Guillaume Boutin auditionné au parlement: “La valeur en bourse de Proximus ne reflète en rien sa valeur intrinsèque”
La N-VA réclame un audit externe de l’entreprise publique. Des questions sont posées au sujet de la prolongation de mandat du CEO et sur la stratégie internationale. Stefaan De Clerck, président du conseil d’administration, défend une stratégie soutenue à l’unanimité. Guillaume Boutin explique une situation complexe: un quatrième opérateur sur le marché belge, beaucoup d’investissements dans la fibre… “Proximus est dans une santé formidable, mais le marché est trop fracturé”, insiste-t-il. Tous les députés ne sont pas convaincus.
Guillaume Boutin, CEO de Proximus, a été entendu à sa demande en commission de la Chambre, ce mardi après-midi. Cette convocation faisait suite aux critiques émises par le MR et la N-VA, membres de la future majorité fédérale. Il était notamment accompagné par Stefaan De Clerck, président du conseil d’administration de la société.
Le président libéral avait dénoncé la perte de valeur importante de l’entreprise publique en bourse, estimant que “l’Etat est un mauvais actionnaire”. Le député N-VA Michael Freilich avait prolongé la critique, notamment au sujet de la prolongation, cet été, du mandat de Guillaume Boutin ou sur sa stratégie internationale.
Ce mardi matin, le parlementaire nationaliste annonçait son intention de réclamer un audit externe de Proximus.
De Clerck: “Un soutien du CA à la stratégie”
Stefaan De Clerck remercie la commission d’avoir accepté “rapidement” de recevoir les représentants de l’entreprise publique. Il évoque une “transformation importante” de Proximus, avec une nouvelle stratégie soutenue à l’unanimité par le conseil d’administration.
“Nous sommes également soutenus par le personnel et les organisations syndicales”, ajoute Stefaan De Clerck. Qui insiste sur le soutien “à Guillaume Boutin en particulier”.
Le conseil d’administration, dit son président, “écoute attentivement les discussions politiques” pour la formation d’un prochain gouvernement et se dit “prêt à coopérer”. “Un nouveau gouvernement adressera les signaux et on verra comment apporter les réponses”.
“Nous opérons dans un contexte européen, raconte-t-il. C’est un devoir d’investir dans les réseaux fixes et mobiles.” Des investissements importantes sont nécessaires pour accompagner la digitalisation de l’économie en ce qui concerne le 5G et la fibe optique, “avec un effet de rattrapage”. Des débats devraient avoir lieu afin de limiter les obstacles, précise-t-il d’ailleurs, en matière de réglementations notamment.
Ces investissements “très importants” – 6 milliards en tout! – sont assumés par Proximus sur fonds propres, insiste-t-il. “C’est une nécessité impérieuse parce que le réseau ‘cuivre’ ne suffit plus.” Des négociations sont en cours avec les autres opérateurs de réseau pour partager ces infrastructures.
Le marché est très compétitif et les résultats financiers sont très bons, soutient Stefaan De Clerck. La satisfaction des clients augmente et le nombre de plaintes diminue. Tout en regrettant l’accueil d’un quatrième opérateur: “Nous avons toujours averti des risques, mais nous sommes prêts”.
“La RTT est devenue un groupe technologique solide” de 13 000 collaborateurs.
“Une coupole mondiale”
Le déploiement des activités internationales a été longuement analysé au sein du conseil d’administration, insiste Stefaan De Clerck. Tant aux Etats-Unis qu’en Inde, les achats ont été bien réfléchis. “Nous sommes convaincus que cette interconnexion internationale va générer de la croissance et des marges financières pour couvrir ces investissements”.
Il y a de la “fierté” à avoir, mais aussi des explications à donner, car cela explique en partie la baisse de la valeur de l’action en bourse, reconnaît-il. “C’est nouveau, mais cela nous apporte de l’expérience!”.
En dépit de certains doutes né des investissements importants, de l’internationalisation et de l’arrivée d’une quatrième opérateur, il a été décidé de soutenir le management. “Nous avons besoin d’un management stable”, appuie-t-il pour justifier la décision de prolonger son mandat de fançon anticipée, en concertation avec le gouvernement.
La démission de directeurs évoquée dans la presse a été actée par un désaccord stratégique: “Nous voulons acter l’intégration de BICS, TeleSign et Route Mobile au sein d’un coupole mondiale, explique Stefaan De Clerck. Le directeur en question n’était pas en phase: “Nous avons acté notre désaccord et la séparation s’est faite à l’amiable.”
Concernant un litige commercial entre BICS et TeleSign, deux filiales qui vont évoluer une intégration complète, il a donné lieu à un audit, mais il n’y a pas de fraude, ni aucune intention de fraude, ajoute-t-il.
Stefaan De Clerck appelle à la responsabilité des politiques à l’égard d’une société cotée en bourse.
Boutin: “Un marché trop fracturé”
“La situation du marché est complexe, reconnaît Guillaume Boutin, CEO de Proximus. Nous aurions peut-être dû communiquer davantage.”
“Proximus est dans un état de forme formidable, dit-il. Nous avons trois millions de clients, nous employons 13 000 collaborateurs.” Les investissements améliorent la place concurrentielle, le résultat opérationnel augmente de 3%…
Pourquoi son cours de bourse n’est-il pas au mieux? Comment expliquer ce paradoxee?
L’argumentation du CEO insiste, elle aussi, sur le caractère indisensable de ce métier pour l’économie. “Nous devons l’adapter en permanence car nos trafics augmentent.” Cela nécessite des investissements massifs pour préparer l’avenir.
Mais il y a un inconvénient majeur: le marché européen est beaucoup plus fracturé que celui de la Chine ou des Etats-Unis. “Ce manque de taille est un handicap pour l’innovation”, regrette-t-il en déplorant lui aussi l’apparition prochaine d’un quatrième opérateur sur le marché belge.
Cette compétition par l’infrastructure pèse sur le caractère productif du métier.
Il nomme cela “la dure réalité des télécoms en Europe“: tous les opérateurs chutent et Proximus n’y échappent pas. “Si la structure de marché s’améliore, le cours monte”, dit-il. Mais la lourdeur des investissements dans la fibre, le coût plus important en Belgique qu’ailleurs, le retard accumulé depuis tant d’années et l’apparition d’un quatrième opérateur pèsent trop.
“La valeur en bourse de Proximus ne reflète en rien sa valeur intrinsèque”, insiste Guillaume Boutin. Et le fardeeau évoqué des investissements n’est pas répercuté sur le consommateur, avec des prix qui augmentent moins que l’inflation.
Les excellents résultats opérationnels n’ont pas pu répondre à ces investissements lourds et à ce quatrième opérateur à venir, résume Guillaume Boutin. Qui met en avant la performance de KPN aux Pays-Bas.
“Dans ce contexte, nous croyons à notre plan industriel, insiste Guillaume Boutin. La marque Proximus n’a jamais été aussi puissante.” Les investissements colossaux, tardifs en Belgique, préparent son avenir.
“Un leader mondial de la messagerie digitale”
Le développement international pèse deux milliards d’euros et nous ouvre des marchés en forte croissance, prolonge-t-il. “Cette stratégie ne date pas d’hier: depuis la création de BICS en 2004, nous sommes actifs sur ce marché.” La valeur de ces activités a crûe de 1,3 milliard en trois ans.
“Nous allons créér un leader mondial de la messagerie digital“, insiste Guillaume Boutin.
Malgré une allocation de capitale limitée – 10% de l’ensemble, le reste aux activités belges -, ces activités vont générer 70% de la trésorerie ces prochaines années, explique le CEO.
Leitmotiv: “Notre stratégie, elle délivre!“
Des députés dubitatifs
Les parlementaires sont-ils convaincus? Ce n’est pas sûr. Mais de façon étonnante, la N-VA ne s’exprime pas en premier lieu. Les Engagés et Vooruit s’abstiennent également.
Le Vlaams Belang, qui réagit le premier, n’est pas du tout convaincu: “Assurer des services de technologie n’est pas une activité prioritaire de l’Etat. Dès le début, nous n’étions pas convaincus par la nomination de Guillaume Boutin. La prolongation de son mandat est inacceptable. Trop longtemps, Proximus a reporté les investissements et est resté dans son hamac.” Guillaume Boutin n’est pas le seul responsable, appuie-t-il, “mais il n’a pas pu rattraper le retard”.
Le député Vincent Scourneau (MR) ironise sur “le courage” des représentants de Proximus, venus à leur demande et bien accompagnés. “Leur discours est bien construit et pourtant, il ne correpond pas à ceux des experts des marchés.” Il conteste la stratégie à l’international “risquée” qui reste “un grand point d’interrogation, alors que l’on peine à se mettre au niveau en Belgique”. “Il y a une course après les investissements”, tacle-t-il en évoquant la difficulté de vendre le siège de l’entreprise, les tours Proximus.
Le MR demande quelles initiatives vont être prises pour “restaurer la confiance” et pour protéger ses marges face au nouvel opérateur entrant sur le marché belge.
Dimitri Legasse (PS) “remercie” ironiquement le MR et la N-VA qui ont permis cette réunion, mais ont “supprimé la fonction de commissaire du gouvernement il y a quelques années”. Le président du MR saluait Guillaume Boutin comme un “grand visionnaire”, mais il devrait être aujourd’hui écarté, s’étonne-t-il. ‘L’objectif est-il de vendre des parts de l’Etat ou y’a-t-il une des négociations avec un nouveau CEO?”. Cela étant, il constate la perte de valeur boursière et s’interroge, lui aussi, même si le fait d’assurer un service tel que celui-là est bien une mission publique.
Le PTB s’étonne de prix “supérieur aux pays voisins” en Belgique par rapport aux pays voisins. “Comment justifier vous ces hausses? Selon la théorie du libéralisme, cela devrait générer une baisse généralisée des prix.”
Le CD&V, lui, soutient les réprésentants de Proximus. Ecolo-Groen n’est pas trop critique, non plus. Vooruit, lui, est même convaincu par cette vision stratégique.
Les vives critiques de la N-VA
Michael Freilich (N-VA) finir par réagir de façon très critique: “Nous sommes donc tous fous, analystes des marchés.” Il dénonce les chiffres positifs présentés de façon sélective. “Un constat s’impose: la valeur en bourse s’est effondrée.” Il déplore le fait que l’entreprise ait été “balancée” du Bel20.
“J’entends des excuses selon lesquels il faut investir dans la fibre, mais tous les pays doivent le faire“, attaque-t-il. Le député N-VA déplore certains investissements qui ne seraient pas judicieux.
“Le cash-flow est dans un état dramatique“, proclame le député N-VA.
Le nationaliste critique aussi les investissements en Inde, l’échec de la vente des tours ou les autres projets qui s’annoncent. Il tranche: “Tout ce que vous touchez devient du plomb“. “Tous les analystes disent que le marché des messageries digitales est particulièrement compliqué”, analyse-t-il. Si les sanctions tombent en bourse, c’est parce que des gens se demandent: “Qu’est-ce qu’ils font?”.
La N-VA souhaite analyse l’audit interne à huis-clos et réclame un audit externe. Le parti nationaliste attaque Stefaan De Clerck, en tant que président du conseil d’administration, d’avoir prolongé le mandat de Guillaume Boutin pour six ans. “Cela a provoqué une rupture de confiance du marché“.
Michael Freilich dénonce également l’augmentation des rémunérations des dirigeants de Proximus qui sont inversément proportionelles. “Monsieur Boutin, vous avez joué, vous avez perdu. Si on devait revenir sur cette prolongation, cela nous coûterait un pont.” Une charge lourde. “Vous ne m’avez pas convaincu!”.
“Quand on est à la tête d’une entreprise, il faut une stratégie balancée”, rétorque Guillaume Boutin. “Nous devons faire au mieux avec l’ensemble des contraintes. Totes les décisions que nous prenons, c’est pour protéger les intérêts sociaux de Proximus.”
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