La Belgique détient un trésor de plusieurs milliards dont personne ne parle : pourquoi notre gouvernement ne vend-il pas d’actions de Belfius ou de Proximus ?
Le gouvernement allemand récupère 2,2 milliards d’euros en vendant des actions de Deutsche Post. Il reste pourtant le plus grand actionnaire de l’entreprise postale. La Belgique, avec son déficit budgétaire de 26,7 milliards d’euros, ne peut-elle pas faire de même ? Quels sont les avantages et les inconvénients et pourquoi personne n’évoque cette option ?
Le gouvernement allemand cède 50 millions de ses actions dans Deutsche Post à des investisseurs institutionnels. Cette vente d’actions réservée à des investisseurs institutionnels réduit par conséquent de 4 points de pourcentage la participation de l’État à 16,5%, tout en restant son principal actionnaire selon le magazine allemand Manager Magazin. L’Allemagne a également un plan concret pour ces 2,2 milliards d’euros ainsi libérés. Elle souhaite les investir dans la modernisation des chemins de fer.
“Par cette transaction, le gouvernement fédéral poursuit sa politique de privatisation responsable des entreprises dans lesquelles elle ne voit pas de grands intérêts fédéraux”, selon un communiqué de presse du service des finances publiques, dirigé par le ministre Christian Lindner du parti libéral FDP. En Allemagne, le FDP travaille dans une coalition avec les Verts et le SPD socialiste du chancelier fédéral Olaf Scholz.
Potentiel financier belge
Actuellement, notre pays est confronté à un déficit budgétaire de 26,7 milliards d’euros et de nombreux secteurs, y compris les chemins de fer et les transports en bus, manquent d’investissements. La vente d’entreprises publiques et de participations belges pourrait potentiellement rapporter plusieurs milliards.
“En théorie, le gouvernement pourrait certainement libérer des fonds en privatisant complètement les entreprises publiques ou en vendant une partie de sa participation”, explique Steven Van de Walle, professeur en gestion publique à l’Institut de gouvernance publique de la KU Leuven. “Cela pourrait être particulièrement intéressant, mais uniquement si cela s’accompagne d’une solide réflexion au préalable. C’est le cas en Allemagne puisqu’ils ont un plan clair pour investir l’argent dans l’infrastructure ferroviaire. Un investissement dont ils récolteront les fruits sur le long terme.”
Une autre partie de l’exercice consiste à déterminer l’avantage stratégique de la participation, explique Van de Walle. “Souvent, l’objectif du gouvernement est d’avoir un impact sur la politique, mais cet intérêt stratégique évolue naturellement avec le temps. L’intérêt étatique d’une entreprise postale, comme bpost, a ainsi clairement diminué ces dernières années avec la diminution constante du courrier. Dans ce cas, il peut être judicieux pour le gouvernement de se demander s’il ne devrait pas vendre une partie des actions.”
” Pour bpost, la question n’est d’ailleurs plus de savoir si la vente est intéressante, mais quand est-ce que cela sera le bon moment. Et il n’y a pas que bpost. Sa participation dans Proximus peut également être remise en question. Avec l’arrivée du quatrième opérateur télécom, DIGI, il y a plus de compétitivité dans le secteur des télécommunications. De plus, Proximus a longtemps rapporté beaucoup au trésor public, mais il a maintenant réduit son dividende de moitié.
Mais quelle est la valeur de ces entreprises publiques ?
C’est facile à déterminer pour bpost et Proximus en fonction de leur capitalisation boursière, car elles sont cotées en bourse. La participation du gouvernement dans ces entreprises est respectivement évaluée à 365,9 millions d’euros et à 1,52 milliard d’euros.
Le plus gros actif dans le portefeuille gouvernemental est Belfius, mais nous ne pouvons estimer sa valeur qu’à partir d’estimations, car le gouvernement détient 100 % des actions. Les fonds propres de Belfius indiquent une valeur de 11,6 milliards d’euros, selon le rapport annuel de 2022. Cela ne signifie pas nécessairement que la valeur marchande de Belfius est équivalente. Le récent rapport sur la stabilité financière de la Banque centrale européenne (BCE) a examiné le rapport cours/bénéfice moyen des banques européennes. Il a comparé la valeur marchande actuelle des banques à leur valeur comptable nette. Il en ressort que la valeur marchande des banques représente en moyenne un peu plus de la moitié de leur valeur comptable. Belfius pourrait donc valoir la moitié de ces 11,6 milliards d’euros.
Absence de vision
“En Belgique, on manque surtout de vision en ce qui concerne la gestion des entreprises publiques”, note l’expert en budget et professeur Herman Matthijs (VUB et UGent). “Certaines participations sont gérées par la Société Fédérale de Participations et d’Investissement (SFPI). Elle est composée d’une équipe chargée de faire croître la valeur du portefeuille, mais des actions comme Proximus et bpost ne font pas partie de ce portefeuille. Il y a donc un manque de transparence et de politique claire.”
Van de Walle est d’accord avec Matthijs. “Aux Pays-Bas, toutes les entreprises publiques sont gérées séparément du gouvernement pour éviter toute ingérence politique. L’objectif des investissements y est toujours très clairement défini. Certains ont des raisons économiques, en vue des dividendes. D’autres sont purement stratégiques. Pour ces entreprises les ministres spécialisés jouent un rôle de direction.”
En Belgique, l’objectif des investissements est plutôt vague, selon Van de Walle. “La Belgique détient une participation majoritaire dans bpost et pourtant, nous ne parvenons pas à peser suffisamment la politique de l’entreprise, ni à faire de la poste une sorte de guichet du gouvernement fédéral. D’un autre côté, nous constatons que la politique sort de son rôle lorsqu’il s’agit de la question du contrat de presse et de bpost”.”
Temple sacré et petits postes
Le professeur Matthijs admet cependant être quelque peu surpris par la vente du ministère des Finances allemand. “C’est un chancelier socialiste qui réduit la participation de l’État dans l’entreprise postale à bien moins de 20 %. C’est aussi révélateur de ce qui se passe ici dans notre pays, où de telles décisions semblent impossibles. La Belgique détient une participation de 51,04 % dans bpost, mais je ne peux pas imaginer, par exemple, que le PS permettrait de réduire cette participation, quel que soit le produit et même si l’État reste le plus grand actionnaire. Même le gouvernement Michel n’est pas parvenu à avoir un regard critique sur les entreprises publiques.”
Van de Walle est lui moins surpris par la vente allemande. La vente de participations est souvent “moins idéologique que motivé par des raisons financières”. Il admet cependant que la séparation entre les entreprises publiques et la politique est difficile dans notre pays. “La question de bpost et du contrat de presse peut entraîner la perte d’emplois et cela est particulièrement sensible en Wallonie. Ce qui s’accompagne de risques électoraux. Un autre aspect qui peut également jouer, c’est que les conseils d’administration des entreprises publiques permettent d’offrir des postes. C’est même un terrain de jeu important dans les négociations politiques.”
Structure complexe
Le professeur de l’Institut de gouvernance publique de la KU Leuven constate également qu’il est difficile en Belgique de parvenir à un accord sur la vente de participations gouvernementales en raison de la structure de l’actionnariat.
Par exemple, De Lijn est détenue à 81,55 % par la Région flamande, à 10,92 % par les communes flamandes, à 6,76 % par les provinces flamandes, à 0,63 % par la Région de Bruxelles-Capitale et à 0,14 % par des particuliers. Avec autant de parties prenantes dans le secteur public, il est plus difficile de parvenir à des accords. Cela nous amène inévitablement à la structure complexe de l’État belge.
Risques de vente
Matthijs tient également à souligner les risques inhérents à la vente de participations publiques. “Le port d’Athènes a été modernisé avec de l’argent européen, puis la Chine l’a acheté pour une bouchée de pain. C’est un scénario que nous devons absolument éviter. Ces dernières années, les tensions géopolitiques n’ont fait qu’augmenter. Il est donc important de faire une distinction claire entre les participations publiques qui ont une réelle importance stratégique et d’autres qui pourraient éventuellement être vendues.”
Selon Matthijs et Van de Walle, il y a des opportunités dans une plus grande coopération européenne. “L’État détient 25 % de Brussels Airport et un peu plus de la moitié de Proximus et de bpost. Diminuez cette participation, mais recherchez en même temps des collaborations avec des entités similaires d’autres pays européens. Brussels Airport et Schiphol peuvent par exemple se renforcer mutuellement, tandis que l’État peut ensuite réduire sa participation. Nous voyons également dans les ports comment Rotterdam et le Port d’Anvers-Bruges collaborent étroitement. Il y a certainement des opportunités là-dedans.”
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