Franz Fayot, Ministre de l’Economie du Luxembourg : “Nous sommes une terre d’accueil”

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Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le Grand-Duché, prévoyant, veut se diversifier hors de la finance, qui pèse un tiers de son PIB. Une tâche difficile pour un pays aux coûts salariaux élevés, qui connaît une immigration importante. Ses résultats sont intéressants, notamment dans le spatial et la logistique.

Le Luxembourg est très (trop?) connu pour ses banques, mal connu pour le reste. C’est la raison pour laquelle Trends-Tendances a interrogé Franz Fayot, ministre de l’Economie du Grand-Duché, sur la politique de diversification de l’économie de son pays, qui est particulièrement active.

TRENDS-TENDANCES. Comment se fait-il que le Covid-19 a entraîné un recul plus modéré pour l’économie luxembourgeoise, -1,3% l’an dernier, que pour la Belgique, -6,2% et l’UE en général, -6,6%?

FRANZ FAYOT. La régression économique était moins grave que ce que nous avions projeté. La prévision du Statec (Institut national de la statistique et des études économiques du Grand-Duché, Ndlr) parlait de -7%. La raison principale de cette bonne résistance aux conséquences de la crise sanitaire s’explique par la structure de notre économie, qui est très largement orientée services. Une bonne partie des salariés a pu télétravailler. L’impact sur le PIB en a été atténué.

Pour revenir à l’une de vos fonctions de ministre, votre travail consiste notamment à attirer des activités économiques nouvelles dans le pays. Cherchez-vous à vous diversifier de votre forte activité financière, ne pas vous résumer à la banque et l’assurance?

Absolument. Vous savez que le ministre des Finances, Pierre Gramegna, est en charge du développement du secteur financier, qui est un pan important de notre économie, représentant environ le tiers de notre PIB. Ici, au ministère de l’Economie, nous essayons depuis une quinzaine d’années de diversifier l’économie pour nous rendre moins vulnérables aux turbulences qui peuvent frapper le secteur financier. Nous cherchons aussi à stabiliser notre base industrielle, qui existe toujours, même si ce n’est pas toujours reconnu hors de nos frontières, à l’inciter à aller dans la production à haute valeur ajoutée. Ensuite, nous développons des niches comme les technologies de la santé, l’espace, la logistique, qui a pris de l’importance avec la pandémie, les technologies de l’information, les éco-technologies et l’économie circulaire. En mettant à contribution le secteur financier dans cette transition verte.

Nous avons été sélectionnés par la Nasa pour participer au programme américain Artemis pour la reconquête de la Lune.

Que voulez-vous dire par faire contribuer la finance à la transition verte?

Un des leviers importants pour la croissance du Luxembourg est certes notre industrie financière avec son expertise transfrontalière unique. Des efforts sont consacrés, sous l’impulsion du ministère des Finances, à développer la finance verte. Aujourd’hui, le Luxembourg est une plateforme internationale de premier plan en matière de finance durable, allant des fonds responsables au financement conjoint en passant par la cotation d’obligations vertes et de la labellisation des fonds.

C’est vrai que l’on oublie que le Luxembourg a été un pays industriel, avec l’Arbed, dans la sidérurgie. Sont-ils toujours fort actifs?

La sidérurgie est toujours là! ArcelorMittal ( l’ex-Arbed est fondu dans cet ensemble, Ndlr) compte aujourd’hui toujours 3.900 salariés au Luxembourg, il est toujours dans le top 10 des principaux employeurs du pays. Nous avons conclu un accord tripartite en janvier à la suite d’une réorganisation, dans le contexte des difficultés traversées par le groupe, qui consolide ses sites de production dans le pays. Le siège d’ArcelorMittal se trouve au Luxembourg où le groupe est bien ancré. Le pays compte d’autres acteurs industriels de renom d’origine américaine comme Goodyear ou DuPont de Nemours.

Dans la diversification que vous cherchez à développer, la plus surprenante est celle qui vise l’espace et son exploitation. En quoi le pays est-il un endroit idéal pour une économie spatiale, alors qu’on n’y lance pas de fusées?

Nous avons une crédibilité dans le secteur avec la Société européenne des satellites (SES) que nous avons créée en 1985 ( opérateur du premier réseau de satellites de télécommunication mondial, Ndlr) avec l’appui financier du gouvernement à l’époque. Il y a 35 ans, nous étions pionniers, aujourd’hui SES est une véritable success story luxembourgeoise. En 2016, nous avons voulu répéter le même coup dans un domaine de compétences inédit jusque-là que notre bureau de promotion économique à San Francisco avait déniché dans la Silicon Valley, à savoir la récupération et l’utilisation de ressources dans l’espace. On a constaté alors que des entreprises se créaient en Californie pour exploiter les ressources de l’espace, notamment le space mining, à savoir l’exploitation minière des astéroïdes. Fidèle à notre image de first mover, nous nous sommes dit que c’était un créneau à développer. En 2017, nous avons promulgué une loi sur l’exploitation des ressources de l’espace qui, après une loi américaine, était la première législation de ce type en Europe permettant à des acteurs privés d’exploiter des ressources dans l’espace. Le succès depuis a été réel. Nous avons pu attirer un écosystème d’entreprises, de fonds d’investissements dédiés à l’espace. Nous avons créé en 2018 notre propre agence de l’espace. Il y a quelques mois, nous avons été sélectionnés par la Nasa comme un des premiers pays au monde pour participer au programme américain Artemis pour la reconquête de la Lune. Il s’agit d’envoyer un nouvel homme et la première femme sur la Lune en 2024 et de construire une infrastructure pour explorer d’autres planètes.

Quelles sont les entreprises importantes dans ce nouveau secteur?

Notamment Spire Global, une start-up d’origine californienne en forte croissance du “New Space” qui a choisi le Luxembourg pour y établir son quartier européen. Moyennant sa flotte de nanosatellites, cette entreprise collecte et analyse des données résultant de l’observation de la Terre via une technologie satellitaire exclusive pour prévoir les conditions météorologiques et suivre les déplacements des navires et des avions. Autre exemple: iSpace, d’origine japonaise, active dans les rovers, de mini véhicules robotisés, qui travaille sur un programme d’exploration lunaire ( iSpace a signé un accord avec la Nasa pour une mission d’exploration et de collecte de roches sur la Lune en 2023, avec une mission Artemis robotisée, Ndlr).

Le coût salarial élevé n’est pas un désavantage compétitif, mais un facteur de paix sociale dans un pays où le coût de la vie est important.

Vous avez fait aussi de grands efforts pour attirer des géants du numérique, comme Apple ou Amazon, qui figure dans les premiers employeurs du pays. Vous espérez attirer d’autres entreprises de ce type?

Amazon est dans le top 10 avec 2.760 salariés. Ce sont des présences importantes, nous avons aussi ici PayPal, Skype, sans parler de RTL Group, le groupe audiovisuel international qui est toujours là. Nous tirons parti de notre infrastructure de communication, Post ( l’opérateur public du Luxembourg, Ndlr) a investi des centaines de millions d’euros dans les infrastructures numériques comme la fibre optique. Google a un plan de construction d’un data center à Bissen, dans le centre du pays. On aimerait bien les voir ici, ce serait une belle référence. Nous avons aussi, toujours à Bissen, un projet de high performance computer, une initiative européenne commune, avec la Belgique, pour offrir d’énormes puissances de calcul aux entreprises.

Franz Fayot, Ministre de l'Economie du Luxembourg :
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Dans le monde de la logistique, quel est le poids que joue l’aéroport de Findel, qui, avant le Covid-19, était en croissance pour les passagers, et très important pour le cargo?

Selon des études pré-Covid, l’aéroport pèse 5% du PIB national. En tant qu’un des plus grands aéroports de fret en Europe, il constitue un facteur d’emploi important avec 25.000 postes, dont 7.000 directs ( en Belgique, les aéroports représentent 1,5% du PIB et 62.500 emplois selon la BNB, Ndlr). L’emploi a sans doute été réduit par la crise à certaines fonctions, la compagnie aérienne nationale Luxair a ainsi, comme d’autres, subi une restruc- turation. Avant le Covid, en 2019, Findel accueillait par an 4,4 millions de passagers, et près de 1 million de tonnes de fret. Cargolux est basé dans cet aéroport. La première compagnie aérienne tout cargo en Europe a joué un rôle important pendant la pandémie, quand nous manquions de masques et de matériel. Cet aéroport est donc stratégique, surtout si on le rattache à la plateforme multimodale de Bettembourg, au sud du pays.

Vous cherchez à attirer des entreprises étrangères, à susciter des créations d’entreprises, mais est-ce que le Luxembourgeois est entrepreneur?

C’est une discussion que nous avons en effet. Le cliché du Luxembourgeois qui travaille dans la fonction publique et des étrangers qui créent des entreprises mérite d’être nuancé. D’abord qu’est-ce qu’un Luxembourgeois? Nous avons beaucoup de néo-Luxembourgeois, beaucoup sont à moitié belges, moitié allemands, un peu français. D’après une étude récente, la proportion d’entrepreneurs dans la population totale est de 9,3%, ce qui est au-dessus de la moyenne européenne de 8,3%. Maintenant, soyons honnêtes, il y a un frein à l’entrepreneuriat: la peur de l’échec. C’est un mal européen. Nous n’avons pas cette culture américaine où l’on est prêt à échouer trois ou quatre fois avant de rebondir et de créer une entreprise avec succès. C’est notamment lié à des conditions juridiques, à une loi des faillites assez obsolète, qui n’encourage pas vraiment l’entrepreneuriat. Cela étant, le parc des entreprises augmente de 1.000 unités tous les ans. Il y a 30.000 entreprises au total au Luxembourg car certaines disparaissent. Pour promouvoir la création de start-up, nous avons maintenant une vingtaine d’incubateurs publics et privés, dans différents secteurs, dont la santé.

Les coûts salariaux du Grand-Duché ne sont-ils pas un frein pour la compétitivité du pays? Le salaire minimum est élevé par rapport à d’autres pays: 2.202 euros (2.642 euros pour les salariés qualifiés), contre 1.600 euros en Belgique…

Nous sommes conscients que nous sommes un pays à coût salarial élevé. Cela n’a pas nui au développement de l’économie sur le long terme. Nous avons connu une croissance annuelle moyenne de 3,5% entre 1995 et 2019. Au 31 mars de l’année dernière, nous avons augmenté le salaire social minimum, qui concerne 60.500 salariés, de 2,8%, compensé par une aide aux entreprises de 500 euros par salarié, pour tenir compte des difficultés liées au Covid. Ce n’est pas un désavantage compétitif mais un facteur de paix sociale dans un pays où le coût de la vie est important, notamment pour se loger. Comme ministre socialiste, je considère aussi que les personnes en première ligne, aux caisses des magasins, dans la logistique, méritent aussi leur part de gâteau. Oui, le salaire social minimum est élevé, mais cela présente pour moi plus d’avantages que d’inconvénients.

Nous sommes victimes de notre zèle en matière de transparence.

L’immigration pèse sans doute plus lourd au Luxembourg que dans n’importe quel autre pays de l’UE. Comment cela se gère-t-il politiquement dans un pays de 626.000 habitants?

C’est exact, ces dernières années le solde migratoire a atteint les 10.000 personnes par an, c’est considérable. Notre population a fortement augmenté ces 10 ou 20 dernières années. Nous avons connu plusieurs grandes vagues: les Italiens, pour l’industrie sidérurgique, les Portugais attirés par la construction, la guerre de Yougoslavie a entraîné la dernière grande vague des Balkans. Nous avons cette tradition d’être une terre d’accueil et d’immigration, notre économie fonctionne largement sur l’apport des frontaliers, de la Grande Région qui représente plus que la moitié de l’emploi. Tout le monde vient au Luxembourg et il y a peu de tensions. Encore une fois, Luxembourgeois de souche, ça n’existe pas vraiment. Mon grand-père du côté maternel s’appelle Van den Bulcke et fut d’origine belge. Ma mère s’est fait naturaliser et beaucoup d’immigrés le font. Nous sommes une terre d’accueil, cela contribue à notre succès économique et constitue une richesse culturelle et linguistique.

Enfin, pour terminer, le Luxembourg est parfois la cible d’enquêtes de médias comme Luxleaks ou OpenLux, qui mettent en avant son rôle fiscal, est-ce que cela relève d’une certaine jalousie ou est-ce mérité?

Beaucoup de choses ont changé ces six ou sept dernières années, depuis que le gouvernement actuel est entré en fonction. Nous avons pleinement adopté toutes les réglementations européennes ou internationales en matière de transparence fiscale. Nous étions parmi les premiers pays dans l’OCDE à promouvoir de nouveaux standards en matière fiscale. Nous avons aboli le secret bancaire pour les non-résidents et avons introduit l’échange d’informations avec les autres pays. Aujourd’hui, nous sommes toujours une place financière renommée qui se développe. Avec OpenLux, nous sommes victimes de notre zèle en matière de transparence car ces enquêtes journalistiques sont le résultat de l’exploitation de notre registre des bénéficiaires effectifs qui est accessible en ligne et qui a été mis en place avec la transposition de la directive antiblanchiment 5. Cela montre que nous avons fait des efforts que d’autres pays n’ont pas fait, en particulier de grands pays qui nous font parfois des reproches. Maintenant, ces reproches peuvent être faits à tous les pays et au système. Les entreprises et les particuliers bénéficient de moyens d’optimisation fiscale, parfois agressifs, qui sont en fin de compte des failles de l’architecture fiscale internationale, notamment la directive mère-fille. On doit revoir cette architecture au niveau international, nous ne nous y opposons pas, le ministre des Finances est engagé dans cette voie. L’essentiel est que nous sommes dans un mouvement vertueux depuis sept ans.

Profil

  • Né le 28 février 1972 à Luxembourg.
  • Etudes de droit à Luxembourg et à Paris, complétées par un DEA en droit des affaires à l’Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne en 1996.
  • Avocat à Luxembourg de 1997 à son entrée au gouvernement.
  • Membre du Parti ouvrier socialiste luxembourgeois (LSAP) depuis 1994, qu’il a présidé de 2019 à 2020.
  • Ministre de l’Economie et ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire depuis février 2020, au sein d’un gouvernement de coalition libéral, vert, socialiste.

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