Inflation: pourquoi les prix flambent-ils plus en Belgique qu’ailleurs en Europe?
Les prix en Belgique ont la mauvaise habitude d’augmenter un peu plus que chez nos voisins. Une tendance qui amène à poser certaines questions qui fâchent, notamment sur l’indexation automatique des salaires.
C’est une particularité belge dont nous nous serions bien passés : notre pays est un des champions européens de la hausse des prix. Les dernières statistiques harmonisées entre pays européens concernant l’évolution des prix en août dernier montrent que sur un an (entre août 2023 et août 2024) les prix payés par le consommateur belge ont augmenté de 4,5%, soit bien plus qu’au Luxembourg (1,7%), en Allemagne (2%), en France (2,2%) ou aux Pays-Bas (3,3%). Et cela dure depuis des années. Par rapport à 2015, les prix ont augmenté de plus de 30% chez nous, contre seulement 21% en France, 25% en Allemagne et 26% en moyenne dans la zone euro.
Alors, pourquoi les prix flambent-ils davantage chez nous, et pourquoi l’inflation est particulièrement tonique dans des secteurs comme l’énergie, l’alimentation ou certains services ? Voici quelques éléments de réponse.
Des prix énergétiques volatils
Les prix de l’énergie tout d’abord. “L’électricité coûte désormais 9% de plus qu’il y a un an. Le gaz naturel coûte 114,3% de plus en glissement annuel. Le prix du gasoil de chauffage a augmenté de 28,1% par rapport à l’an dernier”, constatait Statbel le mois dernier. Une première explication est que notre pays répond plus rapidement que d’autres aux fluctuations du marché. “L’évolution des prix énergétiques est plus volatile en Belgique que dans la zone euro en moyenne, souligne l’économiste en chef de BNP Paribas Fortis, Koen De Leus. La Banque nationale explique qu’il y a plusieurs raisons à cela : les accises sur le mazout de chauffage sont moins élevées dans notre pays, ce qui rend les fluctuations du pétrole brut plus visibles. Pour le gaz, il y a également moins de prélèvements dans notre pays. Cela explique principalement l’écart plus récent entre la Belgique et la zone euro (depuis 2008 environ, ce sont surtout les prix du pétrole qui ont augmenté). La Banque nationale ajoute que pour le gaz et l’électricité, nous avons davantage de contrats variables que dans d’autres pays. Les prix sont donc ajustés plus rapidement chez nous.”
Ces contrats variables posent aussi un problème de méthodologie : ce sont ces tarifs qui sont inclus dans l’indice des prix. Or, il y a des ménages qui paient leur énergie sur la base d’anciens contrats, plus avantageux. “En ce qui concerne les abonnements de téléphonie mobile, les contrats en cours en Belgique sont bel et bien comptabilisés dans l’indice des prix à la consommation. L’indice des services de télécommunication reflète donc à la fois la croissance des prix des nouvelles formules tarifaires et les formules qui ne sont plus proposées. (…) Il se pose alors tout naturellement la question de savoir s’il ne faudrait pas appliquer le même principe aux prix du gaz et de l’électricité”, fait observer dans une étude Jana Jonckheere, économiste auprès de la Banque nationale.
L’effet forfait
Un autre élément qui pousse nos prix de l’énergie à la hausse concerne les tarifs – relativement élevés par rapport à d’autres pays – des gestionnaires de réseau de distribution, ces intercommunales qui gèrent les câbles et les conduites qui acheminent gaz et électricité. Enfin, l’apparition puis la disparition de certaines mesures politiques ont aussi exercé une influence particulière ces derniers mois. Comme l’explique, Éric Dor, qui dirige les études économiques à l’IÉSEG School of Management, “le taux de croissance annuelle des prix de l’énergie en Belgique au mois d’août, à 12,5%, a été supérieur à ceux en vigueur dans les autres pays de la zone euro et cette flambée des prix de l’énergie sur un an s’explique surtout par la fin du forfait de base que le gouvernement avait instauré sur les factures de gaz et d’électricité”. Le dernier effet du forfait de base a en effet disparu de l’indice des prix en mars. La disparition du forfait de base poussera donc encore sur l’inflation jusqu’en février prochain.
“Depuis janvier 2021, donc avant la crise inflationniste, les loyers effectivement payés par les locataires ont augmenté de 15,4 %.”
Eric Dor
Directeur des études économiques à l’IESEG School of Management
Caddies plus chers
Mais l’énergie n’est pas le seul secteur en surchauffe. Les prix des denrées alimentaires sont également plus élevés que la moyenne européenne. En juin dernier, en marge de la présentation des perspectives économiques de la Banque nationale, Geert Langenus, économiste auprès de l’institution, avait averti : “le prix du caddie va continuer à augmenter”. Pourquoi ? L’impact du réchauffement climatique, qui compromet le rendement des récoltes, joue un rôle, mais ce facteur n’est pas propre à notre pays. En revanche, ce qui expliquerait que l’inflation est particulièrement forte sur les “produits transformés”, (surgelés, plats préparés, etc.) c’est l’impact des prix de l’énergie ainsi qu’une certaine greedflation. Certaines entreprises, généralement de taille importante, ont profité de ces turbulences pour augmenter leurs marges.
Mais il y a d’autres raisons. “Comeos (la Fédération du commerce et des services, ndlr) explique depuis longtemps que les commerçants belges doivent faire face à plusieurs handicaps : les obligations relatives à l’emballage multilingue, la concurrence des plateformes de distribution en ligne installées dans des pays voisins et qui profitent de moindres coûts salariaux, et les salaires élevés”, souligne Éric Dor.
L’indexation à l’index?
L’impact des salaires se marque en effet particulièrement dans certains services où la concurrence étrangère se fait moins sentir et où, donc, les entreprises belges peuvent plus facilement répercuter la hausse des salaires sur les consommateurs et augmenter leurs tarifs. “Si les salaires, qui comptent pour 80% dans le prix de certains services, augmentent automatiquement, cela implique que le prix de ces services augmentera à nouveau, affirme Koen De Leus. Le fait que nous ayons une indexation automatique en Belgique provoque naturellement un effet de boule de neige. Ce n’est pas neuf. Et pour résoudre ce problème, il faut pratiquer des sauts d’index.” Comme en 2015, sous le gouvernement Michel.
Certes, les salaires dans les autres pays suivent aussi la hausse des prix, mais ils font l’objet d’une négociation. La hausse ne suit pas toujours précisément la hausse des prix, et la correction prend du temps : les salaires chez nos voisins suivent les fluctuations des prix avec généralement deux ans de retard. “La hausse des prix de certains produits ou services, comme le transport de voyageurs, les services financiers, etc. où l’inflation est plus forte que dans nos quatre pays voisins, peut être liée effectivement à des salaires indexés, abonde Éric Dor. On observe que les prix des services domestiques et services ménagers affichent une augmentation annuelle de 10,4 % en Belgique, contre 4,2% en Allemagne, 5% en France, 2,5% au Luxembourg et 3,3% aux Pays-Bas. Les services d’accès à internet, de nouveau, ont augmenté de 4,1 % en Belgique, alors qu’ils ont stagné en Allemagne et ont même légèrement baissé en France. Dans les services de réparation (réparation de matériel audiovisuel, photographique, etc.), l’inflation est de 7,8 % en Belgique, contre 3,4% en Allemagne et 0,2% en France.”
La flambée des loyers
Un dernier secteur où l’indexation pousse les prix davantage que chez nos voisins est l’immobilier. “Depuis janvier 2021, donc avant la crise inflationniste, les loyers effectivement payés par les locataires ont augmenté de 15,4 % en Belgique alors que la hausse n’est que de 7 % en Allemagne et de 6 % en France ou au Luxembourg. Les loyers ont donc plus que doublé en Belgique”, constate Éric Dor. L’une des raisons de cet écart réside dans l’encadrement des loyers, plus sévère chez nos voisins.
“En Belgique, non seulement les loyers sont indexés, mais le propriétaire est libre de les augmenter encore davantage lors des changements de locataires, rappelle Koen De Leus. Or, il y a de moins en moins d’appartements ou de maisons à louer, ce qui pousse les loyers vers le haut. Ce problème d’une offre limitée est un problème général du marché immobilier. Et si on ajoute certaines mesures en discussion – je pense notamment au projet de taxer les revenus locatifs réels et non plus sur base des revenus cadastraux –, il y aura encore moins de personnes qui vont vouloir louer un appartement ou investir dans un immeuble locatif. Cela ne fera qu’aggraver le problème.”
Tous ces éléments voudraient dire que, structurellement, nous avons en Belgique une mécanique qui fait que, surtout lorsque l’inflation est élevée et touche les prix de l’énergie, nous rencontrons des difficultés à rester dans la moyenne européenne. Maintenant que les prix s’assagissent, nous rentrons dans le rang. Le Bureau du Plan prévoit que l’indice des prix à la consommation en Belgique devrait enregistrer une hausse de 3,2%, ce qui devrait être un peu plus élevé que chez nos voisins. Ce sont des écarts souvent minimes, mais qui, avec le temps, finissent par compter.
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