Carte blanche

Guerre en Ukraine : “Est-il bien judicieux d’asphyxier économiquement un Etat agressif et revanchard qui regorge d’ogives nucléaires ?”

Il faut arrêter le délire paranoïaque des thuriféraires de la troisième guerre mondiale, qui s’imaginent que c’est nous, Européens de l’UE, qui sommes la cible de Poutine.

Il faut arrêter le délire paranoïaque des thuriféraires de la troisième guerre mondiale, qui s’imaginent que c’est nous, Européens de l’UE, qui sommes la cible de Poutine : ces bellicistes de salon semblent enhardis par l’apparent enlisement des troupes russes en Ukraine et le soi-disant isolement international du pays, et favorisent l’engrenage (*) tout en faisant mine d’ignorer la menace d’une guerre nucléaire en Europe. Comme toujours, Vladimir Poutine cache bien son jeu, nonobstant que les occidentaux n’ont jamais bien su cerner la mentalité slave et encore moins la spécifique mentalité russe.

Est-il bien judicieux d’asphyxier économiquement, financièrement un Etat agressif et revanchard qui regorge d’ogives nucléaires ?

Les “va-t-en guerre” européens se trompent en pensant que le régime russe est à bout de souffle et qu’il est opportun de prendre l’avantage en fluxant ses muscles. Le pays n’est pas isolé (c’est impossible vu l’étendue et l’importance de son territoire et de ses ressources) : L’Inde (1,3 milliards d’habitants) et la Chine (1,5 milliards d’habitants) conservent des relations normales avec la Russie ainsi que la plupart des Etats africains (1,1 milliard d’habitants), tout comme le Mexique, L’Argentine, la Turquie, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, nouveau sanctuaire prisé (après Chypre) des Russes fortunés, qui eux non plus ne se sont pas ralliés aux sanctions occidentales. La Russie n’est isolée que des Occidentaux, pas du reste du monde.

Et elle continue à faire la pluie et le beau temps au sein de l’OPEP. Sans compter que près de 1 000 milliards de dollars, détournés par les oligarques, dorment dans des comptes offshores dans des paradis fiscaux. Ces ressources financières restent mobilisables à tout moment par des oligarques redevables et aux ordres de Poutine.

L’armée russe n’est pas défaite. Ses objectifs seront atteints : la bande de territoire faisant face à la Crimée. Le contrôle de toute la rive droite du Dniepr (les Russes ont tracé une ligne de Marioupol à Kharkiv), avec ou sans Odessa, qui priverait l’Ukraine de son accès à la mer.

La Russie n’est isolée que des Occidentaux, pas du reste du monde.

Son meilleur armement conventionnel est toujours en sécurité, à l’affût en Russie, ainsi que ses meilleures troupes. Les troupes déployées sur le terrain ukrainien sont des militaires de base, avec bon nombre d’appelés effectuant leur service militaire, mais aucun régiment d’élite, seulement des bataillons d’auxiliaires-mercenaires (Tchétchènes, Syriens, Biélorusses, mercenaires du groupe Wagner et consorts).

Les carcasses que l’on voit sur le front ukrainien sont des équipements “rossignols” de l’armée russe : chars du siècle dernier avec seulement un blindage amélioré, un système de communication réadapté, faisant ainsi de la place dans les hangars militaires de Russie pour ses nouveaux équipements beaucoup plus modernes et meurtriers. L’aviation russe déployée dans le ciel ukrainien n’est pas non plus la fine fleur de la force aérienne russe. Idem pour les missiles Kalibr, qui ne sont pas les plus sophistiqués de l’arsenal russe. Le président Poutine garde plusieurs atouts dans son jeu.

Son principal atout militaire est intact : la Russie a, à elle seule, la même capacité de destruction nucléaire que tous les pays occidentaux réunis avec la Chine. Le nombre d’ogives nucléaires russes avoisine les 6 000 (contre 3 500 pour les Etats-Unis et 600 pour la Chine, qui elle, a autant d’ogives nucléaires que la France, le Royaume-Uni et Israël réunis.

Et puis, Vladimir Poutine tient de main de maître son pays : les forces armées, de sécurité et de renseignement civil (FSB, SVR) et militaire (GRU) lui demeurent redevables et acquises, tant le président a travaillé à restaurer leur puissance et leur prestige respectif. Les oligarques, qui lui doivent leur richesse colossale et qui surtout ne veulent pas en être privés, lui sont majoritairement fidèles, par peur, par calcul, et certainement par cupidité. La très grande majorité de la population russe lui est reconnaissante d’avoir remis l’Etat et l’économie en ordre de marche après l’incurie extraordinaire de Boris Eltsine et la dangereuse déliquescence de l’Etat de 1998 ainsi que l’anarchie balbutiante qui s’ensuivirent.

Même l’UE, à la fin des années nonante, lui a été reconnaissante tant ell était soulagée que les choses soient rentrées dans l’ordre grâce au sens de l’organisation et à la poigne de fer de Vladimir Poutine. L’Allemagne était terrorisée par l’anarchie régnante dans les ex-républiques soviétiques et la guerre concomitante des Balkans. Elle a irrigué de fonds le nouveau régime mis en place par “Vlad le sauveur” et a pesé de tout son poids économique pour pousser l’UE à faire de même. Souvenons-nous de l’abominable sénateur russe Jirinovski qui menaçait de vendre l’armement nucléaire, bactériologique, chimique a quiconque dans le monde : des généraux non payés avaient déjà commencé à vendre leurs arsenaux, notamment au Pakistan et à la Libye. C’est à cette époque que la Corée du Nord a pu accéder à des missiles Scud qu’elle allait améliorer et transformer pour lancer ses propres ogives.

Tout cela pour dire que les “pousse-à-la guerre” européens nous promettent une bonne raclée si nous nous frottons impulsivement à l’ogre russe. Nous, fragiles démocraties européennes peu militarisées, ne sommes tout simplement pas prêtes à l’affronter : ni militairement, ni économiquement, ni juridiquement (au titre du droit d’ingérence ?), ni moralement…

Tous ces mandataires politiques (l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, l’ex-président François Hollande, et consorts), qui se répandent dans les médias (tribunes dans “Le Monde” en mars 2022) pour tirer en épingle que l’agression de l’Ukraine est une agression de l’Europe, de l’Occident, de l’Otan et pour prôner de plus en plus de sanctions délétères, une asphyxie économique et financière, un embargo total sur les fournitures vitales russes ne sont que des “bisounours” biberonnés de wishful thinking face à des russes, véritables durs à cuire, qui sont accoutumés à des dirigeants violents, agressifs, depuis l’Antiquité.

Les Russes ne se sont jamais rebellés contre le criminel psychopathe et paranoïaque, véritable génocidaire et criminel de guerre qu’était Staline (Poutine, heureusement, n’est pas Staline). Ils ont simplement attendu sa mort naturelle. Les sanctions n’engendrent que des contre-sanctions et n’aliènent pas le peuple russe de ses dirigeants, au contraire, elles les rallient, dans la défense de la patrie assiégée. Une population russe mal informée, perturbée par la propagande d’Etat, qui tout à coup découvre que l’Occident se vit en guerre contre elle.

Carl-Alexandre Robyn, Ingénieur-conseil en valorisation de startups

(*) En annonçant qu’il plaçait sa force de dissuasion en état d’alerte, le président russe Vladimir Poutine a contraint l’ensemble des états-majors à mettre à jour leurs doctrines, le plus souvent héritées de la guerre froide. La certitude de l’annihilation mutuelle – dont l’acronyme en anglais MAD signifie “fou” – ne suffit plus à exclure l’hypothèse de frappes nucléaires tactiques, prétendument limitées. Au risque d’un emballement incontrôlé.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content