Le Palais de Justice bientôt délivré de ses échafaudages

© FRANKY VERDICKT

Le Palais de Justice de Bruxelles est devenu célèbre pour ses échafaudages. Mais plus pour longtemps. La restauration de la façade avant a commencé et toutes les autres devraient être aussi remises à neuf d’ici 2030. L’intérieur doit également être rénové. Et cette fois-ci, cela semble être la bonne…

Il fut jadis la grandiose affirmation de soi d’une jeune nation belge avide d’époustoufler le monde: le Palais de Justice de Bruxelles devait être le mont Everest des palais de justice… Nominé pour une inscription au patrimoine universel de l’Unesco, il figure déjà sur la liste de World Monuments Watch des monuments internationaux les plus menacés.

“Mais aujourd’hui, il est surtout célèbre pour les échafaudages sur ses façades, n’est-ce pas incroyable? se désespère Mathieu Michel (MR), le secrétaire d’Etat pour la Régie des bâtiments. Des échafaudages devant un symbole de la Belgique, un symbole de la justice et de la démocratie, c’est inacceptable! C’était un dossier prioritaire. Et je suis très heureux que les travaux commencent bientôt.”

La restauration de la façade avant a en effet déjà démarré il y a une quinzaine de jours. Si tout se déroule comme prévu, la façade sera débarrassée de ses échafaudages en 2025. Les autres suivront. Tous les échafaudages devront ainsi avoir disparu en 2030. Entretemps, une étude de faisabilité est menée pour l’intérieur du bâtiment.

“La préparation des travaux extérieurs a pris un peu de temps, explique Mathieu Michel. C’est fou mais nous avons dû rénover les échafaudages avant que les experts ne puissent inspecter la façade avant (dont coût: 1,1 million d’euros, Ndlr). Les travaux dont nous discutons maintenant, nous aurions dû les faire dans les années 1980.” Les premiers échafaudages sont apparus en 1984, mais rien ne fut entrepris, à l’exception de la restauration de la coupole en 2003.

“Le train est parti”

Le jour où nous rencontrons Laurent Vrijdaghs, administrateur général de la Régie des bâtiments, pour explorer le Palais, un entrepreneur combat les herbes et autres plantes folles qui squattent la façade avant. “Le train est parti, confirme Laurent Vrijdaghs. Et il n’est pas question qu’il s’arrête.”

La tâche qui attend l’entrepreneur est titanesque. Les façades s’étendent sur une superficie totale de plus de 90.000 m². “Nous pourrons nettoyer ou réparer la plupart des pierres de façade mais il faudra remplacer une partie d’entre elles”, poursuit l’administrateur. Comme le Palais de Justice est classé, les nouvelles pierres devront être extraites de la carrière de Comblanchien, en Bourgogne, d’où proviennent les pierres originales. La restauration de la façade avant est évaluée à 31,7 millions d’euros. La restauration de l’ensemble des façades devrait coûter 87 millions d’euros, une estimation qui date d’avant la flambée inflationniste de l’an dernier.

LES RAMPES DU PALAIS sont couvertes de graffitis, voire vandalisées.
Les rampes du Palais sont couvertes de graffitis, voire vandalisées. © FRANKY VERDICKT

Quand on parcourt les rampes le long du palais, on a parfois le sentiment de se trouver devant un taudis. Une barrière et de nombreuses colonnettes du parapet ont été vandalisées, les murs sont couverts de graffitis, la plupart des fenêtres sont en mauvais état, les vitres crasseuses, plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs obturées par des plaques de métal, du calfeutrage le long des chambranles ne tient plus et des piles de papiers derrière certaines fenêtres contribuent aussi à la désolation du lieu… Ailleurs, un sapin de Noël encore décoré est caché derrière un rideau. Certaines entrées du palais sont de simples portes – souvent anachroniques – alors que sur le devant, des auvents protègent les visiteurs de la chute de débris.

La sécurité d’abord

LA SALLE DES PAS PERDUS Les échafaudages ont déjà disparu de la galerie qui l’entoure.
Les échafaudages ont déjà disparu de la galerie qui entoure la salle des pas perdus. © FRANKY VERDICKT

“Le bâtiment copte une quinzaine d’entrées, explique Laurent Vrijdaghs. Nous allons également les rénover, mais seules cinq portes resteront ouvertes. Nous profiterons des travaux pour rénover aussi les fenêtres et placer du double vitrage.” Auparavant, les rampes servaient de parking pour les visiteurs, mais les voitures y étant désormais bannies, elles seront aussi rénovées: la Régie s’est associée à la ville de Bruxelles pour les transformer en une promenade verte au profit des habitants du quartier des Marolles tout proche.

Si l’on n’a longtemps ressenti aucune urgence à rénover le bâtiment, c’est en partie parce que son avenir était en discussion. Pour des questions de sécurité, le gouvernement Van Rompuy avait envisagé de déménager tout ou partie des services judiciaires. Un concours international destiné à imaginer une nouvelle destination au monument n’a cependant apporté aucune solution. En 2016, le gouvernement Michel I a tranché et décidé de garder sa destination initiale, de le réserver exclusivement à la justice et de mettre donc en œuvre une restauration approfondie.

Pour accélérer le processus, un comité de pilotage, dénommé Steerco Poelaert, a été constitué trois ans plus tard, comprenant des représentants de toutes les parties prenantes: la Justice, la Région de Bruxelles-Capitale, la ville de Bruxelles, les Monuments et Sites, la Régie des bâtiments et la Fondation Poelaert, un groupe d’avocats et de magistrats qui milite depuis 2008 pour la restauration du Palais. Ce comité se réunit tous les mois pour diriger la rénovation. La gestion quotidienne du bâtiment, elle, a été confiée à la Team Poelaert, une équipe composée de cinq collaborateurs de la Régie et de la Justice.

“On me demande souvent pourquoi nous n’avons pas entamé immédiatement la rénovation de la façade, souligne Laurent Vrijdaghs. C’est simple: notre priorité était la sécurité du personnel.” Il pointe un plan d’évacuation qui n’est accroché au mur que depuis quelques années. “Par exemple, il n’y avait aucun plan d’urgence interne, pas d’extincteurs, pas d’itinéraire d’évacuation, pas de pictogrammes, pas d’exercice incendie… A certains endroits, il était impossible d’entendre l’alarme incendie. C’était incroyablement dangereux.”

Pendant 20 ou 30 ans, nous avons travaillé dans des conditions abominables, embraye Dirk Van Gerven, avocat membre de la Fondation Poelaert et président du comité de pilotage. Il y avait des champignons et des infiltrations dans les locaux, des courants d’air, des rats qui couraient dans le bâtiment… La Team Poelaert a déjà beaucoup fait pour qu’on puisse travailler à peu près normalement mais il reste énormément de travail. Ainsi, il est urgent de renouveler un mobilier complètement obsolète. Mais tout dépend naturellement des budgets.”

La sécurité a été améliorée. Les visiteurs subissent un contrôle approfondi dans l’entrée principale. L’an dernier, le Palais a été équipé de quatre box-in-the-box, des salles d’audience modernes de haute sécurité aménagées dans l’une des huit cours intérieures.

“Presque propre”

Dans un salle d’audience de la Cour de Cassation attaquée par un champignon, les réparations réalisées par la Régie des Bâtiments sont achevées. De même, les échafaudages ont disparu de la galerie qui entoure la grande salle des pas perdus.

infiltrations Dans une entrée, le stuc du plafond s’est effondré sur presque toute la largeur.
Dans une entrée, le stuc du plafond s’est effondré sur presque toute la largeur. © FRANKY VERDICKT

“Mais ce n’étaient que des réparations, nous n’en sommes pas encore à la restauration, fait remarquer Laurent Vrijdaghs. Après le remplacement des ascenseurs, ce sont les radiateurs qui ont été contrôlés cet été. Certains fuient, d’autres n’ont plus de vanne… La Régie n’est pas un entrepreneur: pour chacun de ces travaux, elle doit donc désigner un prestataire au terme d’un appel d’offres. “Une procédure lourde et chronophage, reconnaît Laurent Vrijdaghs. Il est préférable de ne pas attendre qu’un problème se présente pour mettre en œuvre les réparations.” Pour les petits travaux, le Palais dispose cependant d’une équipe technique de sept personnes.

Le nettoyage des vitres est un autre point délicat. L’équipe de nettoyage (25 personnes) n’est pas autorisée à travailler sur une échelle plus haute qu’une escabelle… et la plupart des fenêtres font plusieurs mètres de hauteur. De plus, certaines fenêtres ne s’ouvrent pas ou ne sont pas accessibles. Autant de raisons pour lesquelles de nombreuses vitres ont l’air si ternes.

Bien que la Régie des Bâtiments ait déjà rénové les toitures entre 2006 et 2015, l’eau reste le principal ennemi du Palais de Justice. A chaque averse, le stress monte au sein de l’équipe de maintenance. Un pigeon mort, un sac plastique, une canette vide peuvent boucher les conduites d’évacuation. Et comme celles-ci sont souvent encastrées dans les murs, cela peut s’avérer compliqué de trouver la fuite. A titre préventif, l’équipe technique inspecte les toitures à peu près chaque semaine. “L’entretien est tout aussi crucial que la rénovation”, remarque Laurent Vrijdaghs.

Rétablir l’état initial

Un majestueux escalier, l’une des merveilles du Palais de Justice, nous conduit de la Salle des pas perdus à un des endroits les plus problématiques du bâtiment: l’entrée de la rue des Minimes, 20 mètres plus bas. Protégés par un auvent en bois, nous nous retrouvons dans un porche fermé par une grille. Les pigeons y ont élu domicile, plus exactement dans la gouttière. Le stuc du plafond s’est effondré sur presque toute la largeur à cause d’infiltrations d’eau. Le sol est parsemé de déjections d’oiseaux. “Nous avons nettoyé. C’est presque propre”, sourit Laurent Vrijdaghs.

Dans les caves et les combles, on est en train d’enlever des archives afin de les numériser et de pouvoir y accueillir temporairement les collaborateurs dont le bureau sera en travaux dans quelques années. “Le Palais de Justice devra rester pleinement opérationnel pendant la rénovation. Ce sera un énorme défi”, reconnaît l’administrateur de la Régie.

L’étude de faisabilité sur la rénovation et le réaménagement de l’intérieur doit être terminée fin 2024. Pour la fin des travaux, on table sur 2040… Avec quelles directives? “Nous voulons rétablir autant que possible le Palais de Justice dans son état initial et adapter le bâtiment aux besoins d’une justice moderne”, répond Laurent Vrijdaghs. La consommation d’énergie est un autre critère important, même si le Palais, avec des bureaux de huit mètres de hauteur sous plafond, ne deviendra jamais un modèle d’économie et de durabilité. “Une telle architecture serait aujourd’hui injustifiable, mais nous n’allons quand même pas abaisser les plafonds!”

Rétablir l’état initial ne sera pas une partie de plaisir. En 1940, Victor Horta fulminait déjà contre des rénovations qui avaient “mutilé” le chef-d’œuvre néoclassique, néo-assyrien et néo-égyptien de Joseph Poelaert. Et à l’époque, le bâtiment n’avait pas encore connu le grand incendie de septembre 1944, suivi quelques semaines plus tard d’une frappe de V1 sur la rue des Minimes. Les réparations qui ont suivi ont été réalisées sans les plans originaux de Poelaert… qui avaient disparu.

L’établissement du master plan qui réorganisera les fonctions du Palais, sous la responsabilité du ministère de la Justice, ne sera pas non plus une sinécure. C’est que le bâtiment n’est pas seul: il est le pivot du “campus Poelaert” qui englobe six immeubles de bureaux autour de la place du même nom. Laurent Vrijdaghs en est convaincu: “On pourrait exploiter plus efficacement la capacité du Palais. Une rationalisation est certainement possible.”

Technologies plus récentes

Toujours en visite, notre attention est attirée par un petit tube en métal qui sort d’un mur dans un couloir: un reste de l’éclairage au gaz initial. Il rappelle que le Palais de Justice a été construit à une époque où l’électricité n’existait pas encore. “Non seulement nous allons restaurer le Palais, mais nous allons également devoir l’équiper des technologies les plus récentes: écrans, caméras, 5G… Ce sera un vrai travail d’équilibriste”, poursuit le responsable.

La cour de cassation: avec des plafonds à huit mètres de haut, le bâtiment ne deviendra jamais un modèle d’économie et de durabilité.
Avec des plafonds à huit mètres de haut, le bâtiment ne deviendra jamais un modèle d’économie et de durabilité. © FRANKY VERDICKT

A Paris et à Amsterdam, contrairement à Bruxelles, les anciens palais de justice ont reçu une nouvelle affectation et les fonctions juridiques ont été transférées vers de nouveaux immeubles modernes, en périphérie des villes. La décision de conserver le Palais de Justice dans sa fonction initiale était-elle dès lors la bonne? D’autant que malgré les dimensions colossales du bâtiment, un procès comme celui des attentats terroristes de 2016 ne pourrait pas s’y tenir. Pour ce procès, on a d’ailleurs aménagé le bâtiment Justitia sur l’ancien siège de l’Otan à Evere (coût: 24 millions d’euros).

“Le débat sur la destination du bâtiment a été tranché il y a plusieurs années: il restera au service de la justice, réplique le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld) par le biais son porte-parole. Le bâtiment est emblématique de notre justice. Il est important que l’on œuvre enfin à sa restauration. Il devra être adapté à la modernité, comme cela a récemment été le cas du palais de justice de la Britselei à Anvers (datant de 1877, Ndlr) qui va accueillir la cour d’appel et le parquet général.” Il ne nous reste plus qu’à attendre 2040…

Wim Ver Elst

Le Palais de Justice en chiffres

· Pose de la première pierre par le roi Léopold Ier en 1862
· Inauguration par le roi Léopold II en 1883
· Coût: 46 millions de francs-or, budget initial de: 8,6 millions de francs-or
· Superficie: 165.000
· Superficie de la salle des pas perdus: 3.600 m², hauteur: plus de 80 m
· 10 étages, 24 niveaux
· 42 salles d’audience, 240 bureaux et autres locaux
· 8 cours intérieures
· Hauteur de la coupole: 142 m
· La restauration de l’enveloppe extérieure a commencé en 1976
· Monument classé depuis 2001

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