La confiance des consommateurs en baisse: “Aujourd’hui, le virus reste le pilote” (entretien)
La confiance des consommateurs retrouve le point bas qu’elle avait atteint en avril. Les perspectives économiques sont nettement plus sombres et la crainte du chômage s’accroît. Entretien avec Philippe Ledent, senior economist chez ING Belgique.
Êtes-vous surpris par l’évolution négative de la confiance des consommateurs ?
Pas du tout, on a l’évolution à laquelle on s’attendait. Ces indicateurs avaient fortement plongé en mars/avril en raison du confinement, ce qui est logique. Et puis on s’attendait à ce qu’en mai et juin ils se redressent ; et c’est effectivement ce qu’il s’est passé. La confiance était revenue et les indicateurs PMI (purchasing managers index–en lien avec les entreprises) se portaient mieux. C’était tout à fait logique compte tenu du déconfinement.
Quand vous sortez d’un confinement, forcément vous allez avoir une activité plus forte. Mais cela ne veut pas pour autant dire que ça va durer. Cela ne montre pas que l’économie va pouvoir sortir rapidement ou lentement de la crise.
Et donc aujourd’hui, on voit que les indicateurs de confiance diminuent de nouveau. Évidemment parce que la situation sanitaire est loin d’être arrangée, là où en mai on pouvait encore espérer que ce virus disparaisse comme le SRAS à l’époque. On a un retour à la réalité, on est dans une situation sanitaire fragile et ça se traduit, en terme économique, par une confiance fragile des consommateurs et des entreprises.
On va devoir apprendre à vivre avec cette peur. Elle modifie notre comportement, ce qui va continuer à peser sur l’activité économique. Et cette situation va probablement durer jusqu’à ce qu’on ait un vaccin. Ceux qui espéraient un retour rapide à une situation normale de notre économie devront bien accepter qu’au contraire, après cette espèce de rebond, nous sommes rentrés dans une plus ou moins longue période où les indicateurs vont jouer au yoyo en fonction de la situation sanitaire. Fondamentalement, les consommateurs vont continuer à avoir peur de consommer et les entreprises vont continuer à avoir peur d’investir. On est rentré en mode survie jusqu’au moment où on aura un vaccin.
Quelles conséquences pour l’État ?
Tout d’abord, si mon raisonnement est correct, en mode survie, un redéploiement de l’économie est quasi impossible. Ça veut dire que, d’un côté, les finances publiques vont continuer d’être sous pression parce qu’elles n’auront pas assez de rentrées.
Ensuite, cela va être difficile de mener des mesures de relance. Le gouvernement aura beau prendre des mesures pour soutenir l’activité économique, mais si les consommateurs et les entreprises ont peur, ça ne marchera pas. Est-ce que cela veut dire qu’il ne faut rien faire et que ce n’est pas grave si l’on n’a pas de gouvernement ? Pas du tout. Il faudrait mettre cette période à profit pour préparer la stratégie de relance une fois que cette peur aura disparu.
Un monde d’avant et d’après ?
Disons que c’est une vision que je n’ai jamais partagée. Généralement, ceux qui parlent du monde d’avant et d’après sont ceux qui n’étaient pas contents du monde d’avant.
En fait, quand on suit une économie de près, on se rend compte à quel point une économie est continuellement en mouvement. Si vous comparez le monde de 2015 et d’aujourd’hui, ce n’est déjà plus pareil. Il y a des secteurs qui disparaissent, d’autres qui apparaissent. La vie évolue au gré des préférences de consommateurs, ou au gré des technologies qui s’améliorent.
Dire que l’économie était dans une espèce d’état stable, et que maintenant il faudrait changer, c’est en donner une fausse image. Ce n’est pas comme ça que le monde fonctionne, ce n’est pas une bonne image de l’économie.
Par contre, ce qui est clair, c’est qu’une crise telle que celle-ci va jouer un rôle d’accélérateur dans les changements à venir. C’est cela qui donne un peu l’impression aux gens qu’il y aura un monde d’avant et un monde d’après. Mais en fait, la crise joue un rôle de catalyseur pour des changements qui étaient probablement déjà présents et qui sont simplement en train de s’accélérer. On en a plusieurs exemples : la digitalisation qui devient de plus en plus présente, l’e-commerce aussi, une tendance à l’économie durable et plus verte.
Quelles seraient les mesures à prendre pour récupérer la confiance ?
Je pense que, malheureusement, une bonne part de la confiance ne se maitrise pas. Tout simplement parce qu’elle est liée à l’évolution de la pandémie. C’est la peur du virus qui gère notre confiance actuellement et on ne peut pas y faire grand-chose.
Par contre, pour essayer de malgré tout de la stimuler, une plus grande stabilité institutionnelle serait déjà un bon début. Quelque part, cette stabilité aurait probablement comme effet direct une plus grande adhésion de la population aux mesures. Avoir un pouvoir légitime et représentatif pourrait aider.
Mais il ne faut pas se faire beaucoup d’illusions. Aujourd’hui, le virus reste le pilote.
De quoi les gens ont-ils le plus peur ?
L’indice de confiance des consommateurs a différentes composantes. On voit aujourd’hui que l’indicateur qui se dégrade le plus, c’est la peur du chômage. On voit très bien que les gens craignent l’évolution du marché du travail. En ce sens, avoir un pouvoir crédible et une stratégie de relance pourrait probablement aider et diminuer cette peur.
L’autre composante c’est la capacité d’épargne. Celle-ci ne cesse de progresser. Cela montre bien que les gens, ayant peur de l’avenir, mettent de l’argent de côté. Alors au final on rentre dans un cercle vicieux parce que la porte de sortie vers une meilleure situation économique, ce serait de consommer plus et épargner moins. Bien sûr, rien n’empêche les gens de consommer autrement, d’évoluer, mais la relance passera par l’augmentation de la consommation.
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