La crise Adani, un test clé pour Modi
Une enquête appropriée sur les accusations de fraude portées contre le groupe du magnat Gautam Adani à l’origine de sa débâcle boursière sera, selon les analystes, un test-clé pour l'”India Inc” du Premier ministre Narendra Modi aspirant à rivaliser avec la puissance de la Chine sur le terrain économique.
Le conglomérat de M. Adani subit durement les accusations de fraude comptable portées par la société d’analyse en investissements Hindenburg Research la semaine dernière. Le groupe y avait réagi dimanche en se disant victime d’une attaque “malveillante” visant à salir sa réputation. “Ce n’est pas seulement une attaque injustifiée contre une entreprise spécifique, mais une attaque calculée contre l’Inde, l’indépendance, l’intégrité et la qualité des institutions indiennes, ainsi que l’histoire de la croissance et l’ambition de l’Inde”, a-t-il répliqué dans une longue déclaration qui semble ne pas avoir convaincu les investisseurs. La capitalisation boursière combinée du conglomérat a chuté de plus de 120 milliards de dollars depuis la publication du rapport Hindenburg Research.
Selon des analystes, cette tempête nuit à l’image de l'”India Inc” (entreprises non-étatiques indiennes) au moment même où elle cherche à détourner les investisseurs étrangers de la Chine. Gautam Adani a vu sa fortune personnelle dégringoler de plusieurs dizaines de milliards de dollars, l’excluant du Top 10 des grandes fortunes mondiales établi par Forbes en temps réel. “Nous pensons que le groupe Adani a été en mesure d’effectuer une fraude importante et flagrante au grand jour, en grande partie parce que les investisseurs, les journalistes, les citoyens et même les politiciens ont eu peur de parler par crainte de représailles”, a accusé Hindenburg Research. La société américaine affirme que les activités douteuses d’Adani “semblent être rendues possibles grâce à un contrôle financier pratiquement inexistant”, laissant entendre que les autorités fermaient les yeux.
Magnats déchus
La liste des magnats déchus pour corruption est longue en Inde, du bijoutier des stars en fuite Nirav Modi – qui n’a aucun lien de parenté avec le Premier ministre – à Vijay Mallya, des brasseries Kingfisher. Le bijoutier accusé d’avoir escroqué l’un des plus grands prêteurs indiens, soutenus par l’État, de 1,8 milliard de dollars, a fui l’Inde en 2018. M. Mallya lui a quitté le pays en 2016, laissant une dette de plus d’un milliard de dollars à la suite d’un défaut de paiement auprès d’une banque publique avant un détournement présumé de fonds. La chute de ces empires sous M. Modi a suscité l’espoir qu’en plus de donner plus de pouvoirs aux régulateurs, il était déterminé à s’attaquer à la corruption. Si la campagne de démonétisation en 2016 du Premier ministre — éliminant près de 86% des billets de banque — a mal été gérée, son objectif déclaré était d’éradiquer la corruption au profit de la transparence des transactions.
“En fait, je complimenterais vraiment le Premier ministre Modi”, a déclaré à l’AFP Tim Buckley, un analyste australien spécialiste du marché de l’énergie en Inde, “il y a sept ans, le capitalisme de connivence était endémique en Inde”.
Gujarat Connection
Mais l’ascension du groupe de M. Adani, parallèle à celle de la carrière politique fulgurante de M. Modi, tous deux originaires du Gujarat, pourrait raconter une autre histoire, selon leurs détracteurs. Selon eux, déjà alliés quand M. Modi dirigeait le Gujarat, une fois devenu Premier ministre, leur connivence s’est étendue au niveau national, permettant au groupe Adani de se développer dans presque tous les secteurs de l’économie, avec une surveillance réduite, tout en s’endettant de plus en plus. M. Adani s’est défendu vendredi d’être redevable au Premier ministre pour “son succès professionnel”. Mais selon l’analyste de marché indépendant Ambareesh Baliga, Adani est un cas isolé, rappelant la forte croissance économique de l’Inde sous M. Modi.
“Pour l’instant, je ne mettrais pas India Inc dans le même sac, car le rapport (Hindenburg) porte essentiellement sur le groupe Adani”, fait valoir M. Baliga à l’AFP, “en Inde, la gouvernance d’entreprise s’est beaucoup améliorée en plus d’une décennie. Ce n’est plus ce que c’était il y a vingt ou trente ans”. Néanmoins, d’autres analystes estiment qu’il reste à savoir comment les autorités vont enquêter sur le groupe Adani. Le régulateur des marchés de capitaux, le Securities and Exchange Board of India (SEBI), n’a pas répondu à l’AFP vendredi qui cherchait confirmation de l’ouverture d’une enquête sur les accusations d’Hindenburg.
Selon le rapport incriminant le groupe Adani, le SEBI avait enquêté dès 2021 sur des parties prenantes suspectes basées à l’île Maurice, mais n’avait toujours pris aucune mesure plus d’un an après. “Est-ce qu’ils posent des questions, exigent des révélations ? Tout cela est crucial à l’extrême”, estime l’analyste indépendant Srinath Sridharan, “cela va également faire jaser sur la véritable indépendance de l’autorité de régulation”.
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