Geert Noels (Econopolis): “La Flandre doit éviter de se walloniser”

L’économiste Geert Noels insiste sur la nécessité d’approfondir les réformes pour mettre de l’ordre dans nos finances publiques. © BELGAIMAGE
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

L’économiste Geert Noels insiste sur la nécessité d’approfondir les réformes pour mettre de l’ordre dans nos finances publiques. La croissance, plaide-t-il, doit cesser d’être un vilain mot. La Belgique doit évoluer, une urgence plus forte du côté francophone. Mais la Flandre doit également éviter de se “walloniser”. Un langage vérité qui interpelle… et suscite des critiques, ce qu’il regrette.

Geert Noels, CEO d’Econopolis, défend une vision libérale de l’économie et porte un discours vérité, dont il paie parfois le prix dans le débat public. Ces derniers temps, à la suite de prises de position fortes dans les médias flamands, il a subi de vives critiques sur les réseaux sociaux. Depuis des années, cet économiste tire la sonnette d’alarme sur le désastre vécu par notre industrie et appelle à prendre les mesures qui s’imposent pour remettre de l’ordre dans nos finances publiques. Visiblement, cela dérange, tant la dynamique de croissance serait mal perçue, constate-t-il.

Un regard trop flamand ? Geert Noels s’en défend : “Je suis Belge”, insiste-t-il. Il scrute avant tout le fond des politiques. Lorsqu’il évoque la nécessité d’aller plus loin dans les réformes, il laisse clairement entendre que les régions francophones doivent se bouger, quitte à évoquer subtilement de potentielles “bombes communautaires”. Mais lorsque la Flandre se repose sur ses lauriers, il constate, non sans un brin d’ironie, que l’on assiste à une “wallonisation” de la Flandre, du moins dans la mesure où l’on y applique de vieilles recettes dignes du sud du pays.

Dans cet entretien à Trends-Tendances, Geert Noels dit regretter que l’on peine trop souvent à regarder la vérité en face. Il n’est pas question d’une “flamandisation de la Belgique”, mais bien d’une lucidité nécessaire en cette ère de défis.

Le gouvernement fédéral a conclu un accord de l’été important, dont l’opposition francophone dit qu’il favorise la Flandre. Est-ce votre sentiment ?

GEERT NOELS. Il y a une forme de paradoxe ou d’ironie. Chaque mesure qui augmente la croissance et le taux d’activité ou qui diminue les dépenses et les allocations sociales est en faveur du nord du pays. En revanche, en termes de dynamique économique, chacune de ces mesures est plutôt favorable au sud. Parce que si l’on stimule l’emploi ou la croissance, le potentiel est nettement plus important dans le sud du pays. Depuis 40 ans, on analyse les mesures en termes relatifs. C’est même devenu un sport national. Bien sûr, on peut toujours comparer des groupes ou des sous-groupes en estimant que l’un profite davantage que l’autre, mais est-ce vraiment utile ? En raisonnant de façon communautaire, on n’aura jamais de politique susceptible de résoudre les grands défis auxquels est confronté notre pays. On a présenté l’accord de l’été en affirmant qu’il s’agit de grands changements…

Le Premier ministre, Bart De Wever, a affirmé qu’il s’agit de l’accord du siècle !

Oui, mais la majorité des économistes sont d’accord pour dire qu’il s’agit seulement d’un petit pas dans la bonne direction. Il faut agir davantage pour faire face aux défis qui augmenteront notre déficit de 6,5% du PIB à l’horizon 2030 et au-delà des 10% pour 2050. Et cela, sans tenir compte des incertitudes concernant les taux d’intérêt. Les scénarios pourraient être revus à la hausse en raison du contexte international. Je pense que le sens de l’urgence manque à tous les niveaux et ceux qui mettent en garde contre ce danger, comme je le fais, sont fortement critiqués sur les réseaux sociaux.

On m’attaque personnellement, sans argumenter sur les faits ou les chiffres. Nous sommes aveuglés par une ambiance suspicieuse, où l’on analyse chaque mesure dans les détails, y compris sur le plan communautaire, alors que la Belgique doit prendre des mesures profondes pour préserver le système social que nous avons construit.

Les francophones sont-ils davantage aveugles que les Flamands ? On parle beaucoup en Wallonie et à Bruxelles de ceux qui se retrouveront exclus du chômage et qui se retrouveront au CPAS…

Avant toute chose, c’est une mesure qui vient 30 ans trop tard. On constate aujourd’hui un énorme effet de migration de ces allocations vers d’autres postes, comme les maladies de longue durée ou les allocations sociales au niveau local. Cette décision était indispensable et elle va changer la culture, l’attitude, la dynamique… L’impact pourrait être très important, même si d’un point de vue budgétaire, cela ne rapportera pas grand-chose. Mais à nouveau, cela vient trop tard.

Cette mesure était-elle surtout nécessaire du côté francophone ?

Je ne sais pas, les choses sont en train de changer. Il faut en tout cas avoir le courage de dire les choses : si on ne dit rien à un patient et que, du jour au lendemain, un médecin lui apprend qu’il est atteint d’un cancer en phase terminale, c’est forcément choquant. L’erreur ne vient pas du moment où l’on fait l’analyse, mais bien du fait que l’on ait caché cet état de santé.

C’est une métaphore pour la Belgique ?

C’est à vous aussi, les médias, d’en tirer les conclusions. Je pense qu’il y a un manque d’informations, au sens large. Toutes les données sont disponibles, mais qui a lu le récent rapport de la Banque nationale ? Nous manquons de l’énergie ou du courage pour regarder les réalités chiffrées en face. Que je sache, la Banque nationale n’est pas l’institution la plus révolutionnaire : tous les partenaires sociaux y sont représentés, cela signifie que les filtres existant dans notre pays ont déjà été appliqués. Or, les feux sont à l’orange foncé ou au rouge pour la plupart des indicateurs, que ce soit la compétitivité, le budget, le vieillissement…

Mais les médias relaient ces informations…

Si vous reprenez des éléments factuels de ce rapport de la Banque nationale sur Instagram, comme je l’ai fait, on va vous attaquer en tant que personne, plutôt que de reconnaître que cela vient d’un document public, crédible et accessible au public. Pourtant, on va viser le fait que j’ai travaillé dans le secteur financier, que je suis Flamand… alors que je suis économiste et que je suis Belge. Si on veut communautariser le message, ce n’est pas de ma responsabilité.

C’est vrai, mais la perception francophone est majoritairement négative et la situation régionale bruxelloise est éclairante : la situation budgétaire est dramatique, personne ne veut-il le voir ?

La situation bruxelloise est dramatique, c’est vrai, mais ce n’est qu’un élément dans la constellation belge. Il faut regarder la situation du pays dans son ensemble. Ce qui se passe là est exemplaire, c’est vrai: dès que le problème se manifeste de façon visible et urgente, personne ne veut prendre ses responsabilités. C’est comme si celui qui gouvernait pour résoudre le problème… était responsable du problème, ce qui n’est évidemment pas le cas. Il s’agit de mener à bien des dossiers négligés durant des dizaines d’années. Assainir et réformer, ce n’est pas un travail très populaire. Cela dit, à l’époque des gouvernements de Wilfried Martens et de Jean-Luc Dehaene (dans les années 1980-1990, ndlr), ceux qui ont pris les rênes de notre pays ont été plébiscités par les électeurs après avoir remis de l’ordre dans le budget.

La situation bruxelloise est dramatique, c’est vrai, mais ce n’est qu’un élément dans la constellation belge. Il faut regarder la situation du pays dans son ensemble.

Le prochain écueil, c’est le conclave budgétaire à la rentrée et cet automne. Sommes-nous au pied du mur ?

Le risque est grand que l’on découvre en septembre une détérioration du déficit budgétaire pour 2026, en dépit de ces premières réformes. Or, il y a déjà eu tant d’oppositions à ces premières mesures présentées comme étant soi-disant dramatiques. Que se passera-t-il si la situation se dégrade, effectivement ?

Le risque est grand que l’on découvre en septembre une détérioration du déficit budgétaire pour 2026, en dépit des premières réformes.

Les gouvernements Martens et Dehaene, à l’époque, savaient qu’il fallait enclencher un turbo, avec deux actions simultanées : des mesures budgétaires qui allègent certaines charges d’une part, mais aussi des incitants pour faire tourner le moteur économique d’autre part. Or, nous restons aujourd’hui avec des perspectives de croissance qui se situent autour de 1%, à peine. C’est la moitié de la croissance que l’on pourrait obtenir, à mes yeux, et qui serait nécessaire pour améliorer le déficit. On ne met pas suffisamment en avant cette nécessité de croissance !

Nous restons avec des perspectives de croissance qui se situent autour de 1%, à peine. C’est la moitié de la croissance que l’on pourrait obtenir.

Depuis une trentaine d’années, cette notion a une connotation très négative qui, selon moi, n’est pas méritée. Le résultat, c’est que de trop nombreuses mesures réglementaires ont été prises ces dernières années pour freiner la croissance, que ce soit au niveau européen, belge ou régional. On doit réinstaurer l’idée que cette croissance est nécessaire pour assainir le budget et sauver les systèmes de santé ou d’éducation.

La croissance est-elle devenue un vilain mot ?

C’est devenu un tabou, comme la défense ou le nucléaire l’étaient eux aussi. Heureusement, dans ces deux cas-là, cela a changé.

Vous nous aviez dit, voici quelque temps, que la Flandre était en voie de “wallonisation” : trop de participations publiques, trop de mainmise politique, moins de foi en la liberté d’entreprise… Est-ce toujours votre crainte ?

L’État belge et les deux Régions se ressemblent de plus en plus, c’est vrai, en ce qui concerne la présence des pouvoirs publics. Il y a une volonté de plus en plus forte de faire en sorte que le gouvernement dirige, distribue, contrôle. Cela vise aussi à rendre ce pouvoir de plus en plus tangible : toutes les entreprises et les acteurs économiques doivent nouer de bons contacts avec les gens qui sont au pouvoir. Cela donne un sentiment de contrôle et cela renforce la nécessité de leur fonction, mais cela se fait au détriment de la dynamique économique.

C’est-à-dire ?

Depuis 30 ou 40 ans, on constate, en Belgique, un recul du nombre de sociétés propres à notre pays et une diminution du nombre d’emplois dans le secteur privé. Les petits indépendants souffrent : le dentiste, le juriste, le petit magasin… Cela est devenu de plus en plus difficile de se lancer en raison de la complexité des règles, de l’importance des charges sociales, etc. Notre population n’est pas éduquée dans la perspective de prendre des risques. De façon générale, celui qui en prend le moins est encouragé et reçoit une meilleure pension.

La société de participation flamande (PMV) a annoncé, cet été, qu’elle augmentait sa part de capital dans Brussels Airport. Est-ce une mauvaise nouvelle qui renforce le poids public ? Le ministre-président wallon, Adrien Dolimont, nous disait alors que son gouvernement n’aurait jamais fait ça…

Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr que l’aéroport de Charleroi soit complètement indépendant de la Région wallonne, selon mes informations, mais je peux me tromper… Nous parlons ici de quelque chose de différent : c’est logique qu’un gouvernement contrôle une infrastructure stratégique au niveau énergétique, de la mobilité… Cela ne me dérange pas. Il y a des participations qui sont moins stratégiques que cela. Cette décision flamande se défend, à l’exception du prix qui me semble élevé, mais je n’ai peut-être pas tous les éléments pour juger. Cela aurait d’ailleurs davantage de sens si la Région de Bruxelles-Capitale avait pris, de la même façon, une minorité de blocage dans l’aéroport. Le fédéral, lui, est aussi présent dans l’actionnariat. C’est important pour dynamiser l’aéroport et sécuriser l’emploi.

Faut-il par ailleurs vendre des participations publiques telles que Belfius, Proximus, bpost ?

On ne peut généraliser ce débat. Le cas de Belfius est très différent de celui de Proximus ou bpost, où l’ancrage belge me semble moins important dans un monde où l’échelle est devenue plus importante pour les technologies. Belfius, quant à elle, finance aussi les Communautés, les Régions et les pouvoirs locaux : cela me semble important que les gouvernements continuent à y jouer un rôle. Il convient aussi de préserver le rôle de la Belgique ou Bruxelles en tant que centre financier pour les 20 ans à venir, avant que l’on ne décide d’une vente qui serait principalement motivée par la nécessité d’avoir de l’argent à court terme. D’autres ventes ont eu lieu par le passé, que l’on a regretté par la suite parce que cela nous a coûté plus cher à long terme.

Y a-t-il, pour le moment, de potentielles “bombes communautaires” sur la table du gouvernement ? Je ne les vois pas dans ce que vous dites…

Cela dépend de la façon dont vous analysez mes réponses.

Vous dites être souvent attaqué sur le plan personnel, comment le vivez-vous ?

Vous savez, un titre de presse peut tout changer. J’ai donné récemment une interview à la presse flamande où l’on a titré sur une citation affirmant que “l’âge de la pension à 70 ans serait logique”. J’ai reçu énormément de messages négatifs via les réseaux sociaux. Cela a débordé. C’était la même chose quand j’avais exprimé la nécessité de rattraper le retard du covid dans l’éducation en raccourcissant la période des vacances : j’ai reçu des milliers d’attaques de la part d’étudiants de façon coordonnée.

Ne serait-on pas prêt à entendre un langage vérité et tire-t-on sur le messager ?

Oui. On épingle mes photos privées en critiquant le fait que je prends des vacances, que j’ai une vie facile ou que je ne saurais pas ce que c’est de travailler. C’est un peu facile. Je peux bloquer tous les comptes, mais j’ai toujours mené le débat de façon transparente et visible. Je n’ai pas de vie cachée, cela me rend plus vulnérable.

Profil

1967 : Naissance à Anvers
1992-1994 : Senior economist du Vlaams Economisch Verbond (VEV)
1994-2009 : Chief economist de Degroof Petercam
Depuis 2009 : CEO d’Econopolis

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