La taxe sur les plus-values est un tabou depuis 1959

Simon Watteyne est chercheur au FNRS
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Réinstaurer une taxe sur les plus-values serait historique en Belgique. Mais jusqu’en 1959, une telle taxe existait bel et bien chez nous.

A la suite de la Première Guerre mondiale et jusqu’à la fin des années 1950, la Belgique avait un système fiscal très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui, explique l’historien Simon Watteyne, chercheur au FNRS qui a publié l’an dernier aux éditions du CRISP, un ouvrage de référence sur le sujet (Lever l’impôt en Belgique. Une histoire de combats politiques (1830-1962)).

“A cette époque, il n’y a pas encore d’impôt des sociétés, indique-t-il. La fiscalité sur les revenus du capital est assez basse et, surtout, il existe de multiples niches fiscales qui permettent notamment aux sociétés financières, aux banques, aux institutions de crédit, d’échapper presque totalement à la fiscalité mobilière. La taxation des plus-values existait, mais était déjà en partie contournée par toute une série d’acteurs.”

Expansion économique

Arrivent alors les années 1950, qui, contrairement à d’autres pays, ne sont pas très toniques pour l’économie belge. “Là où les pays voisins connaissent une croissance économique qui s’accélère – on parle ainsi des “Trente glorieuses” en France –, les années 1950 sont une décennie perdue en Belgique. Nous nous retrouvons, à la fin de cette période, avec une coalition de centre droit, entre les libéraux et les sociaux-chrétiens du CVP et du PSC, qui décide, pour relancer l’économie, de voter (sous Gaston Eyskens, ndlr) ce qu’on a appelé les lois d’expansion économique, dont un des articles vise à détaxer les plus-values de manière générale.

Le discours est assez simple : il faut accentuer les avantages fiscaux aux entreprises et aux sociétés financières pour rendre la Belgique toujours plus attractive pour les capitaux, belges et étrangers, afin de susciter des investissements.” C’est d’autant plus nécessaire qu’au même moment, la Belgique entre dans la Communauté économique européenne. “Il faut rester compétitif par rapport à nos voisins”, souligne Simon Watteyne.

“Ces mesures font aussi partie d’une réflexion plus large de ce gouvernement de centre droit, de réformer la fiscalité sur les revenus qui existait depuis la Première Guerre mondiale, en introduisant l’impôt sur les sociétés et l’impôt des personnes physiques”, ajoute-t-il. Car ces impôts existaient déjà dans tous les autres pays d’Europe occidentale.

“C’est assez fascinant de voir que ce sujet est revenu au centre des discussions politiques actuelles.” – Simon Watteyne (historien)

Marchandage politique

En 1959, les socialistes, alors dans l’opposition, votent contre la détaxation des plus-values. “Mais quand la réforme fiscale de l’impôt des sociétés et de l’IPP est mise sur le tapis, en 1961-62, les libéraux ne sont plus dans le gouvernement, qui est alors de centre gauche (socialistes et sociaux-chrétiens). Il y a alors de longues discussions : les socialistes veulent à nouveau taxer les plus-values, les sociaux-chrétiens veulent maintenir l’absence de taxation”, poursuit l’historien.

On trouve un compromis : on maintient l’absence de taxe sur les plus-values, mais on supprime certaines niches fiscales dont bénéficiaient les sociétés financières. “C’est le moment pour moi où la taxation des plus-values, qui venait d’être décidée fin des années 1950, a été la plus menacée. Les socialistes estimaient que c’était une injustice fiscale faite aux bénéfices des plus riches. Par la suite, il n’y a plus eu de menace sérieuse. On a même été dans le sens inverse en ce qui concerne les revenus du capital, avec l’introduction du précompte mobilier libératoire en 1983, la diminution de l’impôt des sociétés à partir des années 1980. Il n’y a donc jamais eu de nouvelle crise politique sur cette question-là. C’est assez fascinant de voir que ce sujet est revenu au centre des discussions politiques actuelles”, conclut Simon Watteyne.

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