Supprimer la prime de nuit? “Aller chercher de l’argent dans la poche des gens qui travaillent? C’est aberrant!”
Et si le travail de nuit n’était plus aussi valorisé? C’est en tous cas l’une des mesures annoncées dans la note du futur gouvernement. Les autorités veulent en effet supprimer la prime de nuit entre 20h et minuit. Nous avons recueilli les réactions de deux employés du secteur des soins de santé, directement impacté par cette décision.
Horaire décalé, travail pénible… Dans de nombreux secteurs, les travailleurs belges perçoivent des indemnités à partir d’une certaine heure. Et si le travail de nuit commençait à minuit et non plus à 20h? L’idée commençait déjà à faire son chemin en 2019. L’Arizona remet aujourd’hui la mesure sur la table des négociations: elle compte bien supprimer une partie de la prime de nuit. Une annonce qui a fait réagir divers secteurs… Nous avons interviewé une infirmière et une cheffe de service, qui iront manifester contre la mesure le 7 novembre prochain.
Décourager les employés du secteur
Quel est votre ressenti à l’annonce de cette mesure?
Laetitia, 33 ans, infirmière*: J’ai le sentiment que c’est un gros retour en arrière. On n’arrête pas de prôner la valorisation de notre travail, enfin du métier d’infirmière. Sauf que là, en supprimant les primes d’une partie pénible de notre travail, c’est-à-dire les nuits, cela ne va pas du tout encourager les jeunes à se lancer dans ce métier. Ni même nous inciter à continuer le métier d’infirmière, dans mon cas.
Marie, 61 ans, cheffe de service*: Mon ressenti? Déjà, moi je n’ai pas reçu d’informations, la direction ne nous a encore rien dit. Mais c’est une merveilleuse manière pour encore avoir moins d’infirmières sur le marché. Ce n’est pas du tout une façon de redorer le blason du métier d’infirmière. On ne peut pas dire qu’on est le secteur le plus favorisé financièrement. On a déjà un métier inconfortable, on a déjà plein d’inconvénients, avec de grosses responsabilités. Et en nous supprimant tous nos acquis, comme la prime de nuit, je pense que ça ne va pas aider à avoir du personnel.
Le gouvernement dit vouloir stimuler le travail, est-ce une bonne manière de le faire?
Marie: Ils sont en complète contradiction avec la réalité du terrain. D’un côté, on manque de personnel, de l’autre, on enlève tout ce qui pourrait aider à l’attractivité du métier. Je pense qu’on a besoin de reconnaissance. La reconnaissance est un merci, mais c’est aussi une reconnaissance financière. Aller rechercher de l’argent dans la poche des gens qui travaillent, c’est complètement aberrant. On ne bénéficie déjà pas de grosses primes…
Ce n’est pas du tout une manière de redorer le blason du métier d’infirmière
Laetitia: Stimuler le travail en supprimant les primes? Ils savent quand même bien qu’on ne va pas travailler sans carotte. Faire les nuits, c’est quand même une partie importante de notre travail. C’est horrible de réussir à l’associer avec une vie de famille. Il nous faut donc une bonne raison de vouloir travailler durant ces horaires décalés. Et cette raison, c’est souvent qu’on est mieux payé. C’est bien de pouvoir payer une bonne éducation à ses enfants en ayant un meilleur salaire. Et puis, travailler la nuit détruit notre santé, c’est prouvé scientifiquement. C’est normal d’avoir une juste compensation pour ça. D’autant que c’est pour nous occuper des gens. On parle d’un métier de terrain, tout de même.
Réduire les coûts en dépit des besoins
Qu’est-ce que les infirmières risquent de perdre avec cette réduction de prime de nuit?
Marie: En pourcentage? Cela va dépendre du nombre de nuits que tu fais par mois. Il faudrait faire un calcul. Mais une chose est sûre, cela enlève quand même une grosse partie des finances.
Laetitia: Je ne suis pas en temps plein de nuit, mais en faisant juste cinq nuits par mois, j’arrive à avoir une prime de 300 à 400€ environ. En sachant que mon salaire de base n’est pas forcément très élevé. Donc cela fait quand même quelque chose en plus sur ma fiche de paie qui est non négligeable.
Avec cette mesure, les autorités cherchent surtout à réduire les coûts. Y a-t-il d’autres solutions pour y parvenir?
Laetitia: c’est une bonne manière de réduire les coûts de manière directe, à court terme. Alors qu’il faudrait plutôt viser le long terme. En faisant beaucoup plus de prévention par exemple. On sait que ce qui remplit la majorité des hôpitaux, ce ne sont pas les maladies auto-immunes ou même les petites maladies qu’on peut attraper. Ce sont surtout les conséquences directes d’une mauvaise hygiène de vie, comme la cigarette, l’alcool, la malbouffe… et même la drogue. Je ne pourrais même pas vous compter le nombre de personnes qui viennent aux urgences pour éthylisme chronique et qui ont des problèmes de santé à cause de ça. C’est plutôt ce problème-là qu’il faudrait attaquer de front et pas le système de santé lui-même.
Marie: Il faudrait peut-être revoir l’organigramme des directions, comme dans toutes les entreprises. Et revoir la répartition des budgets pour rendre le tout équitable. Dans les hôpitaux, certains services sont des vaches à lait qui ramènent beaucoup d’argent. Pourquoi est-ce que ces services-là ont pléthore de personnel infirmier et d’autres, comme les urgences, en manquent? Je suis convaincue qu’il faut revoir la gestion. Il faut remettre les priorités au bon endroit. Moi je dis toujours que si l’hôpital était une entreprise privée, ça fait longtemps qu’elle aurait fait faillite.
Si l’hôpital était une entreprise privée, ça fait longtemps qu’elle aurait fait faillite
Laetitia: Il faudrait rendre obligatoire une visite annuelle chez le médecin. Imposer un contrôle de prise de sang pour identifier les problèmes de santé potentiels chez chacun. Et agir en fonction. Si on a trop de cholestérol, on fait attention à ce qu’on mange. Si on voit que la cigarette commence à poser problème, on stoppe le tabac… En limitant les allées et venues à l’hôpital grâce à une meilleure prévention, on réduit les coûts.
Marie: Il faudrait aussi modifier la législation, qui n’a pas changé depuis des années. Que tu aies 100 patients, que tu en aies 150 ou même 300, on n’a droit qu’à deux infirmières 24h sur 24 aux urgences. Enfin, quand il n’y a pas de SMUR et de PIT. Pourquoi est-ce que les infirmières tombent malades? Pourquoi est-ce que les infirmières se cassent la jambe? Parce qu’elles sont épuisées.
Une manifestation le 7 novembre
Pourquoi voulez-vous vous rendre à la manifestation du 7 novembre prochain?
Laetitia: Parce que ça me concerne étroitement, que les soins de santé sont négligés depuis très longtemps. On pensait qu’avec le Covid, il y aurait un petit boom de reconnaissance. Qu’on ferait finalement des choses un peu plus concrètes pour le milieu hospitalier ou les soins. Mais on remarque que c’est plutôt l’inverse qui se produit: on attaque de front les employés.
Marie: C’est dommage qu’en Belgique, on soit obligé de faire grève, mais moi j’encourage à ne pas se laisser faire.
*prénom d’emprunt, les intervenantes ont préféré garder leur identité secrète.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici