Geert Noels: “La Belgique n’est plus un pays attrayant pour les entreprises”

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Jozef Vangelder Journaliste chez Trends Magazine

Selon l’économiste Geert Noels, notre pays est confronté à bien plus qu’un assainissement budgétaire. Nous tenons notre prospérité pour acquise, dès lors plus personne ne veut prendre de risques… Seulement cette combinaison n’est pas viable. La Belgique doit retrouver l’esprit d’entreprise.

Ces dernières années, la Belgique pouvait encore justifier son désastre budgétaire par la crise sanitaire, ou bien la guerre en Ukraine, mais aujourd’hui le temps des excuses est révolu. La Commission européenne nous a mis au régime de l’austérité. Il s’agira d’une opération du même ordre que les récessions des années 1980 et 1990. À l’époque, le plan global de 1993, avec lequel Jean-Luc Dehaene, le premier ministre de l’époque, avait fait entrer notre pays dans l’union monétaire européenne, avait attiré l’attention. Aujourd’hui comme hier, c’est à nouveau l’Europe qui doit nous ramener à la raison. “Cela peut paraître cynique, mais en Belgique, il faut presque espérer une forte pression de l’Europe ou des marchés financiers pour mettre en œuvre des réformes”, explique l’économiste Geert Noels, fondateur et directeur général de la société de gestion d’actifs Econopolis.

Un autre classique belge est la recherche de nouvelles taxes pour combler les déficits budgétaires. Pendant la campagne électorale, par exemple, il a été question d’une taxe des millionnaires. “La Belgique est toujours en train d’inventer un nouvel impôt”, affirme Geert Noels. “Notre pays est le parfait musée de tous les impôts possibles déjà inventés dans le monde. Cette fois, c’est l’impôt sur la fortune qui est à l’honneur, mais il y en a déjà plus qu’assez dans notre pays, estime Noels. “Nous sommes en tête du classement de l’OCDE pour les recettes de l’impôt sur la fortune par rapport au produit intérieur brut (PIB). D’ailleurs, un récent rapport du Bureau du Plan relativise les attentes en matière d’impôt sur la fortune.”

Le fait que les revenus du travail soient plus lourdement taxés que les revenus du capital n’est pas une bonne excuse, en particulier dans le cas des entrepreneurs. “Si une entreprise réalise des bénéfices – ce qui est le premier défi – elle paie l’impôt sur les sociétés. Si le bénéfice restant est distribué sous forme de dividendes, il est soumis à un impôt à la source, dont le taux a doublé à 30 % depuis 2011. Si l’on compare la charge fiscale globale des entreprises avec les taux d’imposition les plus élevés des personnes physiques, on constate un équilibre. Par ailleurs, les livrets d’épargne bénéficient d’une exonération fiscale. Et, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem a publié un bon d’État prévoyant un taux de précompte mobilier réduit à 15 %. Les investissements sans risque sont donc privilégiés par rapport aux investissements risqués. Il ne faut donc pas s’étonner que plus personne ne veuille prendre de risque et créer une entreprise pour créer de l’emploi et de la richesse.”

L’esprit d’entreprise en Belgique

Car, c’est ce dernier point qui constitue le véritable problème, selon Geert Noels. “La Belgique n’est plus un pays attrayant pour l’entrepreneuriat. Selon la Banque nationale de Belgique, les secteurs publics, ou subventionnés par l’État, fourniront la plupart des nouveaux emplois. Notre compétitivité continue de s’affaiblir. Dans presque tous les classements internationaux, nous continuons à nous enfoncer. Et la bourse de Bruxelles se vide, symptôme d’un manque de dynamisme économique. La situation actuelle est très similaire à notre situation de la fin des années 1970. Qui veut encore investir dans la croissance d’une jeune entreprise et la faire entrer en bourse ? Qui veut encore prendre des risques en Belgique ?

Cette aversion au risque est même devenue une culture qui s’infiltre dans la politique. “Si Google avait été une entreprise belge, le débat sur l’introduction d’une taxe Google aurait sans doute fait rage pendant la campagne électorale. Si quelqu’un prend des risques et crée de la valeur ajoutée, nous nous demandons immédiatement comment le taxer. Cette mentalité n’est d’ailleurs pas le propre à la Belgique. Toute l’Europe a déraillé dans la même direction. Nous considérons la prospérité comme acquise. La prospérité ne sert qu’à taxer pour maintenir à flot la société et l’appareil d’État. Pendant ce temps, l’importance de l’Europe dans l’économie mondiale et sur les marchés financiers est en plein déclin”.

Le corporatisme belge

Si les restructurations des années 1980 et 1990 ont finalement porté leurs fruits, ce n’est pas seulement grâce aux économies réalisées, selon Noels. “Les hommes politiques ont alors commencé à réaliser l’importance d’un tissu d’entreprises saines pour la prospérité. Les mesures d’austérité pèsent sur l’économie à court terme. Mais si elles allègent le poids porté par les entreprises et créent des emplois, la confiance des entreprises et des familles se renforce et l’économie s’en trouve rapidement stimulée. Aujourd’hui, il faut donc non seulement assainir le budget, mais aussi restaurer la compétitivité. Les deux vont de pair. Ils peuvent même se renforcer mutuellement, comme à l’époque des gouvernements Martens et Dehaene. Bien entendu, les réformes doivent être équitables. Les épaules les plus fortes doivent porter le fardeau le plus lourd. Mais la Belgique a surtout besoin de beaucoup plus d’épaules. »

Ce qui ne veut pas dire que le monde des affaires n’a pas le beurre et l’argent du beurre. La réglementation croissante n’est pas seulement le fait du gouvernement belge, de l’Union européenne ou des syndicats, mais aussi du lobbying des entreprises. Cette montagne de contraintes profite aux entreprises établies car elle dissuade les nouveaux entrants sur le marché, ce qui affaiblit la concurrence. Ainsi, cette montagne de réglementations agit comme une barrière et permet aux entreprises établies de mener une vie plus tranquille. “Lorsque j’ai fondé Econopolis, j’ai moi-même fait l’expérience de la difficulté pour les nouveaux arrivants d’entreprendre en Belgique”, explique Noels.”De nombreux secteurs belges présentent un tel niveau, ce qui est en partie dû au corporatisme des entreprises établies. Le rapport de la Commission européenne sur la Belgique souligne explicitement ce problème.

La paresse belge se manifeste aussi dans les finances publiques. Bien sûr, nous devrons faire des économies. Mais surtout, nous devons changer d’attitude, déclare Geert Noels. “La Belgique opte toujours pour des gains à court terme. Les charges sont pour plus tard. Souvenez-vous de la vente et de la location des bâtiments publics sous le gouvernement Verhofstadt (où les bâtiments publics étaient vendus et immédiatement loués à nouveau, ce qui s’est avéré être une opération coûteuse à long terme, ndlr). D’autres exemples sont la suppression des fonds de pension à l’époque. De même, des investissements sont reportés pour faire place à des dépenses courantes. Dans le domaine des soins de santé, par exemple, les investissements dans la prévention doivent céder la place à des budgets importants pour les médicaments et les traitements. Et les exemples se comptent par centaines. Le gouvernement tente de faire de chaque citoyen un client. Il faut changer cet état d’esprit à un moment où la ponction de l’État sur l’économie se rapproche de 55 % du PIB. Lorsque tant de personnes dépendent du système public, les réformes se heurtent à une forte résistance. Non seulement de la part des syndicats, mais aussi de la part des nombreuses organisations qui, dans ce pays, défendent les intérêts de leurs membres.

Stratégie économique

Mais l’Europe ne fait pas beaucoup mieux, selon Geert Noels. “La Chine a élaboré une stratégie économique depuis longtemps, ce qui explique qu’elle ait aujourd’hui de l’avance dans des secteurs tels que l’intelligence artificielle et les voitures électriques. Aux États-Unis, une industrie verte se développe grâce au soutien du gouvernement par le biais de l’Inflation Reduction Act. Et l’Europe ? Beaucoup d’industries ont disparu d’Europe, notre défense est à la traîne et notre approvisionnement en énergie reste vulnérable. Pendant ce temps, l’Europe se chamaille sur la répartition des postes à responsabilité, comme la reconduction d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission. C’est apparemment plus important que de développer une vision stratégique. L’Europe n’a pas de plan. Je trouve cela consternant. »

Geert Noels sur…

L’intelligence artificielle. “Ce que les machines et la robotisation ont signifié pour l’industrie, l’intelligence artificielle (IA) le signifiera pour le secteur des services : une solide augmentation de la productivité. Mais l’Europe devra alors freiner son réflexe de réglementation. Si nous contraignons trop l’IA, elle ne sera pas profondément intégrée dans le secteur des services et les percées innovantes se produiront aux États-Unis et en Chine.”

À propos de la prime de 56 milliards de dollars accordée à Elon Musk : “Un contrat est un contrat. D’un autre côté, une prime aussi importante montre que Tesla dépend d’une seule personne. Une telle entreprise n’est pas une entreprise durable. Par ailleurs, je ne suis pas un fan de Musk. À ses débuts en tant qu’entrepreneur, il était encore une figure fraîche et inspirante avec des idées positives. Aujourd’hui, il ressemble davantage à un chevalier noir. La couleur de la maison Twitter, le X d’aujourd’hui, est symptomatique : il est passé du bleu au noir. Je me demande comment le marché boursier va réagir à tout cela”.

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