L’accord budgétaire de l’Arizona aura un impact très concret sur votre portefeuille. Et comme souvent, la classe moyenne et la classe moyenne supérieure sont clairement touchées, au contraire des très larges épaules.
La poussière de l’accord budgétaire à peine retombée, les Belges soucieux des finances publiques oscillent entre deux sentiments. D’un côté, la coalition Arizona a assumé ses responsabilités face à un budget qui menaçait de devenir le pire de l’Union européenne. De l’autre, travailleurs, TPE et investisseurs constatent qu’une fois de plus, c’est dans leurs poches que l’on est allé chercher l’effort.
Et ils n’ont pas tout à fait tort : alors que l’accord de gouvernement prévoyait que les recettes ne représenteraient que seulement “un neuvième” de l’effort, la recherche des 9,2 milliards finit par reposer pour près d’un tiers sur de nouvelles recettes. Une critique que balaie toutefois Georges-Louis Bouchez (MR), pour qui l’accord de gouvernement, l’accord d’été et celui d’automne doivent être considérés comme un ensemble : selon lui, seules 20% des mesures relèvent des recettes, contre 80% de réductions de dépenses et de réformes structurelles.
Ces réformes structurelles existent bien : il est par exemple prévu de remettre 100.000 malades de longue durée au travail. Il est aussi question de créer un cadastre des aides sociales et d’un parquet national financier pour lutter contre les fraudes sociales et fiscales. Mais pour les mesures immédiates, sonnantes et trébuchantes, c’est la classe moyenne qui trinque.
1. La part des travailleurs
Toucher à l’indexation était l’un des deux nœuds gordiens de cet accord budgétaire avec la TVA. L’Arizona a finalement opté pour une nouvelle formule : l’indexation plafonnée. En clair, l’indexation sera maintenue jusqu’à 4.000 euros bruts. Pour tout ce qui dépasse ce montant, l’indexation sera donc limitée à 80 euros dans l’exemple d’une indexation de 2%. L’économiste Philippe Defeyt précise dans une note que « si on tient compte du 13e mois et du double pécule de vacances », le delta annuel avec la situation initiale sera de 110 euros pour un salaire de 5.000 euros. Pour les salaires de 6.000 et 7.000 euros bruts, le delta sera respectivement de 220 et 331 euros par an.
Quatre mille euros bruts, c’est plus ou moins le salaire médian. Cela veut dire que cette mesure impactera environ la moitié des travailleurs. L’opposition socialiste y ajoute une critique : “C’est une perte potentielle de plusieurs centaines d’euros chaque année pour toute une vie”. Il est en effet prévu de plafonner l’indexation à deux reprises, en 2026 et 2028, et cela aura un impact sur toute la carrière.
Les PME et les secteurs à bas salaires ne seront quasi par concernés
Plus positivement, le gouvernement fédéral table sur un gain de 800 millions d’euros pour booster la compétitivité des entreprises. Mais il n’y en aura pas pour tout le monde. “Les PME et secteurs à bas salaires (commerce, horeca, etc.) ne seront quasi pas concernés : peu de travailleurs y dépassent la barre des 4.000 euros, tranche Philippe Defeyt.
De plus, et c’est largement passé inaperçu, les entreprises devront bel et bien payer l’indexation au-delà de 4.000 euros bruts, mais pour moitié, et à l’État plutôt qu’aux travailleurs. Au total, c’est une opération à 1,7 milliard, si on y ajoute les économies espérées par les autorités sur les salaires des fonctionnaires, sur les allocataires sociaux et les pensionnés, tous deux plafonnés à 2.000 euros.
2. La part des entreprises
D’autres entreprises seront mises à contribution. On parle ici du taux préférentiel sur les dividendes qui sortent d’une société de management. Celui-ci passera de 15 à 18%. La mesure est rangée dans l’effort des “épaules les plus larges” par le gouvernement, qui espère en retirer 300 millions par an, dès 2029. “Mais ce nouveau taux s’applique à toutes les petites sociétés, et pas seulement aux sociétés de management”, souligne Thomas De Jonckheere, avocat fiscaliste chez Bloom Tax.
Les entrepreneurs du bâtiment, les coiffeurs, les avocats, les médecins et d’autres indépendants, qui répondent juridiquement à la définition d’une petite société, devront donc s’acquitter de ce taux majoré. Là encore, ce sont les classes moyenne et supérieure qui seront principalement touchées, puisque les TPE et les indépendants en société payeront dès le premier euro. Un temps, il fut pourtant question de fixer un plafond de 100.000 euros exemptés qui aurait protégé les petits indépendants.
Pour le reste, au menu de l’Arizona, on notera une hausse de la taxe bancaire qui doit rapporter 150 millions par an. Par contre, le secteur énergétique est épargné. Là encore, certains indépendants ne pourront pas en dire autant puisque les droits d’auteur vont encore être resserrés. On se dirige vers la suppression du forfait de charges, de sorte que le précompte de 15% soit applicable dès le premier euro de droits d’auteur, sans abattement préalable.
Les épaules très larges sont, une fois encore, épargnées. C’est très clair.”
3. La part des investisseurs
La part de l’effort portée par “les épaules les plus larges” est importante, de l’ordre de 2 milliards d’euros, précise le gouvernement. Il reste à voir ce que l’on met dedans. L’Arizona va par exemple doubler la taxe sur les comptes-titres. À savoir, faire passer le taux actuel de 0,15% à 0,30% pour les portefeuilles dont la valeur moyenne excède 1 million d’euros.
Néanmoins, si le taux double, le champ d’application reste inchangé. Concrètement, les actions nominatives, actuellement exclues de la taxe, le resteront. C’est ce qu’explique Bruno Colmant à Trends-Tendances : “Les titres nominatifs ne sont pas visés parce qu’ils ne sont pas inscrits sur un compte-titres bancaire : ils figurent dans le registre des actionnaires de la société.” Cette modalité – lourde administrativement et rarement utilisée par le grand public – est en revanche courante pour les grandes familles actionnaires et les actionnaires de contrôle. Elle leur permet d’échapper à la taxe.
Résultat : la taxe doublée frappera surtout les larges épaules, mais pas les très larges, celles qui détiennent les participations les plus importantes dans l’économie belge. Bruno Colmant résume : “Finalement, on taxe ceux qui ont de l’épargne financière classique, mais pas ceux qui ont l’actionnariat de contrôle. Les épaules très larges sont donc, une fois encore, épargnées. C’est très clair.” Un débat similaire avait eu lieu lors de la taxe sur les plus-values. Les très grandes fortunes y échappent aussi largement. “Ces actionnaires ne vendent jamais leurs titres. Ils les transmettent. Leur objectif est de conserver le contrôle et de toucher les dividendes”, poursuit l’économiste.
Ils avaient dit soir la taxe sur les plus-values, soit le doublement de la taxe sur les comptes-titres. On aura finalement des deux…
Les vaches à lait
“Au départ, ils avaient dit : ‘soit une taxe sur les plus-values, soit l’augmentation de la taxe sur les comptes-titres’. Finalement, on aura les deux”, déplore Emmanuel Degrève, président de l’OECCBB, qui constate aussi que l’on évite les gros poissons. C’est pourtant entre les riches et les très riches que se situe la principale inégalité en Belgique, a récemment montré la Banque nationale.
Si le gouvernement cible rarement les très riches, c’est pour une raison simple : c’est la classe moyenne et la classe moyenne supérieure qui concentrent les masses financières capables d’influer réellement sur un budget. Une mesure qui touche leur portefeuille produit un effet immédiat et significatif. À l’inverse, les super riches sont plus difficiles à atteindre en raison de leurs structures, de leur mobilité et des stratégies d’optimisation fiscale dont ils disposent.