La taxe sur les plus-values arrive: quelle est la valeur de votre entreprise

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Jozef Vangelder Journaliste chez Trends Magazine

Selon une enquête de la Vlerick Business School, une entreprise technologique est valorisée en moyenne neuf fois son flux de trésorerie opérationnel, tandis qu’une entreprise du secteur de la construction atteint à peine la moitié de cette valorisation. Pourtant, la taxe sur les plus-values, telle qu’envisagée, traite l’ensemble des entreprises non cotées sur un pied d’égalité. Un choix jugé risqué par plusieurs experts.

La valeur des entreprises cotées en Bourse peut être facilement déduite à partir du cours de leurs actions. En revanche, évaluer la valeur des sociétés non cotées constitue un exercice bien plus complexe. Afin d’éclairer cette problématique, la Vlerick Business School mène chaque année une enquête auprès d’un large échantillon de spécialistes des fusions et acquisitions : quels montants sont déboursés lors des transactions qu’ils accompagnent ? L’édition 2024 de cette étude révèle que les transactions s’effectuent en moyenne à 6,5 fois le flux de trésorerie opérationnel (EBITDA).

Ce rapport, intitulé M&A Monitor, en est à sa douzième édition. Il est réalisé par le professeur Mathieu Luypaert, en collaboration avec les doctorants Sarah Muller et Tom Floru. L’enquête repose sur les réponses de 156 experts belges en transmission d’entreprises, parmi lesquels des consultants, banquiers, avocats d’affaires et acteurs du capital-investissement.

Une valorisation à géométrie variable

Le facteur multiplicatif de 6,5 ne prend tout son sens que mis en perspective. La valorisation dépend fortement du secteur d’activité et de la taille de l’entreprise. Dans les secteurs en croissance — santé, pharmacie, technologie — les multiplicateurs atteignent 8 à 9, selon le M&A Monitor. À l’opposé, dans les secteurs à potentiel de croissance limité — transport, logistique, distribution — ils chutent autour de 5,5. Le secteur de la construction affiche le niveau le plus faible, avec un multiple de 4,8, soit environ la moitié de celui des entreprises technologiques.

La taille de l’entreprise joue également un rôle déterminant. Pour les transactions supérieures à 100 millions d’euros, le multiple atteint 10,5. Pour les transactions inférieures à 5 millions d’euros, il tombe à 5, voire moins. Une différence que Mathieu Luypaert explique par le niveau de risque : « Le risque de faillite est plus élevé pour une petite entreprise, souvent centrée autour d’une seule personne. À l’inverse, les grandes structures bénéficient généralement d’un management professionnel, ce qui diminue les risques. »

Autre facteur à considérer : l’impact des taux d’intérêt. Kristoph Wauters, spécialiste M&A et analyste crédit chez Bank Van Breda, souligne : « Lorsque les taux augmentent, les repreneurs peuvent emprunter moins, ou à des conditions moins favorables, ce qui limite leur capacité à faire des offres élevées. Cet effet est particulièrement marqué dans les petites transactions. Les grandes opérations disposent souvent de davantage de fonds propres ou d’alternatives de financement. »

L’enquête s’est également penchée sur l’influence de la localisation. Pour les PME, la région d’implantation joue un rôle : en Flandre, elles sont en moyenne mieux valorisées qu’à Bruxelles ou en Wallonie.

Une formule contestée

Trop de paramètres influencent la valorisation d’une entreprise non cotée pour qu’une simple formule puisse suffire. Pourtant, selon un avant-projet ayant fuité, c’est ce que souhaiterait mettre en place le ministre fédéral des Finances, Jan Jambon (N-VA), dans le cadre de son projet de taxe sur les plus-values d’actions non cotées. Seules les plus-values réalisées à partir de 2026 seraient concernées, impliquant une valorisation au 31 décembre 2025. Pour ce faire, la méthode envisagée combine les fonds propres et quatre fois l’EBITDA.

« Une formule étrange », tranche Mathieu Luypaert. « Elle mélange deux approches : la valeur comptable via les fonds propres, et la performance opérationnelle via l’EBITDA. En outre, elle applique un multiplicateur uniforme, alors que nos données démontrent que ce chiffre varie fortement selon le secteur, la taille et la région. »

La formule ne prévoit en outre aucun ajustement des variables. Philippe Craninx, managing partner Corporate Finance chez Moore Belgium, donne un exemple : « Si je possède un immeuble acheté il y a trente ans et inscrit pour un million d’euros au bilan, mais qui vaut aujourd’hui 15 millions, mon capital propre est sous-évalué. Pour une juste valorisation, il faut d’abord en déduire les impôts dus en cas de vente, puis intégrer le solde dans les fonds propres. »

Quant à l’EBITDA brut, il est rarement utilisé tel quel dans les pratiques professionnelles. « En réalité, on travaille toujours avec un EBITDA corrigé », explique Kristoph Wauters. « Mais quelle est la bonne version ? Cela dépend, par exemple, de la rémunération du dirigeant, qui peut varier énormément. »

Des inquiétudes pour les jeunes entreprises

Le cabinet de Jan Jambon n’a pas souhaité commenter. Dans l’opposition, Vincent Van Quickenborne (Open VLD) réclame l’abandon du projet, arguant qu’il nuit à l’attractivité de la Belgique pour les investisseurs : « On évoque une taxe de 10 % sur les plus-values. C’est une brèche dans la digue, qui risque de s’élargir rapidement. »

Il alerte également sur l’impact de la mesure sur les jeunes entreprises technologiques, souvent faiblement capitalisées et à EBITDA négatif. « Cette formule les sous-valorise gravement. En cas de revente, la plus-value serait donc élevée et fortement taxée, ce qui découragerait les investisseurs. »

Le projet prévoit cependant une alternative : une évaluation par un réviseur ou un expert-comptable agréé. Un coût estimé à 10.000 euros, ce qui reste prohibitif pour nombre de petites entreprises. Philippe Craninx nuance : ce coût varie de 3.500 à 35.000 euros selon la complexité. Il soulève néanmoins un autre point : « Les réviseurs sont des professionnels sérieux, mais pas nécessairement formés à l’évaluation de marché. Cela requiert une analyse plus large, prenant en compte des éléments tels que la solidité de l’équipe dirigeante, sa proximité avec la retraite, ou encore l’équilibre global de la société. »

Selon lui, seule une étude approfondie du marché des reprises permet une évaluation correcte. « Certains secteurs sont très demandés, d’autres pas du tout. Or cette expertise relève des spécialistes en corporate finance, une profession non réglementée, où l’on trouve de tout. »

Trouver une méthode de calcul équitable

Le projet de loi prévoit un abattement fiscal annuel de 10.000 euros. Pour les personnes détenant au moins 20 % des actions d’une société, une exonération jusqu’à 1 million d’euros s’appliquerait. Le taux de 10 % ne serait alors appliqué qu’au-delà d’une plus-value de 10 millions d’euros, des paliers intermédiaires étant également prévus. Ces dispositifs ne sont pas nouveaux, rappelle Luc Wynant, avocat associé chez Van Olmen & Wynant : « Une société qui détient au moins 10 % du capital d’une autre, ou qui y a investi plus de 2,5 millions d’euros, n’est pas taxée sur la plus-value en cas de cession. En dessous de ces seuils, un taux de 25 % s’applique. La Belgique taxe donc déjà les plus-values sur actions, mais uniquement au niveau des entreprises, et très rarement au niveau des particuliers. »

Il reste que trouver une méthode applicable et équitable pour évaluer les actions non cotées demeure un défi. « La formule proposée est imparfaite, mais je ne vois pas de meilleure solution », admet Philippe Craninx. « L’évaluation n’est pas une science exacte », confirme Mieke Van Hoydonck, responsable du département Conseil chez Bank Van Breda. « Trop de facteurs entrent en jeu. Aucune formule ne pourra satisfaire tout le monde. »

Le marché des acquisitions repart

Après une année 2024 relativement stable, le marché des acquisitions repart à la hausse en 2025, selon le M&A Monitor. Parmi les experts interrogés, 63 % anticipent une augmentation du nombre de transactions, et plus de la moitié tablent sur une hausse supérieure à 10 %. Fait notable : les transactions de plus de 20 millions d’euros sont plus volatiles. « Elles sont davantage exposées aux tensions géopolitiques et aux conditions de marché », note Mathieu Luypaert. « Les petites transactions concernent souvent des entrepreneurs en fin de carrière. »

L’enquête a été menée en février. Elle n’intègre donc pas encore les effets de la guerre commerciale initiée par Donald Trump début avril. Luypaert prévoit un double impact : « L’incertitude pèsera sur l’activité, mais certaines entreprises européennes pourraient aussi chercher à contourner les droits de douane américains en rachetant des sociétés locales. La faiblesse du dollar rend ces acquisitions plus abordables. »

Par ailleurs, de nombreux entrepreneurs surestiment la valeur de leur société. Dans 59 % des transactions, l’offre initiale est inférieure de plus de 10 % aux attentes du vendeur ; dans 32 %, l’écart est inférieur à 10 %. « Un entrepreneur met naturellement en avant les forces de son entreprise, ce qui conduit souvent à une surestimation », explique Luypaert.

Les repreneurs se prémunissent de plus en plus contre les mauvaises surprises via des assurances garanties et indemnisation. « Le vendeur doit garantir que l’entreprise est saine, sa comptabilité en ordre, qu’elle ne fait pas l’objet de litiges, et qu’elle dispose des autorisations requises », détaille Luc Wynant. « En cas de fausse déclaration, l’acheteur peut réclamer une indemnisation. Ces assurances, autrefois limitées au monde anglo-saxon, sont aujourd’hui utilisées même pour de petites transactions. Elles rassurent les acheteurs : en cas de problème, c’est l’assureur qui paie, même si le vendeur s’est évaporé. »

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