La BCE est-elle devenue aveugle?
La dernière décision de la Banque centrale européenne, qui a relevé à nouveau son taux directeur pour le porter à 1,25%, a suscité de très nombreuses critiques.
La BCE s’attend à une inflation de 8,1% cette année dans la zone euro. Pour 2023 et 2024, elle table sur respectivement 5,5% et 2,3%. Pour combattre cette hausse des prix et surtout empêcher l’apparition d’une spirale haussière des prix et des salaires, la BCE a décidé de refroidir l’économie brutalement. Après avoir remonté ses taux de 0,50% en juillet, elle vient de les rehausser de 0,75%, et ce n’est pas fini.
Christine Lagarde, la présidente de la BCE, estime qu’avec des taux directeurs désormais à 1,25%, on est encore “très éloigné d’un niveau qui aidera à ramener l’inflation à 2%”. Il y aura, ajoute-t-elle, d’autres hausses dans le futur qui seront “d’une amplitude qui nous rapproche plus rapidement” de l’objectif d’inflation de la BCE, qui est de 2%.
Regarder vers l’avant
Mais cette stratégie est sous le feu des critiques. Vitor Constâncio, l’ancien vice-président de la BCE, se montre sévère pour ses anciens collèges: “Mes scrupules ne concernent pas tant la hausse de 75 points de base (après tout, je défendais une hausse de 50 points, comme en juillet) mais sur les signes qui indiquent la possibilité que la BCE s’embarque dans une politique excessivement restrictive alors qu’une approche prudente et graduelle serait justifiée”. Il souligne notamment la nécessité de prendre en considération la récession qui s’annonce. Une politique monétaire, dit-il, ne doit pas reposer uniquement sur les données du moment mais doit aussi “regarder vers l’avant“. Or, si les prévisionnistes de la BCE n’entrevoient toujours pas de récession en Europe, la plupart des économistes s’y attendent pour la fin de cette année. Avec un coût de l’énergie qui rogne le pouvoir d’achat et force les entreprises à restreindre, voire arrêter, leurs activités, ce ne serait en effet pas surprenant.
Et l’argument selon lequel une hausse des taux importante se justifie pour que l’euro ne s’effondre pas (car un effondrement rendrait les prix de l’énergie, libellés en dollars, encore plus chers) n’est pas en béton, ajoute Vitor Constâncio, car la force d’une devise dépend de nombreux facteurs et notamment de la solidité de l’économie qui est derrière.
Chez nous aussi, des voix se font entendre. Dans une opinion publiée dans L’Echo, Etienne de Callataÿ s’interroge: “Comment peut-on adopter sans contrôle démocratique direct une mesure aussi récessionniste?” Et le cofondateur de la société de gestion de fortune Orcadia explique qu’en Europe, l’inflation a largement pour origine des problèmes du côté de l’offre, en particulier énergétique. “Dans ce cas-ci, ce qu’il conviendrait de faire n’est pas d’abord de comprimer la demande, mais de stimuler l’offre”, dit-il.
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