Fiscalité, dépenses, santé… Des économistes “s’attaquent” aux défis du prochain gouvernement belge
Après la formation des divers gouvernements, les autorités devront répondre aux principaux enjeux et priorités auxquels la Belgique doit faire face. Six économistes donnent quelques pistes de réflexion pour les soutenir dans cette entreprise.
Stimuler la productivité, rendre notre économie plus compétitive et durable, réduire la dette… De nombreux défis attendent les gouvernements de coalition qui sortiront des négociations. Désireux d’apporter leur pierre à l’édifice et de soutenir nos hommes et femmes politiques, des économistes de renom – tels que Etienne de Callataÿ ou Philippe Ledent – se sont réunis dans le cadre de l’Economic Prospective Club (EPC) afin de dégager quelques pistes et mesures capables de répondre aux gros enjeux socio-économiques de notre pays. L’objectif n’étant pas de se substituer aux mandataires politiques mais simplement d’ouvrir le débat et de nourrir la réflexion.
Les économistes ont suggéré plusieurs pistes dans les six domaines suivants:
- La fiscalité
- L’efficacité des dépenses de l’État
- Le système de santé
- Le système des retraites
- Le marché de l’emploi
- La gestion des défis climatiques et environnementaux
Chantier 1: la fiscalité – et si on révisait la taxation des revenus?
Pour ce gros chantier, les économistes insistent sur plusieurs points. Notamment l’instauration d’une taxe carbone, ayant pour but de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Quant à une potentielle réforme des droits de succession, il ne serait pas question de les supprimer, mais plutôt de refédéraliser la compétence. Une révision des droits doit viser à réduire l’écart entre les taux d’imposition des donations et des successions.
Mais la mesure la plus importante concerne la taxation des revenus, qui manque de cohérence. Leur constat? Les revenus du travail, du capital mobilier (dont les plus-values), du capital immobilier ou des allocations sont taxés avec des taux différents. Cela complique inutilement les choses… Ils proposent dès lors d’intégrer tous ces revenus dans la déclaration.
« Nous proposons de garder un système fiscal dual: les revenus du travail, d’une part, soumis à un IPP progressif, et les revenus de la propriété, soumis à un taux forfaitaire. Ce taux forfaitaire (qui serait de l’ordre de 25%-30%) serait désormais appliqué à tous les revenus de la propriété et à toutes les plus-values nettes, pour, notamment, éviter des distorsions de nature fiscale dans le choix des placements. La taxation des revenus locatifs nets des charges et amortissements devrait encourager les travaux d’entretien et d’amélioration énergétique. »
L’objectif, à terme, serait de renforcer l’équité en réduisant les inégalités verticales et horizontales, et augmenter l’efficacité économique en réduisant les taux de taxation sur les revenus du travail (tax shift).
Chantier 2: Les dépenses publiques – et si on mettait l’accent sur une plus grande efficacité et transparence des dépenses
Le problème de la Belgique? « Elle n’a pas de règles concrètes de dépenses », prévient l’OCDE. De quoi amoindrir la transparence, la cohérence et l’efficacité de la politique budgétaire au fil du temps. Aucune mesure n’aurait même été enclenchée depuis 2015, regrette l’EPC. Or, la Belgique a un véritable problème en la matière, si on en croit les derniers chiffres. Selon la Commission, « notre pays dépensera 5 milliards d’euros de trop en 2024 (dépenses courantes), sa dette s’élèvera à 106% du produit intérieur brut (PIB) et son déficit budgétaire se montera à 4,9% du PIB. Ce qui le place parmi les plus mauvais élèves de la classe européenne. »
Le FMI encourage donc les autorités à mettre l’accent sur une plus grande efficacité des dépenses. Mais attention, il n’existe pas toujours de relation entre performances et moyens mis en œuvre, préviennent les économistes. D’ailleurs, ce ne sont souvent pas les moyens qui manquent pour réaliser les missions fondamentales mais c’est l’utilisation de ces moyens qui présente parfois des inefficacités. « Il serait donc délicat d’opposer les résultats de l’État-Providence avec les dépenses pour procéder à une analyse d’efficacité ou à une évaluation ».
C’est pourquoi les experts préconisent la mise en place d’un système d’évaluation des politiques et mesures. Les postes de dépenses seraient donc évalués sur base d’une comparaison internationale, avec des pays comparables. Mais pas seulement… « Cette évaluation doit aussi prendre en compte la dimension environnementale », recommandent les économistes.
Mais pour faire une bonne politique, il faut une meilleure transparence sur les données et une harmonisation entre les différents niveaux de pouvoir, insistent-ils encore. Ainsi, un minimum d’information – dont les statistiques – devrait être disponible pour tous.
Chantier 3: Le système de santé – et si revoyait le système de financement tout en utilisant mieux les ressources?
Le système de santé belge est de bonne qualité. Mais toute compétente peut être sujette à amélioration. Surtout côté finances… Aujourd’hui, les pénuries en personnel soignant sont présentes dans tous les secteurs de soins. Cela engendre une espèce de surenchère, tant des conditions salariales que des avantages extra-légaux. Certains salariés deviennent alors indépendants, entraînant une fermeture de plusieurs services et une baisse de qualité des soins… Une situation qui ne va pas en s’améliorant, compte tenu du vieillissement de la population.
En cas de choc, le système d’indexation automatique expose la Belgique à une risque de perte de compétitivité.
« Il convient donc de poursuivre une politique visant une utilisation plus adéquate des ressources, notamment en ce qui concerne les équipements hospitaliers et les ressources humaines. Il faut donc mettre en place un plan global pour assurer un encadrement humain qui puisse répondre aux besoins futurs issus de l’évolution de la société. En effet, la réponse classique des années 80 des soins résidentiels conduit à une impasse », préconisent les experts.
Pour ce faire, plusieurs mesures sont nécessaires. Notamment :
- Revoir les normes d’encadrement en personnel infirmier.
- Envisager l’agrément d’aides-soignantes à demeure comme en Italie, le système des badantis officiels.
- Convertir une partie des lits d’hôpitaux aigus (encore élevé en Belgique) vers les soins chroniques.
- Former de manière transparente, dans un système win-win, des infirmières à l’étranger avec engagement chez nous.
- …
Autre problème: le système de financement à l’acte des hôpitaux, qui pousse à la multiplication des actes. Cela stresse et épuise davantage le personnel, les poussant plus rapidement vers la sortie. Pas étonnant donc que l’on constate aujourd’hui des pénuries. Les économistes proposent de remplacer ce système par un système de financement all-in par pathologie. « Le financement dépendra alors du nombre d’admissions pondérées selon les pathologies et la gravité ».
Chantier 4: Le système des retraites – et si on réformait davantage le système des pensions?
Sur cette question, les économistes le reconnaissent: plusieurs mesures ont été adoptées en matière de régime de retraites en Belgique. Mais c’est pourtant loin de suffire… « La dimension urgente n’a pas donné lieu à une réforme d’ampleur. »
C’est pourquoi ils donnent aujourd’hui plusieurs pistes, dont notamment un relèvement de l’âge effectif de la retraite. Comment? En supprimant, dans certains secteurs, le système des prépensions, et au travers d’un système de bonus-malus lié à l’âge du départ à la retraite. « La politique des retraites doit être vue en symbiose avec la politique de l’emploi et, en particulier, avec l’emploi des travailleurs plus âgés », insistent-ils.
Ils proposent également d’uniformiser les systèmes de pension des salariés, des indépendants et du secteur public. Ceux-ci sont encore à l’avantage des fonctionnaires statuaires.
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Chantier 5: Le marché de l’emploi – Et si on indexait autrement?
Le système tel qu’il existe actuellement présente des avantages en période d’inflation « normale ». Les salaires et allocations sont ainsi indexés automatiquement afin d’être adaptés à l’évolution du coût de la vie. « Mais en cas de choc, ce système expose la Belgique à une risque de perte de compétitivité et à un problème de répartition de cet appauvrissement », avertissent les économistes.
Leur proposition? Distinguer deux types d’indexation. L’indexation « de croisière » qui serait appliquée deux fois par an, pour tout le monde avec la probabilité qu’il puisse y avoir une baisse. Et l’indexation de crise, de choc. « On crée alors un bouclier contre une indexation trop forte en cas de crise et on plafonne l’indexation au-delà d’un certain seuil y compris pour les barèmes fiscaux. »
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