Le redémarrage raté de l’Arizona : la dramatisation avant la concrétisation ?
En Belgique, la longue histoire des négociations fédérales nous enseigne que la formation d’un gouvernement passe toujours pas un moment de dramatisation. Nous y sommes peut-être : les socialistes flamands ont mis un gros coup de pression, hier soir, après la réunion entre négociateurs. Tous sont toutefois condamnés à s’entendre. Les alternatives à l’Arizona existent, mais font appel à une grande imagination.
Après la parenthèse communale, les négociations fédérales monopolisent à nouveau toute l’attention politique. Ce jeudi midi, le formateur, Bart De Wever (N-VA), conviait tous les négociateurs autour d’un lunch pour évoquer l’agenda des prochaines semaines. C’est en tout ce qui était prévu : donner un sérieux coup d’accélérateur aux négociations dès la semaine prochaine, via un agenda intensif quasi quotidien.
Mais peu après la réunion, un communiqué de presse de Vooruit tombe dans les boîtes mail des journalistes. « Nous ne voulons plus perdre de temps avec des sous-textes », est-il écrit. Pour les socialistes flamands, il est hors de question de discuter des autres thèmes (énergie, migration, sécurité, communautaire, etc.) avant d’avoir dénoué le nœud de la super-note. Cette “supernota”, rédigée par Bart De Wever, est le cœur économique de l’Arizona, traitant à la fois de fiscalité, de pensions et du marché du travail. À la fin de l’été, c’est un désaccord sur cette super-note entre le MR et Vooruit qui avait fait capoter la première tentative du président de la N-VA.
D’emblée, Vooruit renverse donc la nouvelle méthode de Bart De Wever. Elle consistait à faire l’inverse de la séquence de l’été : commencer par engranger des accords secondaires, en guise de victoires d’étape, pour s’attaquer ensuite à l’étape reine et remporter le tour, pour reprendre la métaphore cycliste du bourgmestre d’Anvers. Depuis plusieurs semaines, sans faire trop de bruits, des groupes de travail se réunissent pour faire converger les points de négociation qui attendent d’être tranchés définitivement par les négociateurs.
Quelles alternatives ?
Vooruit ne compte pas procéder de la sorte. Les socialistes flamands demandent une nouvelle super-note et un cadre budgétaire clair à Bart De Wever. Ils jugent que la dernière super-note, celle qui a fuité partout dans la presse, est encore trop éloignée de leurs convictions : “Ok pour faire des efforts, à condition qu’ils soient portés majoritairement par les épaules les plus larges”, pourrait-on résumer.
Alors, que signifie ce nouveau coup de pression des socialistes flamands ? Le parti le plus à gauche de l’Arizona sur le plan socio-économique est, sur papier, le parti qui a le plus à perdre dans un tel attelage. À tel point qu’il fait partie des premiers suspects sur l’origine des fuites. Au sein de la coalition, on se demande si Vooruit veut vraiment un accord. Certains accusent le parti de Conner Rousseau de jouer la stratégie du pourrissement pour faire revenir les socialistes francophones autour de la table. Après tout, le PS ne s’est pas totalement écroulé en juin et en octobre, et les socialistes négocient à Bruxelles avec le MR et les Engagés.
À ce stade, cela reste toutefois une construction très hypothétique. Premièrement, Paul Magnette se prépare réellement à une cure d’opposition, pour entamer le travail de reconstruction de son parti. Ensuite, peu de partis autour de la table ont intérêt à reproduire une Vivaldi bis, même en remplaçant les Verts par la N-VA. Enfin et surtout, un tel attelage n’irait pas dans le sens du signal de l’électeur, qui a voté pour un changement, objectivement à droite.
Rappelons néanmoins qu’une majorité sans Vooruit est également possible. Elle serait très fragile : 76 sièges sur 150. Et elle suppose d’aller rechercher les libéraux flamands, grands perdants des élections, avec 7 sièges (-5). Autre bémol : faire revenir l’Open Vld n’irait sans doute pas dans le sens de la stratégie de la N-VA. Premièrement, le parti de Bart De Wever veut siphonner les électeurs de l’Open Vld jusqu’au dernier. Ensuite, la N-VA est dans une phase d’entente cordiale avec Vooruit, à tous les niveaux de pouvoir.
Colmater les fuites
Pour l’heure, la stratégie du Vooruit doit plutôt se lire par sa volonté de durcir le jeu. Tout simplement pour éviter de devenir la cinquième roue de la diligence Arizona. Un attelage où la confiance n’est certainement pas au beau fixe, mais qu’il ne faudrait pas enterrer trop vite.
En fait, les résultats plutôt clairs du 9 juin dernier n’éviteront pas à la formation du gouvernement fédéral son chemin de croix habituel. Un savant mélange de crises et de compromis, qui passe toujours par un moment de dramatisation, avant la concrétisation.
D’ailleurs, le formateur Bart De Wever s’est déjà dit disposé à réécrire une super-note. Celle-là devra passer le test du colmatage des fuites.
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