Christophe De Caevel
“La complexité de notre organisation institutionnelle ne permet pas de gérer correctement le pays”
Un problème touche le monde politique belge actuel: sans hiérarchie des normes, et sans partis nationaux, il a laissé s’effilocher son célèbre sens du compromis.
Mais quelle mouche les a donc piqués? D’Alexander De Croo à Sophie Wilmès en passant par Maxime Prévot, des mandataires politiques de premier ordre réclament soudain la refédéralisation d’une série de compétences. Argument récurrent : la complexité de notre organisation institutionnelle ne permet pas de gérer correctement le pays, tant les fils de compétences des uns et des autres se sont entremêlés. Le ministre de la Mobilité François Bellot a carrément parlé de “merdier institutionnel”.
Bon, c’est vrai, la Belgique n’a pas choisi la voie la plus simple avec ses Régions et ses Communautés qui se chevauchent, et un Etat fédéral, dépecé de réforme de l’Etat en réforme de l’Etat, mais qui continue de rythmer l’ensemble de la vie politique. Cette complexité fournit en fait de confortables excuses à nos dirigeants, prompts à se réfugier derrière un “blocage institutionnel” pour expliquer leurs échecs. Or, une institution ne bloque jamais un dossier. Si blocage, croc-en-jambe ou coup de pied en touche il y a, ils proviennent de celles et ceux chargés de faire fonctionner ces institutions, et qui ont choisi d’utiliser ce levier pour faire avancer leurs intérêts politiques. De tels leviers existeront toujours. Vous pouvez refédéraliser la Mobilité ou régionaliser plus encore l’Energie, il subsistera toujours des plages d’intersection entre les niveaux de pouvoir. L’architecture institutionnelle parfaitement lisse n’existe pas. Et c’est peut-être souhaitable car cela préserve un espace de négociation entre les intérêts divergents, ce qui est l’essence même de la démocratie.
Vous pouvez refédéraliser la Mobilité ou régionaliser plus encore l’Energie, il subsistera toujours des plages d’intersection entre les niveaux de pouvoir.
Il faut donc vivre avec cela. Comme la France doit vivre avec ses présidents de Régions (qui n’ont pas le titre de ministre mais gèrent des budgets parfois considérablement plus lourds que nos éminences régionales…) et l’Allemagne avec ses Länder. Le problème, c’est que le monde politique belge actuel a laissé s’effilocher son célèbre sens du compromis. Il souffre d’une double faiblesse sur ce plan. D’une part, il n’existe pas de hiérarchie des normes et des institutions: chaque conflit doit se résoudre par la négociation et il faut bien admettre qu’à la longue, cela peut devenir usant. D’autre part, il n’y a plus de partis nationaux, personne ne doit rendre de compte aux citoyens de l’autre communauté, ce qui est un cas unique au monde. Ces deux faiblesses se renforcent: qu’allez-vous négocier en comité de concertation – l’instance dont le rôle est de déminer et dépasser les conflits entre les entités belges – si les électeurs des autres régions ne vous intéressent pas? “Le comité de concertation, c’est le sommet du système qui ne fonctionne plus, se désole Alexander De Croo dans La Libre. Plus de la moitié des sujets abordés finissent en une ‘prise d’acte’ et rien ne se passe.”
Or, ce comité de concertation devrait, à l’inverse, être la tête de pont de la Belgique issue de la sixième réforme de l’Etat. Une instance capable d’impulser d’ambitieux projets communs, avec le soutien des différentes composantes du pays, et de mener à bien, par exemple, la construction d’un grand stade national ou l’élaboration d’un pacte d’investissements stratégiques. Pour cela, il faut des élus avec un état d’esprit résolument fédéral. D’où l’idée d’une circonscription fédérale qui permettrait aux candidats de se frotter aux électeurs d’Ostende à Arlon et qui constituerait de facto une sorte de Division 1 du monde politique. A elle de démontrer ensuite qu’il y a moyen de faire fonctionner “efficacement” les institutions sans nécessairement devoir passer par la case “transfert de compétences”. Dans un sens ou dans l’autre.
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