Investir dans une ligne de métro ou dans un nouvel hôpital ? Petit tuto à l’adresse des hommes politiques pour répondre aux questions gênantes des électeurs
Dans cette petite fiche, nous allons voir à quoi sert un taux d’actualisation. Ne faites pas de grands yeux, on vous explique. C’est par ici.
Imaginez. Vous êtes une femme ou un homme politique, vous êtes élue ou élu et vous avez un budget pour réaliser un investissement pour le bien commun. Certains pourraient décider de favoriser une association proche de leurs électeurs, mais vous n’êtes pas comme ça. Vous voulez vraiment que cet argent serve le bien public. Mais vous devez choisir parce que votre budget est limité: investir cette somme dans une ligne de métro ou dans un nouvel hôpital ?
Si vous êtes sérieux, vous allez procéder en deux grandes étapes. La première, c’est de réaliser une évaluation socioéconomique de votre projet d’investissement. Pour un métro, par exemple, vous allez mettre dans la balance le coût de l’investissement d’un côté, et de l’autre ce que le métro va apporter à la société en termes de décongestionnement de la circulation dans la ville, de baisse des émissions de CO2, de gain de temps pour les usagers…
Une fois cette étude réalisée, vous n’en aurez pas terminé. Il faudra soupeser la rentabilité de cet investissement. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Car vous avez d’un côté des coûts financiers que vous payez aujourd’hui, pour construire votre ligne, alors que vous n’aurez les bénéfices que demain. Comment rapporter l’un à l’autre ? Comment calculer en euros d’aujourd’hui les profits qui seront réalisés dans dix, quinze ou vingt ans, afin de voir si, au final, l’investissement vaut la peine ?
Contraction de l’espace-temps
C’est ici qu’entre en jeu le « taux d’actualisation ». Actualiser les recettes futures, c’est imaginer un vortex financier, c’est contracter l’espace-temps. C’est enclencher la machine à revenir en arrière. C’est prendre les recettes perçues à l’avenir, et les amputer chaque année d’un certain montant qu’on appelle taux d’actualisation pour qu’elles correspondent au pouvoir d’achat et à la valeur des euros d’aujourd’hui. Comme cela, vous pourrez comparer ce que vous investissez aujourd’hui avec les recettes actualisées de votre investissement.
Par exemple, si j’ai trouvé que dans 22 ans les recettes de ma ligne de métro peuvent être évaluées à 1 milliard d’euros, et si je prends un taux d’actualisation de 3,2%, ces recettes de 1 milliard en 2046 ne valent que 500 millions en euros d’aujourd’hui. Si le taux d’actualisation était nul, mes recettes vaudraient toujours 1 milliard. Plus le taux d‘actualisation est bas, plus les recettes actualisées en euros d’aujourd’hui sont importantes. Et plus le taux d’actualisation est élevé, plus les recettes actualisées sont faibles.
Entre parenthèses, c’est d’ailleurs ce qui explique la grande volatilité des start up et des actions technologiques en bourse. Ces sociétés bien souvent n’ont pas encore engrangé de profit. Elles ont une valeur sur les prévisions de bénéfices que font les analystes pour les années futures. Quand les taux sont bas, la valeur actualisée de ces recettes, et donc la valeur de ces actions, est élevée. Mais quand les taux remontent, ces actions se cassent la figure tout simplement parce que la valeur actualisée de leurs revenus chute. C’est mécanique.
Sans risque…
Mais revenons à nos projets d’investissement public et à la manière de calculer le taux d’actualisation, qui va finalement permettre de choisir entre le métro et l’hôpital.
Le taux d’actualisation va dépendre d’abord du niveau du taux sans risque (généralement, c’est celui des obligations d’Etat, sur 5, 10, 20, 30 ans). Ce taux sans risque reflète la préférence pour la liquidité des investisseurs, et aussi les projections de croissance : si la croissance est forte, 1 euro remboursé par les générations futures, plus riches que les générations actuelles, pèsera beaucoup moins que 1 euro d’aujourd’hui. Une autre manière de le dire c’est que la croissance induit aussi souvent une hausse des prix, et donc de nouveau, quand les prix montent, un euro de demain vaut, en pouvoir d‘achat, moins qu’un euro d’aujourd’hui. Pour compenser cet écart, l’investisseur qui consent à prêter son argent et à ne pas pouvoir s’en servir pendant un certain temps va exiger un taux d’intérêt qui sera d’autant plus élevé que les projections d’inflation seront importantes.
… et avec risque
Mais il y a aussi un dernier élément qui va entrer en compte pour calculer ce taux d’actualisation : c’est le coût du risque. Ou, autrement dit, la sensibilité de la rentabilité de votre projet à la croissance économique en général.
Pour revenir à vos deux projets potentiels, vous devrez prendre en considération que la rentabilité d’une ligne de train ou de métro est moins bonne quand la croissance est faible (c’est en tout cas ce que montrent les études). Ce facteur va donc augmenter le taux d’actualisation de vitre projet, et donc diminuer la valeur de son bénéfice calculée en euro d’aujourd’hui.
En revanche, si l’on en croit France Stratégie, l’agence d’évaluation et d’analyse du gouvernement français, « la fréquentation des hôpitaux a tendance à augmenter quand l’activité économique diminue ». Cela réduit le risque et donc le niveau du taux d’actualisation de votre projet hospitalier.
Maintenant, vous voilà paré pour calculer votre taux d’actualisation sur vos divers projets, et voir celui qui sera le plus rentable. Et vous voilà prêt à répondre aux questions gênantes que pourraient poser vos électeurs. Par exemple, cette interrogation que l’on pourrait adresser à la ville de Charleroi ou à la Région wallonne : quelle est la rentabilité du projet de prolongation de la ligne de métro M5 à Charleroi, et quel est le taux d’actualisation qui a été retenu pour ce projet ? Et quels seront donc les bénéfices que les Carolos devraient en retirer ? Est-ce que d’autres projets n’étaient pas plus rentables pour les habitants de la ville ?
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