La Chambre dépense 700 000 euros pour un nouveau site qui n’existe pas
699 258 euros. C’est le montant que la Chambre a déboursé pour son nouveau site web. Mais voilà, plusieurs années plus tard il n’y a toujours pas de site selon Het Laatste Nieuws. L’organisation à but non lucratif Smals, une entreprise de TIC qui réalise des projets exclusivement pour le gouvernement, a confié le projet à une entreprise privée. A quel moment les choses ont-elles mal tourné ?
Rafraîchir le site lachambre.be n’avait rien d’un luxe. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le site web du Parlement fédéral pour s’en rendre compte. Dès 2017, le feu vert est donné au projet. Le nouveau site devait être mis en ligne le 1er janvier 2024, selon Het Laatste Nieuws. Soit le jour où la Belgique prend la présidence de l’Union européenne et accueille des invités internationaux dans l’hémicycle.
Selon une première estimation de la société Smals, spécialisée dans les TIC et mandatée par la Chambre, le coût devait s’élever à 159 000 euros, rapporte Het Laatste Nieuws. Mais la note a rapidement explosé pour atteindre 699 258 euros. Soit près de 700.000 euros pour rien, puisqu’aucun site n’a encore été livré selon une note adressée au comité exécutif de la Chambre, à laquelle le journal aurait eu accès mais qui n’a pas été rendue publique.
Une telle dépense pour un projet relégué aux oubliettes a de quoi faire tiquer les contribuables. Trends a enquêté auprès de l’organisation à but non lucratif Smals. Il s’avèrent que les faits sont plus nuancés, voire diffèrent des informations publiées.
Des montants erronés
“On remarque que le sujet a en effet fait les gros titres dans des médias tels que P-Magazine, le site web du Vlaams Belang, ‘t Pallieterke et sur HLN.be. Pourtant aucun d’entre eux n’a cherché à nous contacter pour écouter notre version de l’histoire”, note Jan-Frans Lemmens, porte-parole de l’ASBL Smals.
“La première chose qui est fausse, c’est de dire que nous savions depuis six ans que la date de remise du nouveau site était le 1er janvier 2024. Or si nous avons effectivement été contactés pour la première fois au sujet de cette mission fin 2017, ce n’est que l’année dernière que nous avons été informés de la date butoir du 1er janvier”, a déclaré M. Lemmens.
“Deuxièmement, les montants avancés sont erronés. Il est vrai qu’il y a des année le coût du projet avait été estimé à 159 000 euros, mais il est faux de dire qu’à cause de Smals, le montant a soudainement été multiplié par quatre. Les 699 258 euros sont un budget global prévu pour Smals, mais aussi d’autres fournisseurs. Et il ne s’agit pas seulement des coûts du projet, mais aussi des coûts d’infrastructure et de télécommunication. Des coûts supplémentaires qui ont toujours été prévus. Je ne peux pas dire exactement de combien les coûts du projet ont finalement augmenté, mais on peut multiplier par deux les 159 000 euros. Pour le reste, les médias cités ont comparé des pommes et des poires.
Des changements constants
Même en cas de coût qui a doublé plutôt que quadrupler, il n’y a pas de quoi rendre plus heureux le contribuable. “Smals n’a pas pour habitude d’arrêter les projets au long cours en cas d’impasse. Mais ici ce n’est pas que nous ayons travaillé sur un projet pendant six ans et que nous l’ayons ensuite confié à une entreprise privée. Le projet a été modifiées à plusieurs reprises à la demande de la Cour. Il a même été plusieurs fois mis au frigo avant d’être relancé à nouveau. Jusqu’à présent nous avons toujours mené à bien toutes les missions qui nous ont été confié par la Chambre”.
“À la demande de la Chambre, des points précis du projet ont été revus à plusieurs reprises, en tenant compte de l’infrastructure IT existante”, précise Jan-Frans Lemmens. “L’échéance concrète n’a donc été annoncée que l’année dernière. Et au regard des délais et des dernières modifications demandées, il était impossible d’encore l’intégré à notre planning de 2023. C’est pourquoi on a fait appel à une entreprise privée mieux placée pour respecter la date du 1er janvier. L’histoire selon laquelle nous accaparons tous les projets n’est donc pas du tout vraie. Au contraire.
Projet dans les limbes
Mais l’ASBL Smals n’aurait-elle pas pu céder le projet, ou l’une de ses nombreuses moutures, plus tôt dans le processus ? “La raison pour laquelle nous n’avons pas décliné le projet plus tôt est qu’à ses prémisses la mission était d’un autre ordre. Mais comme elle n’a cessé de changer, ce projet s’est transformé en un parcours d’obstacles. L’angle initial du projet semblait correspondre à notre expertise. La Chambre voulait rendre plus accessibles les textes existants de la législature précédente et nous avions déjà réalisé des projets similaires. Seulement, il s’est avéré qu’il manquait de la documentation sur le site web actuel et que les données étaient structurées de manière plutôt chaotique. Deux points qui ont compliqué la donne.”
“La question était alors de savoir comment nous allions résoudre ces problèmes. Le processus de décision de la Chambre aurait également pu être plus rapide à cet égard”, déclare le porte-parole de la société ICT. “Il est normal que dans la phase initiale d’un projet, il y ait certaines incertitudes, mais il s’agit alors de les mettre sur la table le plus vite possible et d’avancer rapidement. Je pense que nous avons toujours communiqué de manière transparente avec notre client sur ce qui était réaliste.”
Big Brother
Trends s’est également entretenu avec plusieurs personnes connaissant le fonctionnement de l’organisation à but non lucratif Smals. Elles nous ont dit que des personnes passionnées travaillent au sein de Smals, sous la direction du haut fonctionnaire Frank Robben. Si elles ont mené à bien de nombreux autres projets, il leur arrive aussi de se tromper de cible.
Le personnage de Robben n’est pas non plus irréprochable. Certains critiques le considèrent comme un “big brother”. Soit quelqu’un qui est impliqué dans de nombreuses tâches gouvernementales en matière de TIC et qui fait du lobbying au plus haut niveau. Pourtant, il n’existe aucune forme de contrôle démocratique sur le travail de ce haut fonctionnaire Robben, en dehors de ses activités à Smals, comme c’est le cas pour les hommes politiques. Par le passé, la Cour des comptes s’est ouvertement posé des questions sur la manière dont Smals se voit confier des tâches gouvernementales. Des entreprises du secteur privé accusent l’ASBL de leur faire une concurrence déloyale lorsque le gouvernement lance de nouveaux projets TIC. Ce que l’ASBL Smals réfute fermement.
Tant l’ASBL Smals que son client, la Chambre, semblent donc avoir leur rôle dans ce projet raté de nouveau site web et pour lequel la Chambre souhaite à présent attirer un acteur privé. Trends a également tenté de contacter la Chambre pour obtenir un commentaire, mais les personnes impliquées n’ont pas pu être jointes dans l’immédiat.
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