“Il y a une rupture structurelle dans l’économie de la Défense”
Alain Quevrin , le président de la Belgian Security & Defense Industry (BSDI) pointe la nécessité d’investir rapidement, sans attendre 2035, pour que notre tissu économique soit capable de produire plus de matériel militaire.
1. Le gouvernement fédéral s’est engagé à porter le budget de la Défense à 2% du PIB à l’horizon 2035, contre à peine 1,2% aujourd’hui. Que vaut, selon vous, ce genre d’engagement sur au moins trois législatures?
Au-delà des six conditions apposées à cette décision, on sent bien qu’il y a énormément de moyens de faire marche arrière et que, en fin de compte, cela n’engage pas grand-monde. Il y a pourtant de grandes décisions politiques à prendre dès maintenant: quelle autonomie voulons-nous? comment équiper l’Europe de moyens de production de matériel militaire? Il ne s’agit pas seulement de munitions mais aussi de composants électroniques et optroniques (qui combinent optique et électronique, par exemple pour une vision infrarouge, Ndlr). Si nous voulons pérenniser et amplifier notre tissu économique lié à la défense, cela implique des moyens qui ne peuvent pas attendre 2035.
2. N’y a-t-il pas malgré tout une prise de conscience de l’intérêt stratégique mais aussi économique d’investir dans la Défense?
La chose est effectivement moins taboue et le fait d’avoir un conflit à deux heures d’avion de Bruxelles n’y est pas étranger. Mais quand je vois l’énergie qu’il a fallu pour obtenir un partenariat d’innovation technologique entre la Défense, l’industrie et le monde académique, je me dis qu’il reste encore du chemin… Nous voulons fournir des armes à l’Ukraine. Mais ces armes, où allons-nous les chercher? Allons-nous les acheter dans l’urgence aux Etats-Unis ou allons-nous initier une vraie réflexion européenne pour être crédibles dans des conflits à haute intensité?
3. La hausse planifiée du budget de la Défense n’est-elle pas la réponse à cet enjeu?
Nous saluons la trajectoire vers les 1,54% du PIB consacrés à la Défense à la fin de la législature et la volonté d’aller ensuite vers les 2%. Mais les grandes questions de fond ne sont pas adressées dans une loi de programmation militaire. Reconstituer des stocks et être capable d’assumer l’approvisionnement de tel ou tel matériel pour des conflits à haute intensité, cela nécessite des investissements pour redimensionner les entreprises afin qu’elles puissent produire à un rythme plus important. Nous avons des leaders mondiaux chez nous, des outils sur lesquels nous pouvons capitaliser et créer de l’emploi, si nous avons l’ambition d’être des partenaires industriels fiables dans ce contexte. La dynamique est là. Il ne faudrait pas maintenant se laisser endormir par l’horizon 2035. Nous sommes face à une vraie rupture structurelle dans l’économie européenne de la Défense et c’est dans les trois-quatre années à venir que nous devrons y répondre.
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