Indemnités Covid: Bruxelles et la Wallonie, parents pauvres
Les nouvelles aides régionales bruxelloises et wallonnes annoncées la semaine dernière sont accueillies à bras ouverts par les acteurs de terrain, mais ces derniers continuent de dénoncer le fossé avec la Flandre et disent craindre des futurs rachats et autres distorsions de concurrence. En quoi consistent réellement ces disparités?
Le 26 février, le Comité de concertation annonce que les bars et restaurants du pays pourront rouvrir leurs portes le 1er mai, sous réserve bien entendu de l’évolution de l’épidémie. La perspective est là, mais elle est lointaine et complètement incertaine. Dans la foulée, le gouvernement flamand acte un renforcement substantiel des aides visant les secteurs les plus durement touchés. Dorénavant, les entreprises du nord du pays ayant perdu au moins 60% de leur chiffre d’affaires par rapport à celui enregistré lors de la même période en 2019 se verront indemnisées mensuellement à hauteur non plus de 10 mais de 15% de ce chiffre d’affaires. Cela, bien sûr, avec des plafonds. “Sur le moment, tout le monde aura remarqué le silence radio absolu de Rudi Vervoort et Elio Di Rupo (ministres-présidents bruxellois et wallon, Ndlr)”, lance Pierre-Frédéric Nyst, président de l’Union des classes moyennes (UCM).
Avec un peu de retard, fin de semaine dernière, les deux autres Régions annoncent pourtant elles aussi un renforcement des aides à destination des secteurs impactés. A Bruxelles, le gouvernement décide d’élargir le périmètre de la fameuse prime Tetra (111 millions d’euros), tant au niveau des secteurs concernés, en y ajoutant les salles de sport, que des montants des primes. Ceux-ci sont en effet augmentés de 25% par rapport aux montants annoncés initialement. Ils varient désormais de 6.250 à 45.000 euros pour les bars et restos, leurs fournisseurs, l’événementiel, la culture, le tourisme et le sport ; de 6.250 à 62.500 euros pour le secteur de l’hébergement touristique et de 75.000 à 125.000 euros pour les discothèques. Autres nouveautés: les entreprises auront accès à ces primes à partir d’une perte de chiffre d’affaires de 40% et les indemnités seront disponibles par unité d’établissement, avec un maximum de cinq établissements par entreprise.
En termes d’indemnités compensatoires, il restera un différentiel avec la Flandre. Mais tout ne se résumé pas aux indemnités.”
Willy Borsus, ministre wallon de l’Économie
“Des mesurettes”
Côté wallon aussi, plusieurs mesures ont été annoncées vendredi de la semaine dernière. Alors que les bars, restaurants et discothèques percevront une nouvelle indemnité variant de 4.000 à 12.000 euros en fonction du nombre d’équivalents temps plein, le gouvernement régional a validé une intervention destinée aux fournisseurs directs des entreprises ayant dû fermer obligatoirement (elles sont déjà aidées en Flandre et sont concernées par la prime Tetra à Bruxelles). Pour autant qu’ils démontrent une perte de chiffre d’affaires de minimum 50% sur les trois derniers trimestres 2020 (par rapport aux mêmes trimestres un an plus tôt) et un chiffre d’affaires composé d’au moins 20% de biens ou services fournis aux entreprises ayant été forcées de fermer, ces fournisseurs seront aidés à hauteur de 15% de leur chiffre d’affaires des trois derniers trimestres 2019. Des plafonds sont évidemment prévus en fonction du nombre d’équivalents temps plein. Ils varient de 15.000 à 150.000 euros.Sur le terrain, ces nouvelles aides sont évidemment accueillies positivement, même si elles sont loin de combler le fossé existant avec la Flandre. “Le terme ‘disparités’ est trop faible, assure Pierre-Frédéric Nyst. Les montants sont parfois jusqu’à 20 fois plus élevés au nord du pays!” A la Brasserie Dubuisson, on a sorti la calculette. “Pour nos quatre établissements horeca, nous avons reçu à ce stade 30.000 euros alors que nous serions à 105.000 euros sur trois mois si nous étions en Flandre, avance Hugues Dubuisson, le patron. Les aides sont dérisoires, ce sont des mesurettes. Les premiers versements ne couvrent même pas un mois de loyer.”
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Le Syndicat neutre pour indépendants (SNI) fait exactement le même constat. “En prenant uniquement les périodes de fermeture obligatoire, on est du simple au triple entre d’un côté Wallonie et Bruxelles et, de l’autre, la Flandre”, explique Olivier Mauen, chargé de communication. Prenons l’exemple d’un restaurant familial de quatre équivalents temps plein, explique notre interlocuteur. Il est censé percevoir 16.500 euros d’indemnités en Wallonie (sans compter l’indemnité annoncée vendredi dernier), 12.000 euros à Bruxelles (avant majoration de la prime Tetra) et… plus de 40.000 euros en Flandre.
Forfait vs. pourcentage
En réalité, les différences entre Régions ne se limitent pas au montant des aides. Le mode de fonctionnement des indemnités est également dissemblable. Ainsi, à Bruxelles et en Région wallonne, le principe a toujours été de fournir plusieurs aides forfaitaires successives aux secteurs fermés, définis par les fameux codes NACE qui classifient les activités économiques. A noter que la récente prime wallonne à destination des fournisseurs des secteurs fermés et l’indemnité bruxelloise Tetra dérogent quelque peu à cette règle. La première introduit de nouvelles garanties (l’indemnité est un pourcentage du chiffre d’affaires) et les deux ont défini de nouveaux critères d’attribution (baisse de chiffre d’affaires).
En prenant uniquement les périodes de fermeture obligatoire, on est du simple au triple selon les Régions
Olivier Mauen (SNI)
Très concrètement, en Wallonie, un restaurant a reçu une indemnité de 5.000 euros au printemps 2020, et ensuite trois indemnités (en comptant celle annoncée la semaine dernière) variant de 3.000 à 12.000 euros en fonction du nombre d’équivalents temps plein. En Région de Bruxelles- Capitale, un établissement horeca a pour sa part perçu deux primes fixes de 4.000 et 3.000 euros, et s’apprête à recevoir la prime Tetra variant, pour lui, de 6.250 à 45.000 euros en fonction du nombre d’équivalents temps plein et de la perte de chiffre d’affaires.
La situation est très différente au nord du pays. Lors du premier confinement, les établissements fermés ont perçu tout d’abord une prime forfaitaire de 4.000 euros, suivie d’une indemnité journalière de 160 euros/jour du 6 avril au 8 juin. Dès la deuxième fermeture, la Flandre a créé ce qu’elle appelle le “Vlaams beschermingsmechanisme”. Cette fois, toute entreprise qui peut démontrer une baisse d’au moins 60% de son chiffre d’affaires est aidée mensuellement par une indemnité représentant un pourcentage du chiffre enregistré durant la même période un an auparavant. Les montants ont évolué. Aujourd’hui, ce pourcentage est de 15%, et les plafonds pour l’indemnité mensuelle varient de 7.500 à 40.000 euros en fonction du nombre d’équivalents temps plein.
Une reprise à deux vitesses?
Ces disparités régionales inquiètent fortement les acteurs de terrain, qui craignent une reprise à deux vitesses. “Un restaurant de Bruxelles sera totalement déforcé par rapport à un concurrent situé en périphérie, que ce soit en termes de liquidités, de force d’achat, de capacité d’investissement, etc., souligne Thierry Neyens, président de la Fédération Horeca Wallonie. On va certainement assister à des rachats. Certains fonds vautours sont déjà à l’affût.”
A ce stade, nous avons reçu 30.000 euros alors que nous serions à 105.000 euros sur trois mois si nous étions en Flandre.”
Hugues Dubuisson (Brasserieu Dubuisson)
Les fournisseurs des secteurs fermés sont eux aussi très inquiets. L’aide qui vient de leur être annoncée par le gouvernement wallon est évidemment plus que bienvenue (ils n’avaient encore rien reçu jusqu’ici). Ils craignent toutefois de possibles distorsions de concurrence, lors de la réouverture de l’horeca notamment. La Brasserie Dubuisson est par ailleurs propriétaire du négociant en boissons wallon Distriboissons, intermédiaire entre les brasseurs et l’horeca. Son responsable appréhende une concurrence beaucoup plus forte entre distributeurs wallons et flamands, surtout le long de la frontière linguistique. “Les distributeurs flamands seront beaucoup mieux armés, soit pour racheter des négociants wallons, soit pour livrer de l’horeca wallon avec des prix plus avantageux”, explique Hugues Dubuisson.
Pas que les indemnités
Côté politique, on dit comprendre cette inquiétude. “Il faut être franc et transparent: en termes d’indemnités compensatoires, il restera un différentiel avec la Flandre, admet Willy Borsus (MR), ministre wallon de l’Economie. Et il trouve son origine dans la différence de capacité budgétaire entre les deux Régions. Mais notre volonté reste d’être mobilisés au maximum de nos possibilités pour soutenir les secteurs à l’arrêt ou impactés par les fermetures.” Le vice-président wallon explique que la Région a mobilisé jusqu’ici plus de 1,25 milliard d’euros d’aides directes et provenant aussi d’autres dispositifs. Car tout ne se résume pas aux indemnités, assure-t-il.
On va certainement assister à des rachats. Certains fonds vautours sont déjà à l’affût.”
Thierry Neyens (Fédération Horeca Wallonie)
“Il y a des différences avec la Flandre en matière d’indemnités, mais il y a aussi le volet ‘prêts/garanties’. A ce niveau, les outils qui ont été mis en place du côté wallon me semblent comparables. Si vous regardez les différents dispositifs de type prêt ‘Ricochet’, ‘Ré-Action’, les financements directs pour les entreprises, le dispositif destiné à soutenir les entreprises en termes de liquidités et le dispositif solvabilité, nous sommes dans une situation comparable au nord du pays.”
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Capacité budgétaire
Au cabinet de la secrétaire d’Etat bruxelloise à la Transition économique, l’Ecolo Barbara Trachte, on dit “comprendre ce sentiment d’injustice que vivent les restaurateurs et cafetiers, voyant que la Flandre aide davantage”. “Mais il y a un fait institutionnel: le régionalisme, dit Nicolas Roelens, porte-parole. La capacité de la Région bruxelloise est moindre. Avec le cadre budgétaire actuel, nous ne pouvons faire beaucoup plus.”
Le responsable rappelle que la Région de Bruxelles-Capitale a versé depuis le début de la crise environ 700 millions d’euros d’aides économiques, tous secteurs confondus: 450 millions d’euros de primes proprement dites et 250 millions de soutiens économiques et financiers divers. “Je pense notamment aux prêts à taux réduit garantis par la Région, dit-il. Au niveau des aides, nous avons effectué un travail substantiel. En temps normal, le budget correspondant aux aides économiques à Bruxelles est de 30 millions d’euros et le budget régional est de 5 milliards d’euros. Ces chiffres permettent de remettre les choses en perspective.”
Sur le terrain, on attend à présent avec impatience le versement des dernières indemnités annoncées. “Il faut que la plateforme soit activée très rapidement et que les aides soient libérées plus rapidement que les primes précédentes”, conclut Thierry Neyens.
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