énergie (ONE) a approuvé sous certaines conditions le projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain. C’est maintenant au gouvernement fédéral de prendre la décision définitive ou de renvoyer le projet à l’ONE pour une nouvelle révision. Aux prises avec une récession et un déficit budgétaire record en raison des faibles prix du pétrole, l’Alberta aura du mal à accepter une autre réponse qu’un oui catégorique. Toutefois, s’ils approuvent le projet, les libéraux se mettront à dos les groupes de défense de l’environnement et les Canadiens qui ont voté pour eux parce qu’ils leur promettaient un Canada plus vert que les conservateurs en faveur du pétrole.
Justin Trudeau tente d’apaiser les deux camps. En octobre, après des négociations tendues, il a déclaré aux provinces qu’elles devaient intégrer un “prix du carbone” dès 2018 ou se le voir imposer. Les Premiers ministres provinciaux sont mécontents, mais ils vont au moins pouvoir conserver ces nouveaux revenus. Sur les 10 provinces, sept sont confrontées à des déficits budgétaires, si bien qu’un apport de liquidités fédérales pour des programmes coûteux comme la santé pourraient faire taire leurs objections. Les écologistes, déjà irrités par l’adoption du gazoduc vers la côte ouest, vont être furieux si l’oléoduc obtient le feu vert. Justin Trudeau a jusqu’à la prochaine élection de 2019 pour les rallier à sa cause. Si, comme il l’a promis lors de sa campagne électorale, il supprimait progressivement les subventions aux producteurs de carburants fossiles (2,5 milliards de dollars canadiens par an), ce serait un bon début.
Une nouvelle démocratie
Le Premier ministre n’aura pas beaucoup de répit avant le prochain grand test. Justin Trudeau devra en effet déterminer rapidement ce qui remplacera le modèle électoral actuel, car il a promis que les élections de 2015 seraient les dernières selon le système uninominal majoritaire à un tour. Une fois rendu le rapport du comité spécial en décembre 2016, le gouvernement devra agir rapidement pour respecter l’échéance de mai 2017 fixée par le directeur général des élections et ainsi s’assurer que la législation sera en place pour le scrutin de 2019. Les conservateurs, qui forment l’opposition officielle, ont insisté sur la tenue d’un référendum national pour valider les changements proposés. Ce que le gouvernement, songeant au vote à propos du Brexit, a refusé.
Le Canada fait figure d’exception parmi les gouvernements occidentaux. Il se montre favorable à l’immigration et à la mondialisation et il défend des politiques de relance budgétaire.
Les Canadiens sont indécis quant à la nécessité de ce changement (seulement 41 % d’entre eux estiment que c’est nécessaire) et quant au modèle à choisir. Pour le moment, une variante du système de représentation proportionnelle mixte utilisé en Allemagne et en Nouvelle-Zélande semble être l’option la plus populaire. Le gouvernement choisira sans doute ce modèle – dans lequel les citoyens votent pour des candidats individuels et, plus largement, pour un pourcentage des sièges attribués aux partis politiques – mais il devra livrer une dure bataille.
Alors même qu’ils tenteront d’honorer ces engagements et de concrétiser d’autres promesses électorales – s’impliquer de nouveau dans les opérations internationales de maintien de la paix et renouveler les relations avec les peuples autochtones du Canada, par exemple – les libéraux devront présenter leur deuxième budget. Ils ont défini trois grandes priorités. Premièrement, la diminution des impôts de la classe moyenne et l’augmentation de ceux des Canadiens ayant un salaire annuel supérieur à 200.000 dollars canadiens (137.000 euros). Deuxièmement, l’adoption d’un nouveau programme d’allocation pour enfant, plus généreux, et, troisièmement, la mise en oeuvre de la première phase d’un programme d’infrastructures d’une valeur de 60 milliards de dollars canadiens (41,1 milliards d’euros). Ces mesures vont faire grimper le budget à au moins 25,1 milliards de dollars canadiens, contre 1 milliard en 2015. Compte tenu de la faible dette nette des administrations publiques, le gouvernement dispose d’une marge de manoeuvre pour engager des dépenses plus élevées dans son deuxième budget. Cela l’éloignera cependant encore plus de l’objectif qu’il s’est fixé, qui est de parvenir à l’équilibre budgétaire.
L’Etat ovni
Le Canada fait figure d’exception parmi les gouvernements occidentaux. Il se montre en effet favorable à l’immigration alors que les autres ferment leurs frontières (Justin Trudeau est même allé accueillir un groupe de réfugiés syriens à l’aéroport en décembre 2015) ; il est en faveur de la mondialisation alors que les autres se ferment au commerce ; et il défend des politiques de relance budgétaire alors que les autres choisissent l’austérité. Mais plus ces politiques mettront du temps à se traduire par une amélioration de la croissance économique, plus il sera difficile de continuer à les défendre. La croissance n’a atteint que 1,1 % en 2015 et la Banque centrale estime qu’elle ne dépassera pas ce seuil en 2016, atteignant 2 % en 2017. Il suffirait dès lors d’un effondrement de l’immobilier sur les marchés surchauffés de Toronto et de Vancouver ou d’une montée du protectionnisme mondial pour faire dérailler l’économie.
Si cela devait se produire, la concrétisation d’une autre promesse de Justin Trudeau – celle de légaliser la marijuana – arrivera à point nommé. A défaut de faire décoller l’économie, elle permettra au moins aux Canadiens de finir 2017 sur une bonne note.
Par Madelaine Drohan, correspondante au Canada pour “The Economist”.
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