Alexia Bertrand (Open Vld): “Ceux qui dépensent toujours plus n’ont jamais travaillé dans le privé”
Secrétaire d’État sortante, Alexia Bertrand expose sans tabou les mesures qui peuvent être prises au fédéral en matière de pensions, de soins de santé, de coût de l’État ou de marché du travail. Son message est clair : des économies sont possibles, il faut arrêter de mentir aux gens.
Alexia Bertrand (Open Vld), secrétaire d’État fédérale au Budget, gère désormais les affaires courantes. C’est la future Arizona fédérale, emmenée par Bart De Wever (N-VA), qui prépare la prochaine feuille de route à remettre à l’Europe d’ici la mi-décembre… en direct avec l’administration. L’ardoise sera salée : 28 milliards d’euros à trouver en sept ans. Dans les couloirs de la tour des Finances, la libérale rumine.
Alexia Bertrand a l’expertise et, désormais, la liberté de parole pour épingler les économies que l’on pourrait réaliser. Son leitmotiv est clair, depuis son entrée en fonction: il faut réformer et couper dans les dépenses publiques. “Si le budget est en déficit, ce n’est pas parce que l’on ne sait pas faire un travail rigoureux, mais bien parce que c’est un phénomène structurel”, confie-t-elle d’emblée. Démonstration.
“Il faut faire des réformes”
La secrétaire d’État renvoie avant tout à la base d’un budget fédéral, année 2024. Les recettes fiscales et non fiscales s’élèvent à 167 milliards d’euros. “Avant même d’avoir fait le moindre choix politique, il faut redistribuer 137 milliards”, dit-elle. Cinquante et un milliards vont à la sécurité sociale parce qu’elle doit toujours être en équilibre, alors que les cotisations sociales ne la financent plus qu’à raison de 58%. Septante-huit milliards vont aux entités fédérées, sur base de la loi spéciale de financement. Et 7,5 milliards sont alloués à la contribution spéciale pour l’Europe : le retour va surtout aux Régions.
Au bout du compte, après quelques transferts supplémentaires : “Il reste 29,5 milliards dont je dois déduire la charge de la dette, qui représente 10,3 milliards. Il reste donc 19 milliards pour les dépenses primaires : justice, police, défense, affaires étrangères, politique scientifique… autant de dépenses qui représentent 37,2 milliards. Traduction: on commence avec un déficit de 18 milliards et ce n’est pas dans ces postes de dépenses primaires que l’on peut rogner beaucoup.”
Autrement dit, on ne pourra pas éviter un travail sur la sécurité sociale. En tout, notre protection tous risques représente 140 milliards en 2024 – financés par les cotisations sociales et auxquels s’ajoutent les 51 milliards du fédéral. Les pensions représentent 69 milliards, les soins de santé 38 milliards, les malades de longue durée 14 milliards et le chômage six milliards. “Le constat est clair : il faut faire des réformes, souligne Alexia Bertrand. Cela ne signifie pas qu’il faut détricoter la sécurité sociale, c’est important de le préciser. Les politiques de gauche ont envie de le faire croire, mais ce n’est pas ça.”
“Il faut faire des réformes. Cela ne signifie pas qu’il faut détricoter la sécurité sociale, c’est important de le préciser.”
Alexia Bertrand
secrétaire d’État fédérale sortante au Budget
Quatre postes de dépenses pourraient faire l’objet de réformes substantielles.
Piste n°1 : des pensions plus justes
En tête de liste, les pensions. Le montant ne cesse de monter et va atteindre 80 milliards en 2029. “Quand j’ai commencé, en 2022, nous étions à 63 milliards, vous imaginez !, s’indigne-t-elle. Plus de la moitié de la Sécu ! Les pensions, c’est la plus grosse injustice du système. Vous pouvez avoir bossé pendant 20 ans et avoir la même pension qu’un type qui a chômé pendant 20 ans. C’est la réalité. Selon que vous êtes dans le régime des salariés ou des indépendants, vous avez des règles totalement différentes.”
Slogan de base : “le travail doit être mieux récompensé”. “C’est une question de justice et cela m’énerve que l’on n’en parle pas davantage, clame la secrétaire d’Etat. Comment des jeunes d’aujourd’hui peuvent comprendre ce système archaïque?”
“Forcément, une réforme des pensions, on n’en recueillerait les fruits que dans 10, 15 ou 20 ans car on ne peut pas changer les règles en cours de carrière, reconnaît-elle. Une mesure rapporterait des moyens immédiatement, c’est la suppression de la péréquation, cette règle très étonnante en vertu de laquelle lorsque les barèmes augmentent, les pensions des fonctionnaires augmentent au-delà de l’indexation. C’est absurde. C’est, en outre, une très mauvaise règle car ce sont les Communautés et les Régions qui décident des augmentations, mais c’est le fédéral qui paye les pensions. Sur la péréquation, on pourrait gagner 300 millions environ.”
Une réforme structurelle des pensions s’impose, basée sur des montants similaires pour tous les travailleurs selon leur durée de carrière. “On risque de ne pas pouvoir payer les pensions des jeunes à l’avenir, s’indigne-t-elle. En tant que libérale, j’ai l’impression d’être la plus sociale.”
Piste n°2 : des soins de santé moins “populistes”
“Le deuxième sujet sur lequel on peut agir vite, et qui restait un tabou dans la super note de Bart De Wever, ce sont les soins de santé, prolonge la secrétaire d’État en affaires courantes. Les politiques évitent d’évoquer des économies pour ne pas effrayer les gens. C’est irresponsable et c’est scandaleux. Selon le FMI, nous sommes 20 à 30% plus cher que la moyenne de l’Union européenne et l’OCDE, à service équivalent. Dans le privé, si une entreprise est 20 à 30% plus chère avec le même produit, il y aurait une réunion de crise. On prend les gens pour des imbéciles”, s’irrite Alexia Bertrand.
“Ce qu’il faut faire, c’est s’attaquer au problème, c’est-à-dire la surconsommation de médicaments ou d’examens, prolonge-t-elle. Il faut lire les rapports sur la consommation d’anxiolytiques en Belgique, cela fait peur. Qu’est-ce qui justifie cela? Le système de rémunération à l’acte est-il encore justifié? Il faut continuer à faire travailler les hôpitaux ensemble, même si ce n’est pas facile. Et il faut investir davantage dans la prévention : nous avons un taux d’incidence du cancer largement supérieur à la moyenne de l’Union européenne. C’est choquant.”
Cet abandon coupable du politique a une raison institutionnelle. “La médecine préventive est de la compétence des Communautés. Pourquoi investir alors que le bénéfice est pour le fédéral ? C’est pratiquement écrit tel quel dans le programme de la N-VA. Mais non, les amis, cela bénéficie aux citoyens ! Si l’on investit davantage dans la détection du cancer ou l’encouragement au sport, on aura moins de malades.”
Alexia Bertrand estime que “des millions d’euros” pourraient être économisés en modérant la norme de croissance des soins de santé. “C’est très populaire de l’augmenter, mais c’est populiste, quand on gaspille de l’argent à ce point. C’est le mal belge! Il y a énormément d’endroits où l’on est sur-subsidié, mais l’argent ne va pas au bon endroit. C’est la même chose dans l’enseignement. Mettre davantage d’argent, c’est toujours la décision de ces gens qui n’ont jamais travaillé dans le privé !”
Piste n°3 : moins d’Etat
“Le troisième point sur lequel on peut agir, c’est en revoyant la structure de l’État”, complète encore Alexia Bertrand. “Les coûts de personnel et de fonctionnement pour toutes les autorités à tous niveaux de pouvoir confondus représentent 125 milliards d’euros. Si l’on réalise une économie limitée à 5%, cela peut générer six milliards d’euros.”
L’idée serait de passer au peigne fin les dépenses, d’établir “une norme pour les fonctionnaires sur base d’un benchmark”. Il s’agirait aussi de supprimer le Sénat, les provinces, de réduire les cabinets ministériels, de revoir le financement des partis…” Charité bien organisée commence par soi-même.
Chaque niveau de pouvoir doit balayer devant sa porte, insiste-t-elle. C’est ce qui se trouve au menu de la déclaration de politique régionale (DPR) wallonne. “Très bien, sourit-elle. Et cela ne m’étonne pas puisqu’il y a des libéraux à bord.”
Piste n°4 : doper le marché du travail
La quatrième piste permettrait à la fois de faire des économies et de générer des ressources supplémentaires en stimulant le marché du travail “avec la carotte et le bâton”. Au menu : suppression du plafond pour les jobs étudiants, développement des flexi-jobs et du travail de nuit… L’écart entre le revenu du travail et les allocataires sociaux doit croître, comme le promettent tous les partis, à des degrés divers.
Il s’agit aussi de s’attaquer au problème aigu des malades de longue durée, dont le nombre est supérieur au demi-million. “Il y a des systèmes qui fonctionnent mieux dans d’autres pays, expose la libérale. Chez nous, on attend des médecins qu’ils se disciplinent eux-mêmes. C’est très compliqué : quel est le médecin qui va dire que son confrère a mal fait le boulot?”
“Le marché du travail n’est pas le plus gros poste, mais il faut le faire parce que cela stimule l’économie, insiste la secrétaire d’Etat. Agrandir le PIB et faire en sorte que le gâteau soit plus grand, ce doit être une piste prioritaire, bien sûr. Cela signifie créer plus de compétitivité, créer les conditions pour que le privé entreprenne. Pour cela, il faut veiller aux infrastructures nécessaires en terme de numérisation, d’énergie, de mobilité. Réduire les embouteillages, par exemple, économiserait des sommes importantes, accélérer les procédures d’octroi des permis également.”
“Éviter les taxes supplémentaires”
Si l’on réalise toutes ces économies, assume Alexia Bertrand, on réaliserait les 28 milliards d’économies nécessaires en évitant de nouvelles taxations. “Or, les plans du formateur augmentaient la TVA, taxaient les plus-values, supprimaient les stock-options des gens ou les avantages en nature. C’est possible de faire sans cela, c’est chiffré et c’est ce que je vous expose. Ce qui m’inquiète encore dans les plans de Bart De Wever, c’est qu’il prévoit de 15 à 19 milliards d’effet retour, autrement dit: du vent!”
Pourquoi ne pas avoir fait tout cela durant cette législature? “Avec sept partis et un attelage hétéroclite, c’est incroyable ce que l’on a réussi à faire. Je sais que c’est inaudible, mais nous avons fait près de cinq milliards d’efforts en 2023, pour 2024. Par ailleurs, j’étais tenue par l’accord du gouvernement et nous n’avons pas pu mener à bien les réformes de fond. Je me dédouane de mes responsabilités : ce n’est pas le ministre du Budget qui réforme les pensions, les soins de santé ou le marché du travail. Frank Vandenbroucke (Affaires sociales, Vooruit, ndlr) n’a rien trouvé de mieux que de rembourser davantage les lunettes ou de diminuer le ticket modérateur. Tout cela est sympathique, mais on rase gratis et ce sont les travailleurs qui payent ! Or, si l’on augmentait d’un euro ce ticket modérateur, cela rapporterait un demi-milliard. Les gens ne sont-ils pas prêts à l’entendre?”
“La N-VA a réussi à faire croire en Flandre que notre bilan budgétaire était scandaleux, mais ce n’était qu’un slogan.”
Alexia Bertrand
secrétaire d’État fédérale sortante au Budget
C’est aujourd’hui l’épreuve de vérité et elle ne s’annonce pas bien, constate Alexia Bertrand. “La N-VA a réussi à faire croire en Flandre que notre bilan budgétaire était scandaleux, mais ce n’était qu’un slogan. Je dis à mes futurs collègues qui seront bientôt à ma place : bonne chance!” En elle, il y a un zeste d’inquiétude pour l’avenir et beaucoup de combativité.
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