Cette impossible coopération budgétaire belgo-belge

Alexander De Croo et Elio Di Rupo, en septembre 2023. BELGA PHOTO BENOIT DOPPAGNE
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Faut-il un pacte de stabilité intrabelge comme il en existe un au niveau européen? La question a été posée à l’UNamur et la réponse démontre combien le fédéralisme belge ne fonctionne pas bien.

Faut-il un pacte de stabilité intrabelge? La question se posait, parmi d’autres, dans le cadre d’un colloque consacré par l’UNamur à la nécessité de réformer la Belgique. Alors que les différentes entités du pays, du fédéral aux Régions et Communautés, ont remis leur copie budgétaire 2024 en ordre dispersé, le constat est cinglant: la coopération budgétaire belgo-belge est inexistante. C’est le symbole d’un fédéralisme belge inabouti, qui ne fonctionne pas de façon optimale.

Le fédéral seul responsable

Le budget de la Belgique doit s’inscrire dans le pacte de stabilité européen, qui fixe des objectifs ancrés à la naissance de la zone euro: 3% de déficit et 60% de dette publique. Si cette discipline a été levée lors de la crise du Covid, elle devrait revenir sous une forme à la fois plus souple et plus coercitive, avec des trajectoires fixées pour quatre ans. C’est dire que la situation budgétaire dégradée et la hausse des taux pourraient réveiller le spectre d’une crise des dettes publiques.

Le seul niveau de pouvoir belge qui doit rendre des comptes au niveau européen, c’est le pouvoir fédéral. Or, en 2011, la réforme de l’Etat a “déplacé le centre de gravité” du fédéral vers les entités fédérées. Autrement dit: les masses budgétaires en jeu sont désormais plus importantes dans les Régions et Communautés, qui sont devenus des acteurs majeurs de l’équilibre intrabelge.

Pour répondre aux exigences européennes, désormais, le fédéral ne peut pratiquement que lever des taxes“, souligne Henri Bogaert (UNamur), ancien responsable du Bureau du plan. Et en cas de sanctions européennes si le dérapage persiste, prévues théoriquement mais non appliquées parce que “trop dures”, ce serait là encore la Belgique qui devrait les payer, si elle ne peut s’entendre avec les entités fédérées.

La situation est théorique? Pour l’instant, oui: on s’arrange tant bien que mal. Mais en cas de dégradation de la situation, le système porte en lui les germes d’une grave crise communautaire.

Un accord de coopération inefficient

Le problème, c’est qu’il existe bien un accord de coopération, daté du 13 décembre 2013, pour fixer les règles du jeu intra-belges, mais il est… inopérant. En résumé, le Conseil supérieur des finances fixe les objectifs par entités et dépose cela devant le Comité de concertation. Au sein de celui-ci, tout le monde se contente… de prendre acte, sans autre décision. Ensuite, chacun n’en fait qu’à sa guise. “Dans les faits, l’accord de coopération ne sert à rien, le fédéral règle la note”, souligne Henri Bogaert.

Ou alors, cela se règle de façon informelle entre les responsables de gouvernement. Michael Van den Kerkhove, responsable de la Cellule d’informations financières wallonne et ancien chef de cabinet du ministre wallon du Budget entre 2009 et 2014, se souvent comment il arrivait que le Premier ministre donne un coup de téléphone au ministre-président wallon en plein bouclage du conclave, lui réclament un effort supplémentaire. Tous les équilibres devaient être revus.

Heureusement, la loyauté fédérale prévalait. “Mais cette intervention du ‘grand frère’ mettait en cause la cohérence du budget wallon”, constate-t-il. En estimant, comme tous les intervenants du colloque, qu’une solution structurelle de coopération serait bienvenue. Mais c’est loin d’être évident.

Ces réformes compliquées à mener

Le problème central de la Belgique, c’est l’absence de hiérarchie des normes qui empêche au fédéral de prendre le dessus et d’imposer un cadre aux entités fédérées.

Henri Bogaert évoque la possibilité de limiter la possibilité de contracter des emprunts au fédéral ou d’intégrer cette hiérarchie des normes, mais cela se heurte à notre Constitution qui consacre l’autonomie des Régions et Communautés. “La solution consisterait à revoir l’accord de coopération et de fixer des règles de répartition beaucoup plus rigides”, souligne-t-il. Cela nécessiterait de renforcer le rôle du Comité de concertation, ce qui requiert au volonté politique.

Céline Romainville, constitutionnaliste de l’UCLouvain, énumère six pistes de réformes, mais toutes nécessiteraient des majorités spéciales pour réformer la Constitution ou, à tout le moins, une volonté politique claire. “On pourrait ancrer ces objectifs budgétaires dans la Constitution, mais cela serait très rigide et cela poserait le problème du contrôle”, dit-elle. On pourrait décider d’un nouvel accord de coopération renforcé, mais le principe de l’autonomie des entités fédérées et de l’exclusivité des compétences empêche ce que l’on peut faire.” En outre, la Constitution belge… ne parle pas de ces accords de coopération: “On aime bien le ‘pas clair’ dans la Constitution belge!”

Les pistes suivantes, qui concernent la loi spéciale ou la loi spéciale de financement, ne sont guère plus aisées. Le fait d’octroyer une “compétence cadre” au fédéral nécessiterait, elle aussi, une révision de la Constitution. Quant au pouvoir de substitution du fédéral en cas de crise, qui existe déjà dans la Constitution, ce serait une cause de crise communautaire majeure.

Alors? Stéphane Hazée, chef de file Ecolo au parlement wallon, qui assistait au colloque, intervient en soulignant qu’une coopération renforcée serait bienvenue. “Mais que se passerait-il si le fédéral avait davantage de pouvoir et disposerait d’une majorité très différente des entités fédérées, comme ce fut le cas entre 2014 et 2019? La majorité ne recensait que le MR, représentant 20% des francophones. Il y aurait le risque de la prise en otage d’un pouvoir par l’autre.

On l’a compris: le pacte de stabilité intrabelge n’est pas pour demain.

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