La Wallonie file vers trois milliards de déficit

Adrien Dolimont “Honnêtement ; la conscientisation du gouvernement wallon sur l’importance des enjeux budgétaires est très claire.” © belga image
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

C’est le plafond que le ministre du Budget Adrien Dolimont (MR) présentera à ses collègues pour le dernier budget de la législature. Des économies structurelles doivent conforter la trajectoire de désendettement de la Wallonie.

Le premier exercice budgétaire d’une législature est souvent le plus instructif. Il traduit concrètement les choix politiques de la majorité en place. Le dernier budget de la législature est, lui, le plus périlleux. Il est en effet tentant pour les ministres et partis au pouvoir de chercher quelques “cadeaux” à offrir à leurs électeurs, histoire de bien lancer la campagne. Le gouvernement flamand ne s’en est pas privé avec le budget qu’il vient de présenter. Assisterons-nous à cela aussi dans les semaines qui viennent dans une Wallonie qui affiche déjà trois milliards de déficit et plus de 35 milliards d’endettement? “Honnêtement, la conscientisation du gouvernement wallon sur l’importance des enjeux budgétaires est très claire, répond le ministre du Budget Adrien Dolimont (MR), dont les équipes ont enregistré les demandes de chaque département au cours de réunions bilatérales durant le mois de septembre. Mon rôle est de veiller à ce que nous restions dans une position de soutenabilité, que nous soyons en capacité d’assumer la dette contractée. Mais à partir du moment où l’on reste dans les balises de notre trajectoire budgétaire, je n’ai pas d’a priori à ce qu’un ministre souhaite, au sein de ses compétences, consacrer des moyens à une politique plutôt qu’à une autre.” L’objectif est de ramener progressivement la dette de 230 à 180% des recettes régionales, afin de garantir sa soutenabilité.

FRANÇOIS DESQUESNES
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La Wallonie vit 15% au-dessus de ses moyens, je ne comprends pas cette boulimie de dépenses.”
FRANÇOIS DESQUESNES, DÉPUTÉ (LES ENGAGÉS)

Cette trajectoire budgétaire a été élaborée sur la base des recommandations de la Commission externe de la dette, un panel d’experts présidé par Jean Hilgers, ancien directeur à la Banque nationale. Elle prévoit notamment des économies structurelles annuelles correspondant à 1% des recettes. Cela représentait 150 millions par an en 2022 et le gouvernement a fait mieux en dégageant 400 millions d’euros sur deux exercices. Entre-temps, l’inflation a gonflé les recettes (désormais estimées à 17 milliards d’euros) et donc l’effort annuel. “Nous devrons dès lors réaliser au moins 70 millions d’économies structurelles dans notre budget 2024”, résume Adrien Dolimont. “C’est très bien, pour autant que ces économies soient effectivement structurelles, objecte François Desquesnes, chef du groupe des Engagés au Parlement wallon. A ce stade, nous n’en avons pas la démonstration. Il manque une autorité indépendante qui puisse attester du caractère structurel ou non des économies projetées.”

Un assainissement très graduel

Cet effort annuel de 150 à 170 millions d’euros peut en outre sembler dérisoire par rapport à l’ampleur des déséquilibres financiers de la Wallonie, surtout si l’on y ajoute ceux de la Fédération Wallonie-Bruxelles et des pouvoirs locaux que la Région doit, peu ou prou, couvrir. “Le but est d’éviter une stratégie de réduction ou de plan d’économies qui soit brutale, aveugle, comme c’est souvent le cas en histoire des finances publiques, expliquait Jean Hilgers en juin dernier devant le Parlement wallon. Des mesures qui sont généralement très efficaces sur le plan budgétaire peuvent avoir des effets assez désastreux sur le plan économique, social et environnemental.” En outre, une approche plus “brutale” aurait peut-être privé la Région des moyens nécessaires pour financer les politiques de relance, pour lesquelles les premiers décaissements arriveront en 2024. C’est notamment pour cette raison que la Commission externe de la dette ne prévoit de réduction de la dette qu’après 2026, l’échéance fixée pour le plan de relance.

Jean Hilgers insiste cependant pour que cette approche graduelle s’inscrive profondément dans la durée et puisse faire fi des mille et une bonnes raisons de relâcher l’effort. “Cette approche n’a de sens et n’est crédible que si elle s’accompagne d’un processus systématique, dit-il. Elle ne peut s’accommoder d’une politique de stop and go. En revanche, si elles sont effectivement tenues dans le temps, ces mesures peuvent avoir un effet structurel assez considérable après quelques années.”

En l’occurrence, la Wallonie s’appuie sur une stratégie à 10 ans, soit deux législatures entières. Mais évidemment, la future majorité régionale peut toujours reconsidérer les options. Pour éviter une remise en cause de la trajectoire après les élections, la Commission externe de la dette souhaite d’ailleurs formaliser l’engagement dans une sorte de règle d’or. “Il faut que cette règle budgétaire fasse l’objet d’un élément de décret qui garantisse que le gouvernement régional qui sortira des urnes d’ici un an considère cet effort annuel d’économies structurelles, non pas comme un élément de négociation, mais comme une donnée, et dès lors évite de le mettre en discussion”, avait confié Jean Hilgers en juin devant le Parlement wallon. Le ministre du Budget partage cette conviction mais il n’a pas été suivi par ses collègues du gouvernement wallon, qui préfèrent se préserver une latitude pour pouvoir faire face aux imprévus.

Plafond d’endettement

Une autre balise, fixée par d’autres experts, guide aussi les travaux budgétaires: la marge d’endettement déterminée par le Conseil régional du trésor. Elle est, pour 2024, de 2,5 milliards d’euros, soit le même plafond que pour 2023. Compte tenu des moyens apportés par l’Europe et la Banque européenne d’investissement, ainsi que de la sous-consommation de crédits attendue, cela correspond à un déficit maximal de trois milliards d’euros pour 2024. Tel est en tout cas l’objectif qu’Adrien Dolimont compte proposer à ses collègues. Il veut absolument éviter de voir le déficit de la Wallonie se creuser à nouveau, après un exercice 2023 qui doit ramener le solde à financer à 3,1 milliards. “Les comptes de résultats sont souvent meilleurs que les budgets, dit-il. Notre budget, c’est un peu un worst case scenario (scénario du pire). Et dans ce budget, il faut aussi une vision prospective et des marges de manœuvre pour répondre aux enjeux sociétaux comme le redéploiement de la Région ou la transition environnementale. Nous devons définir ensemble le point d’équilibre raisonnable.”

Raisonnable, l’adjectif fait bondir le chef de file des Engagés, François Desquesnes. “Un déficit de trois milliards, cela signifie que la Wallonie vit 15% au- dessus de ses moyens (17 milliards de recettes, Ndlr), je ne pense pas que l’on puisse trouver cela raisonnable, dit-il. Je ne comprends pas cette boulimie de dépenses du gouvernement. Regardez le plan de relance: un tiers du budget va aux quatre axes prioritaires, déterminés avec les partenaires sociaux. Tout le reste, ce sont des ministres qui se font plaisir avec des projets dans le sport, l’environnement ou d’autres domaines, sans trop se soucier de l’efficacité des dépenses.” Et de citer le fonds pour le rayonnement de la Wallonie, la création de parcs naturels ou les territoires “zéro chômeur de longue durée”, autant de projets que le chef de groupe des Engagés trouve “sympathiques” mais dont l’impact sur le tissu wallon ne lui semble pas suffisamment démontré.

JEAN HILGERS
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Si elles sont tenues dans le temps, ces mesures peuvent avoir un effet structurel assez considérable.”
JEAN HILGERS, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION EXTERNE DE LA DETTE

Une culture de l’évaluation, enfin

Le gouvernement entend cependant évaluer l’efficacité des politiques menées. Mais il le fera a posteriori, via la méthode de la spending review. Le prédécesseur d’Adrien Dolimont, Jean-Luc Crucke (passé depuis chez Les Engagés), avait initié une réflexion sur le Budget base zéro (BBZ). Cela visait à vérifier l’opportunité de chaque dépense, au lieu de reproduire les tableaux budgétaires d’année en année. Une tâche titanesque et qui, en outre, risquait de se heurter assez vite aux tabous politiques des trois partenaires de la coalition. Elle n’est donc pas poursuivie mais, rassure le ministre, la réflexion sur le BBZ menée avec le bureau Roland Berger (un contrat de consultance à 10 millions d’euros) n’est pour autant à ranger parmi les travaux inutiles. Parmi les 250 millions d’économies structurelles dégagées l’an dernier, 37 étaient directement issues des recommandations de Roland Berger (réforme des avances récupérables, des primes à l’investissement et des titres-services). “Si tous les investissements de 10 millions en rapportaient 37, nous en ferions beaucoup plus”, résume en souriant Adrien Dolimont.

Le ministre conserve par ailleurs l’idée d’un épluchage des dépenses mais en limitant le travail à quelques thèmes précis: c’est ce qu’il appelle la spending review. “Lors de ce conclave, nous fixerons trois à cinq sujets qui feront l’objet d’une spending review, confie-t-il. Des politiques publiques ont été décidées afin de répondre à une série d’objectifs. Nous évaluerons si ces objectifs sont atteints. Et si ce n’est pas le cas, des moyens pourront être réorientés. Cela contribuera au développement d’une culture de l’évaluation des politiques publiques.” Les résultats de ces premières spending reviews pourraient être implémentés dans l’élaboration du budget 2025. Adrien Dolimont proposera notamment d’étudier l’efficacité de la gestion immobilière de la Wallonie (qui relève de ses compétences ministérielles).

L’explication ne convainc guère François Desquesnes, qui retient surtout que les révisions sont reportées à la prochaine législature. “C’est un peu la politique de l’autruche budgétaire, pointe-t-il. La dette sera passée de 23 milliards fin 2019 à 40 milliards fin 2024. Le covid et les inondations n’expliquent qu’un quart de ce dérapage.” Il redoute d’autant plus l’impact de ces chiffres que l’Europe devrait tourner la page du covid et de la flambée des prix énergétiques, pour s’inquiéter à nouveau du déficit “excessif” de certains Etats. Certes, l’Europe ne pointera pas directement une entité fédérée (en revanche, les agences de notation pourraient le faire) mais des remontrances à l’égard du pays se répercuteraient fatalement sur les relations entre ces entités. “L’an prochain, nous serons en négociation avec les partis flamands pour former le gouvernement fédéral, insiste François Desquesnes. La Wallonie se trouvera dans une position de faiblesse au moment d’aborder ces discussions.”

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