La Wallonie vue de Flandre: “La Wallonie peut suivre la Flandre d’ici 10 ans”
Faire travailler plus de Wallons est l’un des objectifs du futur gouvernement wallon. Cela nécessitera une politique à plusieurs volets, selon les experts flamands.
La légion de chômeurs de longue durée et le groupe croissant de malades de longue durée constituent un réel problème. Un entrepreneuriat plus dynamique et un secteur public plus restreint devraient contribuer à mettre l’économie wallonne sur la bonne voie.
1 Wallon sur 3, âgé de 20 à 65 ans, ne travaille pas
L’une de ces faiblesses est le marché du travail wallon, qui n’est pas assez performant. Avec 65,6 %, le taux d’emploi wallon est nettement inférieur au taux flamand (76,9 %). En 1988, le taux d’emploi était de 59,6 % en Flandre et de 52,6 % en Wallonie, soit une différence de 7 points de pourcentage. En 2000, cette différence est passée à 9 points de pourcentage, pour atteindre aujourd’hui 11,7 points de pourcentage. En outre, en 2023, Bruxelles, avec 66,2 %, pourrait se targuer d’un taux d’emploi légèrement supérieur à celui de la Wallonie, pour la première fois depuis 30 ans.
L’économiste flamand Rudy Aernoudt, chef de cabinet du ministre libéral wallon de l’économie Serge Kubla au début du siècle, connaît bien la Wallonie. Il se réjouit que le MR et Les Engagés optent pour un redressement socio-économique en mettant l’accent sur le marché du travail. Mais Aernoudt souligne d’emblée qu’il faudra travailler à plusieurs niveaux. “Par exemple, les allocations de chômage doivent être limitées dans le temps. Il s’agit bien sûr d’une question fédérale. Par ailleurs, il faut mettre fin au système wallon de l’APE (aide à la promotion de l’emploi, NDLR), qui coûte plus d’un milliard d’euros. Il s’agit d’un système de subventions aux employeurs du secteur non marchand pour fournir des emplois. Mais il ne s’agit pas d’une création d’emplois durable. Par exemple, si vous êtes une ASBL qui met en place un club de vogelpik wallon, vous recevez des subsides de l’APE pour engager quelqu’un”.
Le cercle vicieux du chômage de longue durée
De telles mesures ont été taboues par le PS pendant des années. Mais il serait faux de croire que le retard de la Wallonie par rapport à la Flandre peut être rattrapé rapidement. Un certain nombre de problèmes sont plus profonds. C’est certainement le cas de l’excès wallon de chômeurs de longue durée, c’est-à-dire de personnes sans emploi depuis plus d’un an. Stijn Baert, économiste du travail à Gand, a calculé que 42,2 % des chômeurs belges sont sans emploi depuis plus d’un an. Ce chiffre est supérieur à la moyenne européenne de 36,9 %. Cela s’explique principalement par le fait que la moitié des chômeurs de Wallonie et de Bruxelles sont des chômeurs de longue durée. Alors que leur nombre a diminué ces dernières années à Bruxelles et en Flandre, il reste constant en Wallonie (voir le graphique le chômage de longue durée est surtout un problème wallon).
La suppression des allocations des chômeurs ne signifie pas qu’ils chercheront immédiatement un emploi, même si, selon Statbel, il y a constamment 40 000 postes vacants en Wallonie. Il s’agit pour la plupart de métiers à goulot d’étranglement. 80 % de ces emplois requièrent peu d’expérience.
“Beaucoup de chômeurs de longue durée ont abandonné leurs études, y compris les jeunes. Ils ne suivent plus d’études et ont peu de contacts sociaux”, explique Christine Ruyters, sociologue à l’office statistique wallon Iweps. “Ils sont tellement éloignés du marché du travail qu’ils n’ont même plus les compétences de base pour accepter un emploi”. Ces compétences comprennent, par exemple, la discipline nécessaire pour arriver à l’heure au travail ou pour travailler en équipe. Selon les chiffres de l’Iweps, les employeurs wallons préfèrent donc généralement embaucher le candidat qui est au chômage depuis le moins longtemps. Ce qui implique que les chômeurs de longue durée se retrouvent dans un cercle vicieux.
Un Forem pas suffisamment performant
Pour inverser la tendance, le service wallon de l’emploi Forem est depuis longtemps sous surveillance. On lui reproche régulièrement de ne pas assez activer les chômeurs. Pourtant, il serait faux de croire que le service wallon de l’emploi ne fait rien. En 2022, le Forem a averti ou sanctionné 15.357 chômeurs, contre 12.595 en Flandre. 7,5 % des demandeurs d’emploi wallons n’ayant pas effectué une recherche d’emploi suffisante ont reçu un avertissement ou une sanction. En Flandre, ce chiffre est de 6,9 %.
“Pourtant, les performances du Forem restent insuffisantes”, déclare Rudy Aernoudt. “Cela est dû à la politisation et au contrôle des syndicats. Ceux-ci défendent des gens qui ne veulent pas travailler. Je l’ai dit plusieurs fois à Georges-Louis Bouchez : commencez à réformer le Forem”.
L’efficacité du service wallon de l’emploi est remise en question depuis un certain temps. D’ici 2023, 113 000 Wallons auront reçu une formation professionnelle au Forem. On ignore combien d’entre eux ont trouvé un emploi. Cécile Neven, PDG de l’organisation patronale Akt for Wallonia (anciennement Union wallonne des entreprises), a demandé cette semaine un audit du Forem, dont seulement 40 % du personnel aiderait les vrais chômeurs. Elle a également été séduite par la proposition des négociateurs du gouvernement wallon d’externaliser les tâches de formation du Forem vers le secteur privé.
Des Wallons mieux formés
En matière de formation, le niveau de formation des chômeurs wallons est problématique. 41 % des demandeurs d’emploi wallons n’ont pas de diplôme de l’enseignement secondaire, alors qu’ils représentent 28 % de la population. 35 % des Wallons n’ont qu’un diplôme de l’enseignement secondaire, alors qu’ils représentent 40 % des chômeurs. Les personnes peu qualifiées sont donc surreprésentées dans les chiffres du chômage. En Wallonie, seuls 42,5 % des personnes peu qualifiées travaillent, contre près de 60 % en Flandre et 65 % aux Pays-Bas et en Allemagne.
Le groupe des malades de longue durée est également important en Wallonie. La Flandre compte le plus grand nombre de malades de longue durée (260 000), mais c’est en Wallonie (187 000) et à Bruxelles (43 000) que l’augmentation est la plus forte. Le nombre d’invalides de longue durée a augmenté de 80 % en Wallonie au cours de la dernière décennie. À Bruxelles, l’augmentation a été de 50 % et en Flandre de 20 %. “Cela nécessite une approche à la fois du gouvernement fédéral et des gouvernements régionaux”, déclare Rudy Aernoudt. “Si vous parvenez à augmenter le taux d’emploi, les transferts diminueront fortement. Ceux-ci sont à 90 % liés à l’écart entre les taux d’emploi”.
Une productivité wallonne trop faible
Le fait que les Wallons soient proportionnellement moins nombreux à travailler que les Flamands est l’une des principales causes de l’écart de revenus entre les habitants des deux régions. Dans un rapport récent, l’Iweps a effectué des calculs intéressants à ce sujet. Le produit intérieur brut flamand par habitant s’élève à 45 186 euros, tandis qu’en Wallonie, il est de 32 177 euros, soit près de 30 % de moins.
La différence s’explique en partie par le taux d’emploi wallon plus faible, mais 12 points de pourcentage sont la conséquence de la productivité wallonne plus faible, qui, avec l’emploi, détermine la croissance économique. La production par travailleur est 15 % plus élevée en Flandre qu’en Wallonie. Cette différence s’explique par le poids plus important des entreprises à forte productivité (telles que les entreprises chimiques, pharmaceutiques et informatiques) en Flandre, mais aussi par l’importance du secteur public wallon, qui pèse sur la productivité. Le poids du secteur public dans l’économie wallonne est l’un des plus élevés de toutes les régions européennes. Le secteur public y représente 27 % de la valeur ajoutée totale, contre 18 % en Flandre. La croissance de la productivité calculée comme la production par travailleur n’a pas beaucoup différé entre la Flandre (+0,8 % par an) et la Wallonie (+0,7 %) au cours des dernières années.
La Wallonie pourrait passer à un secteur privé plus important dans les années à venir, ce qui renforcerait la croissance de la productivité et la création d’emplois. Le chemin à parcourir est encore long. En 2021, 18 nouvelles entreprises ont été créées en Flandre pour 1 000 habitants âgés de 20 à 65 ans. En Wallonie, il n’y avait que 12 nouvelles entreprises.
“Il faut promouvoir davantage l’esprit d’entreprise en Wallonie”, estime Rudy Aernoudt. “Il est vrai que les ministres sont eux-mêmes favorables à l’esprit d’entreprise. Lorsque j’étais chef de cabinet en Wallonie il y a 20 ans, les entrepreneurs flamands disaient qu’ils étaient mieux accueillis à Namur qu’en Flandre. Cependant, nous devons évoluer vers un changement général de mentalité qui considère l’esprit d’entreprise comme quelque chose de positif. En raison de l’importance de l’appareil gouvernemental, les Wallons ne sont pas dans un système qui les encourage à entreprendre. Mais je vois que cela change progressivement”.
Par exemple, le précédent gouvernement wallon a débloqué jusqu’à 3 millions d’euros pour une campagne de sensibilisation visant à promouvoir l’esprit d’entreprise chez les jeunes Wallons. Selon le ministre wallon de l’économie sortant, Willy Borsus (MR), cette campagne a touché 68 000 jeunes Wallons l’année dernière, contre 30 000 il y a cinq ans.
Des mesures de soutien économique plus ciblées
Sous Borsus, la Wallonie a également introduit un prêt Coup de Pouce. Par ce biais, les autorités régionales encouragent les particuliers à accorder un prêt subordonné aux PME. En outre, le gouvernement wallon a centralisé les anciennes sociétés d’investissement SRIW, Sogepa et Sowalfin en un guichet unique pour les entreprises : Wallonie Entreprendre. “C’est une décision importante. D’ailleurs, ces fonds nagent dans l’argent”, précise Rudy Aernoudt. “La fragmentation de la Wallonie est un vieux problème. Elle nuit à l’efficacité.
Une série de plans de relance ont également manqué de cohérence au cours des dernières décennies. Par exemple, 3 224 hectares d’anciens sites industriels attendent toujours d’être dépollués et reconvertis. Ce processus est lent – dix ans en moyenne – parce que toutes sortes d’organismes locaux, en particulier les intercommunales, sont impliqués. Aernoudt : “Il y a là des gains d’efficacité à réaliser. Mais il faut ensuite dépolitiser les structures existantes. D’ailleurs, c’est aussi un problème pour le prochain gouvernement de centre-droit à Namur, s’il doit coopérer avec l’administration. Tous les hauts fonctionnaires sont socialistes. Si vous voulez renverser la vapeur, vous devrez passer par les cabinets et remplacer les hauts fonctionnaires de l’administration par des personnes au moins neutres. Si vous parvenez à intervenir sur le marché du travail, à créer un climat plus favorable aux entreprises et à garantir un gouvernement plus performant, la Wallonie pourra rattraper la Flandre en l’espace d’une décennie”.
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