La course aux voitures électriques abordables : le prix sera-t-il un jour moins élevé que celui les voitures à carburant ?

Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le tarif élevé des voitures électriques explique le reflux relevé dans les chiffres d’immatriculation de ces véhicules en Europe. Sur les huit premiers mois, ils ont reculé de plus de 8% dans l’UE, un coup dur pour un secteur qui a investi plus de 100 milliards d’euros dans la transition vers l’électrification, bien partie l’an dernier.

La Belgique fait exception, avec une croissance de plus de 40% de janvier à août 2024, poussée par les voitures de société. Chez nous, une auto neuve sur quatre est électrique, alors qu’elles sont moins de deux sur dix en Europe.

La frontière des 30.000 euros

La transition est-elle remise en cause ? C’est surtout la manière dont elle est gérée par les constructeurs européens qui explique ces déboires. Ils ont misé sur des voitures à 45.000 euros et plus, hors de la portée des bourses de la majorité des automobilistes. Celle produite par Audi Brussels (qui menace de fermer), la Q8 e-tron, est vendue plus de 80.000 euros. “VW, Renault, tous ont tablé sur des modèles plutôt chers”, déclare Patrick Pélata, ancien directeur général adjoint du groupe Renault, président de l’Académie des Technologies (France). “En 2022 et 2023, ces ventes pouvaient se faire car l’offre était inférieure à la demande dans le marché automobile, à cause notamment du manque de composants électroniques, poursuit-il. Il n’y avait plus de remises. Depuis lors, le marché s’est retourné, il n’y a plus de pénurie, les remises reviennent, les prix baissent, les profits avec. Pour les voitures électriques, après que les ménages aisés sensibles à l’écologie se soient équipés de voitures chères, et sans voitures abordables pour tous les autres, la demande s’est refroidie.”

La Q8 e-tron assemblée chez Audi Brussel : les constructeurs européens ont misé sur des autos à 45.000 euros et plus, hors de la portée des bourses de la majorité des automobilistes.

“Il y a une courbe prix/volume bien connue dans le secteur, où l’on voit la demande s’effondrer au-delà d’un certain prix, qui se situe probablement autour des 30.000 euros”, continue Patrick Pélata. La hausse des taux d’intérêt a aussi changé les choses pour l’ensemble du marché, mais les conséquences sont plus dures pour les électriques car elles sont environ 30% plus chères que les automobiles à carburant.

Plusieurs pays avaient attribué des primes à l’achat pour les particuliers, mais les ont revues, voire supprimées. La France impose un critère environnemental pour exclure les autos made in China. Ce qui a plombé les ventes de la voiture électrique la plus vendue du groupe Renault, la Dacia Spring, fabriquée en Chine et vendue sous les 18.000 euros.

Il y a une courbe prix/volume, où l’on voit la demande s’effondrer au-delà d’un certain prix, qui se situe probablement autour des 30.000 euros.
Patrick Pélata

Patrick Pélata

Académie des technologies

En Belgique, seule la Flandre a mis en place une prime de 5.000 euros, limitée à l’année 2024. L’Allemagne a carrément supprimé la prime à l’achat en 2023, précipitant le recul actuel du marché européen.

Le groupe VW en difficulté

Les constructeurs européens s’échinent à proposer une offre plus abordable, et rabotent les coûts. Avec de nouveaux modèles en perspective, et déjà une baisse des tarifs sur les modèles existants. Tesla a montré l’exemple début 2023, imité par Volkswagen et Renault, sur ses modèles à batteries. La concurrence chinoise, qui pointe son nez, crée une pression supplémentaire.

Le groupe le plus touché par ce coup de froid est le numéro un européen, Volkswagen, qui a émis plusieurs avertissements successifs, avec des baisses des prévisions de ventes et de résultats pour 2024. Il se lance dans une restructuration dont la Belgique fait les frais. Audi Brussels (Audi est une filiale du groupe VW) a lancé une procédure Renault qui pourrait mener à la fermeture de l’usine et la perte de 3.000 emplois. Le groupe VW envisage de fermer deux autres usines en Allemagne. Il avait investi massivement dans l’électrification et les ventes ne sont pas au rendez-vous.

Le CEO du groupe, Oliver Blume, a mis fin à l’accord de garantie d’emploi en Allemagne, qui concerne 120.000 salariés, avec l’objectif de restructurer, un véritable séisme pour le groupe où les syndicats siègent au conseil d’administration. “Les soucis du groupe VW sont le résultat d’une contraction du marché européen (toutes motorisations confondues, ndlr) qui pose un problème à tous les constructeurs européens. Il se situe deux à trois millions de voitures sous la période pré-covid”, indique Matthias Schmidt, expert indépendant du secteur de la voiture électrique, qui dirige un bureau homonyme basé près de Brême. “Le groupe VW a tablé sur un marché européen annuel de 14 à 15 millions, on est loin du compte, et c’est l’un des grands groupes qui a le moins restructuré sa base de production.” Renault ou Stellantis ont, eux, réduit leurs effectifs depuis 2019.

Pour traverser cette crise, le groupe VW ne peut plus trop compter sur le marché chinois, où il était dominant avec plus de quatre millions de voitures livrées en 2019. Ses ventes ont diminué de 25%. “Le groupe VW a perdu les bénéfices en Europe et des effets d’échelle en Chine. Cela lui cause des maux de tête”, estime Matthias Schmidt. Il doit se battre pied à pied contre la concurrence de marques chinoises comme BYD, devenu numéro un mondial de l’auto électrique.

Les recettes de Mario Draghi
L’ancien patron de la BCE, Mario Draghi, a remis un rapport sur la compétitivité des entreprises européennes, dans lequel l’industrie automobile occupe une place de choix, avec 6,1% des emplois dans l’UE. Il note que l’Europe perd du terrain par rapport aux Etats-Unis ou la Chine et qu’il faudrait investir au moins 800 milliards d’euros pour combler l’écart. Pour l‘industrie automobile, il estime que la Commission européenne a lancé l’objectif des voitures zéro émission en 2035 sans avoir suffisamment prévu les étapes de la transition, contrairement à la Chine.
L’Europe a lancé l’European Battery Alliance pour encourager la fabrication de batteries longtemps après les Chinois, “qui se sont focalisés sur toute la chaîne de fournisseurs des véhicules électriques, et, en conséquence, ont avancé plus vite, à une plus grande échelle, et ont maintenant une génération d’avance dans quasi tous les domaines de l’auto électrique, et produisent à moindre coût”. (*)
L’épais rapport (380 pages) avance une série de propo­sitions, dont un plus grand partage de ressources entre cons­tructeurs, sans risque de procédure contre les ententes, dans des domai­nes clés comme les voitures bon marché, la conduite autonome ou les software-­defined vehicles (voitures définies par le software), nouvelle architecture technique des automobiles, qui pourront se mettre à jour et s’améliorer à distance.
(*) “The future of european competitiveness”, septembre 2024.

L’électrification remise en cause ?

Est-ce que l’objectif voté par le Parlement européen, à savoir la vente exclusive de voitures zéro émission à partir de 2035, est remis en cause ? La nouvelle Commission, qui doit encore s’installer, devrait voir ce sujet arriver sur la table, avec la pression notamment du gouvernement italien. Un réexamen est prévu en 2026 pour voir si l’échéance est tenable.

Jusqu’à présent, aucun constructeur n’a renoncé, en Europe, à l’électrification. Un grand nombre de nouveaux modèles à batteries sont annoncés. Il y a des ajustements, parfois douloureux. Ceux qui avaient prévu d’arrêter les modèles à carburant dès 2030, comme Volvo ou Renault, ont changé leur fusil d’épaule et continueront à proposer des hybrides, estimant la transition plus longue qu’espéré.

Plusieurs projets d’usines de batteries en Europe sont mis au frigo. Le suédois Northvolt restructure et met sur pause trois futures usines. ACC, co-entreprise entre Stellantis, Mercedes et TotalEnergies, a aussi gelé trois projets d’usines de batteries, en Allemagne et en Italie.

La relance grâce à des modèles moins chers

Le recul sera-t-il durable ? “Les ventes devraient redémarrer d’ici la fin de l’année et en 2025”, espère Matthias Schmidt. Ce coup de froid s’explique par l’effondrement du premier marché européen, l’Allemagne, qui avait mis fin aux aides d’achat d’autos électriques pour les entreprises et aux primes aux particuliers en 2023. “Le marché va surtout revenir à cause des objectifs d’émissions de CO2 en 2025, qui sera un moteur pour la vente de voitures électriques.” Les constructeurs devront afficher un recul de 15% des émissions de CO2, en moyenne, sur les véhicules vendus, sous peine de payer une amende.

Vendre plus d’automobiles électriques permet d’arriver à cet objectif. Une rafale de modèles meilleur marché sont attendus en 2025, comme la Renault 5, la Skoda Epiq, à partir de 25.000 euros. La Citroën ë-C3, à moins de 25.000 euros, arrive maintenant, ainsi que des modèles bon marché chinois, dont ceux de Leapmotor, assemblés en Europe via une joint-venture entre Stellantis et le constructeur chinois, dans une usine du groupe européen basée en Pologne.

Leapmotor. Ce modèle bon marché chinois (à partir de 18.400 euros), assemblé en Europe grâce à une joint-venture avec Stellantis, arrive sur le marché européen.

Le lobbying des constructeurs

Optimiste, l’ONG Transport&Environnement estime que cette vague de modèles moins chers devrait relancer la voiture électrique, et monter sa part de marché entre 20% et 24% des immatriculations en 2025, contre 14,4% en août. Elle conteste la demande du président de l’ACEA (fédération européenne des constructeurs d’autos), le CEO de Renault, Luca de Meo, de reporter l’échéance de 2025 pour les émissions d me CAFE).

Plusieurs constructeurs pourraient ne pas parvenir à respecter le recul de l’émission moyenne de CO2 de 15% pour les voitures. “Selon nos calculs, si l’électrique reste au niveau d’aujourd’hui, l’industrie européenne va peut-être devoir payer 15 milliards d‘euros d‘amende ou renoncer à la production de plus de 2,5 millions d’exemplaires”, a-t-il expliqué à France Inter, demandant “un peu de flexibilité”. C‘est-à-dire un report de l’échéance de 2025, où l’émission moyenne de CO2 par km devrait arriver à 81 g, soit 15 % de moins par rapport à la limite actuelle.

La demande ne fait pas l’unanimité. “La même manœuvre avait été tentée en 2019, lors de la précédente échéance de 2020. C’est du lobbying politique”, ajoute Matthias Schmidt. “Les constructeurs étaient au courant depuis 2019, ils ont eu le temps de se préparer”, dit Patrick Pélata.

Le CEO du groupe Stellantis, Carlos Tavares, y est opposé. “Du point de vue de la concurrence si chère à l’Union européenne, il serait surréaliste de changer les règles maintenant”, a-t-il expliqué à l’AFP. Stellantis devrait parvenir à respecter la norme en 2025, comme Volvo, qui est en avance. Pour Ford et Volkswagen, ce sera plus dur.

Transport&Environnement suggère aux constructeurs hors des clous de négocier un pool avec des constructeurs plus performants en émissions de CO2, comme Tesla, qui a déjà encaissé naguère quelques milliards de dollars dans ce genre d’opération.

Les rudes normes d’émission
• Norme CAFE, pour le CO2. Ce sont les normes d’émissions de CO2, un gaz contribuant au réchauffement climatique (CAFE signifiant Corporate Average Fuel Economy). Elles ont été fixées en 2019 avec des étapes : 2020, 2025 et 2030. En 2020, la moyenne des automobiles vendues ne devait pas dépasser 110,1 g de CO2/km (norme WLTP). En 2025, le seuil recule de 15% (93,6 g), en 2030, de 55% (soit 49,5 g).
• Norme Euro, pour les émissions toxiques. Ces normes servent de base pour les zones à basses émissions (Bruxelles, Anvers et Gand). Elles ne por­tent pas sur le CO2, qui n’est pas toxique en soi, mais sur des émissions dangereuses comme l’oxyde d’azote et les micro-­particules. La dernière norme en vigueur est l’Euro 6d (depuis 2021), et la norme Euro7 sera mise en place dans les nouvelles voitures et utilitaires vendus à la fin de 2026. Elles concer­nent aussi les autos électri­ques (durabilité de la batterie, les micro­particules émises par les pneus et les freins).

Bientôt moins chères que les voitures à essence ?

Ce qui pourrait relancer durablement le marché est le prix des voitures électriques : sera-t-il un jour moins élevé que celui des engins à carburant ? “Oui, sans doute, car leur prix tendra à diminuer avec le volume, aussi parce que les voitures à carburant coûteront plus cher à produire avec la norme Euro7. La parité devrait arriver vers 2028”, avance Matthias Schmidt.

Patrick Pélata estime que ce sera possible surtout si l’on freine l’inflation de la capacité des batteries, pour obtenir des autonomies au-delà des 600 km. “On n’a pas besoin de batterie de 80 kWh et davantage, cela revient à augmenter l’empreinte carbone de la production. Une batterie de 40 kWh (autonomie d’environ 300 km, ndlr) devrait suffire. Je roule en Renault Zoe, et je fais parfois des trajets de 150 à 180 km, sans problème.”

Cette approche, qui réduirait le prix des voitures, suppose une densification des réseaux de recharge, qui fera fondre progressivement l’anxiété de l’autonomie, première préoccupation des automobilistes intéressés par une voiture électrique.

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