Raoul Hedebouw (PTB) : “Il est temps de regarder la Chine sans mépris”

PVDA - PTB chairman Raoul Hedebouw delivers a speech at the 'ManiFiesta' solidarity event organized by far-left party PVDA - PTB in Oostende, Saturday 17 September 2022. BELGA PHOTO NICOLAS MAETERLINCK

Dans son bureau du Parlement fédéral, Raoul Hedebouw, président du PTB, reçoit Trends-Tendances. Sur les murs : Rage Against the Machine, un martin-pêcheur turquoise et la colombe de la paix de Picasso. Une ambiance à son image, entre révolte et idéal de concorde.

Est-ce l’heure de la révolution ou le moment des responsabilités et l’heure de gouverner ? On est dans le bureau de Raoul Hedebouw, président du PTB. À écouter ou lire dans le cadre du Podcast Trends-Tendances : “Dans le bureau de...”.

Olivier Mouton. Le bureau est plutôt spartiate, mais enfin, j’ai repéré quand même qu’il y a une affiche de Rage Against the Machine. Ça a du sens, non?

Raoul Hedebouw. Rage Against the Machine, c’est le meilleur groupe de tous les temps ! Et il y a une belle symbolique : Rage Against the Capitalist Machine. Ce groupe incarnait cette colère contre le système, et elle reste intacte. Mais je ne suis pas qu’un homme en colère. J’aime aussi le martin-pêcheur, cette flèche turquoise qui traverse le paysage, et la colombe de la paix de Picasso, qui garde tout son sens aujourd’hui. J’ai décoré à ma manière, entre rage et espérance.

OM. Vous êtes au Parlement, temple de la légitimité démocratique. Pourtant, le PTB revendique aussi « la rue » comme champ d’action. Une contradiction ?

Pas du tout. Les deux sont indispensables. Le débat parlementaire est essentiel, et nos députés y participent passionnément. Mais nous avons aussi une stratégie extra-parlementaire. La lutte sociale et le mouvement populaire influencent fortement les décisions politiques — et c’est très bien ainsi. Notre rôle, c’est de parler directement à la classe travailleuse, à la jeunesse, au peuple, et d’encourager cette résistance.

Baptiste Lambert. Les syndicats annoncent trois jours de grève fin novembre et veulent faire tomber le gouvernement De Wever. Vous trouvez que cette démarche est légitime ?

Notre priorité, c’est de faire reculer ce gouvernement sur ses mesures antisociales : le malus pension qui oblige à travailler jusqu’à 67 ans, la suppression des primes de nuit, le blocage salarial… Ce sont des attaques contre le monde du travail. Et il y a une vraie question de légitimité démocratique : aucun parti du gouvernement n’avait promis ces mesures avant les élections. En Belgique, on dit A avant le scrutin et on fait B après. C’est pour ça qu’il existe une lutte de classe en dehors du Parlement.

OM. Bart De Wever a menacé de retourner au Palais si aucun accord n’était trouvé d’ici le 6 novembre. Ce blocage politique, c’est une opportunité pour vous ?

Le blocage vient surtout de la pression populaire. Les partis discutent d’augmenter la TVA, d’un saut d’index, de coupes dans les soins de santé… mais ils sentent la colère sociale monter. C’est elle qui les freine. Et c’est une bonne chose.

“Dans le bureau de… Raoul Hedebouw. A écouter en podcast dès jeudi 16h.

OM. Mais il faut tout de même trouver dix milliards d’euros. Le retour à l’équilibre budgétaire ne compte pas pour vous ?

Au contraire ! Le budget est quelque chose de très important, surtout pour un parti marxiste comme le PTB. Mais il faut regarder qui a créé les trous budgétaires : la droite. Bart De Wever est un stratège. En 2015, il a mis en place un tax shift de 8 milliards d’euros, non compensé, dans le but assumé de sous-financer la sécurité sociale. Il l’a dit lui-même : créer un manque pour justifier ensuite des coupes dans les pensions et les services publics. C’est de la politique de long terme… au service du grand capital.

BL. Vous connaissez bien la Flandre. Bart De Wever roule pour la Flandre ou pour les riches ?

Il roule pour les riches, d’abord. Pour la grande bourgeoisie. Son discours “There is no alternative” est du pur Thatcher : faire payer les travailleurs pour enrichir les plus aisés. Or on a vu ce que ce modèle a produit en Grande-Bretagne : deux récessions, une explosion du chômage et des inégalités. Sa “trickle-down economy”, cette idée que l’argent donné aux riches redescend vers les pauvres, ne fonctionne pas. Jamais.

OM. Votre alternative, c’est taxer les riches ?

C’est surtout remettre les choses à plat. Les aides directes ou indirectes aux entreprises représentent 25 milliards d’euros, soit 4 % du PIB. La Banque nationale elle-même demande un audit pour savoir lesquelles sont utiles. Et elle reconnaît que le coût salarial belge n’est pas plus élevé que dans les pays voisins. Ce n’est pas le PTB qui le dit, c’est la Banque nationale.

BL. Mais les aides concernent aussi les entreprises publiques ou le non-marchand. Tout ne va pas au privé.

Oui, c’est vrai. C’est pour ça qu’il faut un audit sérieux. Mais au fond, la question clé est celle du partage des richesses : la part des salaires dans la richesse produite est passée de 64,7 % à 60,8 % en dix ans. Cela représente 12,8 milliards par an qui sont passés du travail au capital. Ce n’est pas révolutionnaire de vouloir revenir à l’équilibre d’il y a dix ans !

OM. Est-ce l’heure d’une majorité alternative, ou d’un PTB prêt à gouverner ?

Nous sommes prêts, bien sûr. Mais ce sera compliqué. Cela fait quarante ans que les partis traditionnels, y compris de gauche, mènent des politiques néolibérales. La chasse aux chômeurs, c’est Elio Di Rupo. La privatisation des services publics, ce sont le PS et les Engagés dans les années 1990. Le PTB veut une rupture économique. Nous avons déjà gouverné dans certaines communes, comme Molenbeek ou Herstal, et nous avons montré que d’autres majorités étaient possibles. Mais la lutte sociale doit d’abord créer le rapport de force.

BL. Et à quel niveau voulez-vous agir ?

Les communes étaient des laboratoires, mais leurs marges de manœuvre sont limitées : la Région wallonne impose une austérité qui ressemble à un FMI régional. Il faudra donc analyser les possibilités à d’autres niveaux, notamment régional et fédéral. Mais une chose est claire : pas question de gouverner avec la N-VA. Avec les partis de gauche, oui, des alternatives sont possibles.

OM. Le PTB a des racines maoïstes. Quelle est aujourd’hui votre vision de la Chine ?

Nous ne sommes plus un parti maoïste et nous n’avons pas de modèle. Mais je pense qu’on ferait bien de regarder la Chine sans mépris. C’est une économie planifiée, régulée, avec 4 à 5 % de croissance quand l’Europe capitaliste rame à 1 %. L’Europe commet une erreur en suivant les États-Unis dans leur guerre froide contre la Chine. Si Trump concentre ses forces contre Pékin, ce sera la guerre mondiale. L’Europe doit retrouver une autonomie stratégique.

OM. Vous parlez de croissance, de technologie, de science. On vous a connus plus “anti-marché”. Le PTB a changé ?

Nous croyons dans la croissance. Nous ne sommes pas de décroissantistes. Mais pas n’importe laquelle. Le marxisme n’a jamais été contre la technologie, seulement contre son utilisation capitalistique. Le problème, ce n’est pas la machine, c’est le profit qu’on en tire au détriment de la majorité. Nous avons besoin d’investir dans la recherche, l’infrastructure, les sciences. Ce n’est pas le marché qui va le faire. La libéralisation des transports ou de l’énergie est une catastrophe : les grands capitaux n’investissent que quand c’est rentable.

BL. Et l’intelligence artificielle, vous la voyez comme une opportunité ou une menace ?

Les deux. Elle peut démocratiser la connaissance, mais aujourd’hui, elle sert surtout à exclure. L’IA précarise les “cols blancs” comme la robotisation avait frappé les ouvriers. On prolétarise les chercheurs, les journalistes, les employés. Si la technologie n’est pas au service de l’humain, elle crée burn-out, stress et maladies de longue durée. Il faut remettre la technologie au service du bien commun. Et là-dessus, oui, Rage Against the Machine a encore tout son sens.

OM. Justement, vous gardez la colère ?

Toujours. Mais une colère qui s’organise et qui réfléchit. Rage Against the Machine, c’est plus qu’un groupe : c’est un état d’esprit.

Le podcast complet est à retrouver dès 16h sur Trends-Tendances podcast.

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