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Inondations en Wallonie: le danger du “quoi qu’il en coûte”
Que penseraient nos petits-enfants si nous leur léguions une Région en faillite, incapable de financer les services publics les plus élémentaires?
Au-delà de la soudaineté de la catastrophe et de l’immense détresse humaine qu’elle a causée, un élément est frappant dans la manière dont, en Allemagne et en Wallonie, les pouvoirs publics ont appréhendé ces inondations. L’Allemagne a décidé de débloquer des fonds avec une très grande prudence. Les divers länder touchés par la catastrophe ont débloqué 250 millions d’euros pour parer au plus pressé, et le gouvernement fédéral allemand a ajouté à cette somme 200 millions d’euros. En précisant, bien sûr, que si ces sommes ne suffisaient pas, des moyens supplémentaires seraient mis à disposition. Mais il faudra prouver la nécessité de la dépense.
Que penseraient nos petits-enfants si nous leur léguions une Région en faillite, incapable de financer les services publics les plus élémentaires?
Quelle différence avec la réaction du gouvernement wallon qui a immédiatement annoncé un plan de 2 milliards d’euros! D’un côté en Allemagne, où les dégâts sont bien plus étendus qu’en Wallonie, on débloque des fonds d’urgence, puis on prend le temps de voir ce dont on a besoin. De l’autre, en Wallonie, on “fait tapis”, comme au poker. On met sur la table la somme la plus importante, sans vraiment déjà avoir une idée précise sur la manière de l’employer… Bien sûr politiquement, le message est fort: il s’agit de faire comprendre que les pouvoirs publics ne laisseront pas tomber la population et que l’argent n’est pas un problème. Un discours similaire à celui du “quoi qu’il en coûte” lors de la pandémie.
Mais cette annonce est-elle rassurante et adéquate? Est-elle adéquate alors que l’on ignore encore tout de la manière dont il faudra reconstruire ce qui a été détruit? Est-elle rassurante alors que la Cour des comptes venait, quelques heures avant que la Vesdre ne sorte de son cours, de publier un rapport peu amène sur l’état des finances publiques wallonnes? La dette consolidée de la Région était de 27,7 milliards fin de l’an dernier, et elle devrait dépasser les 31 milliards fin de cette année et atteindre 39 milliards en 2024, année où les transferts Nord-Sud auront cessé d’exister. Ces chiffres sont déjà dépassés, puisque la Région a décidé d’augmenter son endettement d’un milliard supplémentaire pour financer la reconstruction.
Même avec des taux nuls, la Région est prise dans une spirale dépensière infernale. La Cour des comptes souligne qu’entre 2015 et 2020, la croissance des dépenses a atteint 26,6% alors que celle des recettes s’est limitée à 4,4%. Tant que ces déficits abyssaux peuvent être financés par de nouveaux emprunts, c’est-à-dire tant que d’un côté les taux sont nuls et que, de l’autre, la BCE achète des emprunts publics, l’édifice tient. Mais lorsque les taux remonteront et que la BCE passera à une politique moins accommodante, il risque de s’effondrer. La logique voudrait donc, avant de sortir les billets du portefeuille, de réfléchir à leur utilisation.
En lançant un plan de 2 milliards, voire plus, pour reconstruire la Wallonie, on donne l’impression que la reconstruction sera facile et indolore. Elle ne le sera malheureusement pas. La douleur se fera sentir davantage encore si la Région devait se retrouver incapable d’éviter une autre catastrophe, financière celle-là. L’exemple allemand est là pour le rappeler: même le pays le plus riche d’Europe reste très prudent quand il s’agit de délier les cordons de la bourse.
Un tel discours budgétaire paraît cynique et glacial, alors que le pays pleure encore ses morts et que les rues restent jonchées de déchets. Mais s’il faut prendre soin des sinistrés d’aujourd’hui, il ne faut pas, en raison de notre incurie, créer d’autres victimes demain. Que penseraient nos petits-enfants si nous leur léguions une Région en faillite, incapable de financer les services publics les plus élémentaires et de faire face à de toujours possibles nouvelles catastrophes?
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