France : pourquoi les marchés ont peur du programme du RN

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le programme économique du Rassemblement National est extrêmement dépensier, protectionniste et creuserait le déficit public d’une centaine de milliards d’euros supplémentaires, si pas davantage.  Bref, incompatible avec les règles européennes.

Une Bourse de Paris chahutée, des valeurs bancaires qui dévissent (-5% pour BNP, -8% pour Société Générale), l’euro qui baisse et le taux d’emprunt de l’État français qui remonte. On ne peut pas dire que la perspective de voir le RN au gouvernement réjouisse les marchés. Pourquoi ?

Europe à la carte

Le programme économique du RN consiste à remettre la priorité nationale au cœur de l’action et à sortir du « temps de la naïveté », pour reprendre l’expression de Jordan Bardella, et à « rendre leur argent aux Français », pour reprendre la « punch line » de Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle de 2022. Mais encore.

Cela consiste, d’abord, à vouloir détricoter les accords de libres échanges signés sous l’égide de l’Union européenne afin de privilégier à nouveau les accords bilatéraux. Cela consiste  à vouloir sortir la France des accords énergétiques, de la politique agricole commune et des directives telles que celle sur les travailleurs détachés. Le RN désire aussi simplifier la réglementation des entreprises et permettre à celles-ci de déroger aux règles européennes. Dans le viseur du parti d’extrême droite, il y a, en premier lieu, les directives européennes sur le devoir de vigilance et la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui fixe de nouvelles normes et obligations de reporting  pour les sociétés cotées et les grandes entreprises.

Paradoxalement, le RN s’oppose aussi à la directive qui permet d’interdire les produits résultant du travail forcé. Une directive qui, pourtant, permettrait de stopper les importations de produits fabriqués en dehors de l’UE dans des conditions douteuses… Mais le texte avait été porté par le socialiste Raphaël Glucksmann, ennemi juré du RN.

En revanche le parti nationaliste soutient le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, et souhaite même l’élargir. Mais ce mécanisme a déjà été adopté….

Frexit ?

Reste la grande question. La France doit-elle rester dans la zone euro, voire dans l’Union ?  S’il y a quelques années, le RN plaidait pour une sortie de l’euro voire un « Frexit », il se fait moins assertif sur ces sujets aujourd’hui. Est-ce pour ne pas effrayer les électeurs hésitants ou est-ce une réelle révision de position ?

 La question est rhétorique, car dans les faits, les exigences détaillées plus haut d’un RN désireux de faire une politique européenne « à la carte » sont évidemment incompatibles avec le statut de membre de l’Union. Rappelons-le, faire partie de l’UE implique d’accepter la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux. Une Europe à la carte n’est pas possible.

Beaucoup, beaucoup de cadeaux

On comprend que les investisseurs en obligations françaises prennent peur à la lecture des mesures prévues par l’équipe de Jordan Bardella et Marine Le Pen. Le programme socio-économique du RN vise en effet à prendre des mesures destinées à soutenir le pouvoir d’achat d’un peu tout le monde. Le RN veut revoir la politique européenne d’interdiction de vente de nouvelles voitures thermiques après 2035,  il désire abaisser la TVA à 0% sur une centaine de produits de base, il est également en faveur d’une exonération des cotisations sociales sur les augmentations salariales de 10% ou plus (pour les salaires inférieurs à trois fois le SMIC, le salaire minimum, qui est à un peu moins de 1770 euros aujourd’hui) et d’une exonération de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans.

 Le RN désire aussi réduire la TVA sur l’énergie de 20 à 5,5% et abaisser les charges patronales, en supprimant certaines cotisations sociales spéciales (la cotisation foncière des entreprises et la contribution sociale de solidarité sur les sociétés). Ces deux dernières mesures à elles seules coûteraient 20 milliards d’euros de plus par an au budget de l’État français.

Par ailleurs, le RN désire doper d’une quarantaine de milliards supplémentaires par an les dépenses publiques de R&D en France. Ici aussi, ce dérapage budgétaire semble incompatible avec les règles du pacte de stabilité qui sont rentrées en vigueur. Car en tout, les mesures RN, si elles étaient mises en œuvre, aggraveraient le déficit public français d’une bonne centaine de milliards d’euros par an. Un déficit qui approchait les 160 milliards l’an dernier, soit 5,5% du PIB. Et cela sans compter sur l’effet retour de l’abandon des traités commerciaux multilatéraux, qui pourraient coûter, selon certaines estimations, et selon ce qu’on voit au Royaume-Uni depuis le Brexit, 3 points de PIB. Cela représenterait une perte de recettes de 35 milliards pour le Trésor français.

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