Frais de consultance : l’État dépense massivement mais ne sait pas vraiment ce qu’il achète

Alexander De Croo et Bart De Wever - BELGA PHOTO DIRK WAEM
Baptiste Lambert

La Cour des comptes publie un audit sévère : le fédéral a dépensé au moins 2,5 milliards d’euros en frais de consultance entre 2020 et 2022, sans disposer d’un inventaire fiable ni d’une stratégie fédérale encadrant ces dépenses. Les gouvernements actuels promettent de réduire la facture, mais l’absence de données complètes rend la tâche périlleuse. L’histoire est connue et se répète.

La Cour des comptes ne tourne pas autour du pot : l’État fédéral « ne dispose pas d’un inventaire centralisé, exhaustif et fiable » des prestations de consultance. Un constat déjà formulé en 2009 et 2015, mais jamais corrigé. Résultat : le coût réel du recours aux experts externes demeure inconnu, alors même que la dépense recensée a atteint 2,5 milliards d’euros en trois ans.

Près de 2 milliards concernent l’IT, dont 576,9 millions via des relations « maison » avec la Smals ou Egov Select. Les autres domaines — stratégie, management, énergie, RH, nucléaire — représentent 492,4 millions, dont 42,2 millions en interne.

Des montants visibles dans l’infographie de synthèse : les dépenses IT écrasent tout le reste.

Le fédéral ne peut expliquer finement la composition de ces dépenses : absence de définition commune, bases de données hétérogènes, imputations comptables variables.

Aucune stratégie, peu de justification

Le rapport insiste sur un vide structurel : aucune stratégie fédérale ne définit quand et comment recourir à la consultance. Les administrations invoquent principalement le manque d’expertise, le manque de moyens humains ou l’urgence. Mais ces motifs, pourtant déterminants, sont rarement justifiés de manière circonstanciée.

Dans 78 % des marchés étudiés, la justification du recours aux consultants est absente ou insuffisante. Dans 50 % des cas, la préparation du marché n’est pas documentée. Et dans 40 %, les décisions d’attribution ne sont pas motivées.

L’audit confirme ce que les fonctionnaires eux-mêmes confient parfois : la consultance pallie autant les faiblesses internes que l’absence de pilotage stratégique.

Des risques mal maîtrisés

Au-delà des lacunes administratives, la Cour des comptes pointe des risques multiples :

  • Conflits d’intérêts : déclarations rarement vérifiées.
  • Confidentialité : clauses générales, sans sanctions prévues.
  • Dépendance au privé : dans près de 30 % des marchés, aucune clause de transfert de connaissances n’est prévue.
  • Évaluation des missions : souvent informelle, parfois déléguée… aux consultants eux-mêmes.

Les constats sont détaillés dans le rapport : un encadrement insuffisant des besoins, des prix mal structurés, peu de prospection de marché, une gestion documentaire lacunaire.

L’IT, cœur du problème : Smals en première ligne

Le rapport souligne la dépendance croissante à Smals et Egov Select pour fournir du personnel IT. Entre 2019 et 2024, le nombre de spécialistes détachés a augmenté de 48,5 %, selon l’audit.

Parallèlement, la part de la consultance IT externe via Smals est passée de 17,8 % à 36 % du chiffre d’affaires de l’ASBL. Une évolution que la Cour relie à un manque de ressources humaines internes et à l’absence d’une stratégie de gestion des compétences IT.

Des marchés publics fragilisés

L’examen des 101 contrats analysés est l’une des sections les plus sévères du rapport :

  • 67,5 % : sélection des opérateurs mal documentée.
  • 44,55 % : estimation de marché peu réaliste.
  • 20,79 % : justification du besoin insuffisante.
  • 40,45 % : décisions motivées absentes ou incomplètes.

Le rapport détaille des erreurs récurrentes : prix non vérifiés, procédures mal choisies, absence de prospection, modifications de marché non justifiées.

Des promesses politiques difficiles à tenir

L’accord du gouvernement fédéral Arizona inclut désormais une orientation claire : réduire les dépenses de consultance externe.

Cet engagement répond à un constat politique et budgétaire largement partagé : la facture a explosé sous De Croo, et la trajectoire des finances publiques impose de resserrer la voilure.

Mais l’audit pose une question simple : comment réduire ce que l’on ne mesure pas ? Sans inventaire fiable, impossible d’établir un point de départ, d’évaluer les économies ou de suivre la mise en œuvre des engagements politiques.

Vers une répétition des 2,5 milliards ?

En l’absence d’un inventaire complet, d’une stratégie claire et de capacités internes renforcées, la Cour des comptes laisse planer un doute majeur : les 2,5 milliards d’euros dépensés sous De Croo pourraient bien se répéter sous l’Arizona.

La mécanique est connue : pénurie IT, restrictions budgétaires sur le personnel, urgence opérationnelle, procédures internes lourdes… Autant de facteurs qui maintiennent la dépendance.

À ce stade, ni le fédéral ni la Wallonie ne disposent des outils pour démontrer que la facture baissera réellement. Et on sait, avec l’affaire Paradigm, que Bruxelles n’échappe pas aux frais de consultance dispendieux sans contrôle.

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