Bart De Wever n’en démord pas. Pour opérer un effort budgétaire de 10 milliards d’euros, il faudra toucher d’une manière ou d’une autre à l’indexation. Ces dernières semaines, de multiples formes ont fuité dans la presse : du saut d’index pur et simple à l’annualisation de l’indexation. Tour d’horizon.
Épure après épure, le Premier ministre revient à la charge. Sauf chute du gouvernement, il faut s’attendre à ce que l’Arizona touche l’indexation automatique des salaires. Cette indexation pèse sur les entreprises, mais aussi sur les pouvoirs publics, via les fonctionnaires, les allocations sociales et les pensions.
Toutefois, de nombreuses formules sont possibles, du saut d’index pur et simple au saut d’index ciblé qui ne toucherait que les hauts revenus ou uniquement les bénéficiaires d’allocations sociales.
Il est également envisageable de revoir le mécanisme en modifiant ses paramètres. Par exemple, en optant pour une annualisation de l’indexation ou en l’appliquant en euros plutôt qu’en pourcentages.
Une chose est sûre : chaque modification pèse d’une manière ou d’une autre sur le portefeuille des Belges. Par contre, le retour pour les finances publiques est plus difficile à mesurer, notamment à cause des effets de second tour. Toucher à l’index, c’est toucher au pouvoir d’achat, à la consommation et donc aux recettes fiscales.
1. Le saut d’index
Commençons par la mesure la plus tranchante. Le saut d’index pur et simple. Il a lieu pour corriger la perte de compétitivité de nos entreprises face à la hausse des coûts salariaux. C’est en tout cas la thèse des partis de droite et des milieux patronaux.
Ces derniers plaident d’ailleurs depuis longtemps pour revoir l’indexation automatique des salaires, mécanisme quasi unique au monde, si on excepte Malte et le Luxembourg, qui est toutefois nettement plus flexible que la Belgique. En Belgique, la loi de 1996 sur la norme salariale vient la contrebalancer en gelant l’augmentation des salaires en période d’inflation. Au bout du compte, tout le monde est mécontent : patronat et syndicats.
Mais les syndicats et les partis de gauche se lèvent contre toutes les formes de révision de l’indexation. Si bien que le statu quo demeure et qu’un saut d’index est opéré environ tous les dix ans.
- L’impact budgétaire : le saut d’index est difficile à estimer, mais le gouvernement table sur plusieurs milliards d’euros.
- L’impact sur le portefeuille : Le saut d’index porte sur le salaire brut et est en général de 2%. Tout le monde n’est toutefois pas touché de la même manière, parce que certains secteurs bénéficient d’une indexation annuelle alors que d’autres sont indexés plusieurs fois par an.
- Les chances d’aboutir : Très faible. Un saut d’index pur et simple est rejeté tant par le MR que Vooruit (qui le crie moins sur tous les toits). Il n’est déjà pas facile de valider une mesure quand l’un de ces deux partis n’est pas d’accord, alors les deux…
2. Le saut d’index ciblé
En début de semaine, Conner Rousseau, le président de Vooruit, a ouvert la voie à un saut d’index sur les hauts salaires, à titre exceptionnel. Voici plusieurs jours, le président des Engagés, Yvan Verougstraete, est allé plus loin en suggérant que l’indexation automatique ne devrait s’appliquer qu’aux bas et moyens revenus. “Au-delà, on entrerait dans une négociation individuelle”, plaidait-il.
Plus tôt dans les négociations, David Clarinval et Georges-Louis Bouchez ont proposé un saut d’index limité aux allocations sociales. Sous prétexte qu’elles avaient plus augmenté que les salaires ces dix dernières années, en raison de l’enveloppe bien être. On ne peut reprocher aux libéraux la constance de leur message : récompenser l’activité par rapport à l’inactivité.
- L’impact budgétaire : Philippe Defeyt, économiste, évoque dans une note un gain potentiel de 2,5 milliards d’euros à l’horizon 2029, si un saut d’index sur les prestations sociales devait s’opérer en 2026. “Mais le bénéfice net serait plus proche de 1,6 milliard d’euros” pour le fédéral, en comptant les effets de second tour. Concernant les hauts salaires, aucun montant n’a filtré jusqu’à présent.
- L’impact sur le portefeuille : là aussi, c’est assez évasif. Conner Rousseau n’a précisé aucun plafond de salaire à partir duquel le couperet tomberait. “Les personnes gagnant 2 000 à 3 000 euros nets par mois ne seraient pas concernées”, s’est-il contenté de dire. Yvan Verougstraete évoquait lui le montant de 5.000 euros bruts à partir duquel l’indexation automatique ne s’appliquerait plus.
- Les chances d’aboutir : Possible, mais sans doute pas séparément. Par exemple, si le MR venait à accepter un saut d’index pour les hauts revenus, il ne repartira pas sans un saut d’index sur les allocations.
3. Une annualisation de l’indexation
Les cinq partis de l’Arizona se sont déjà entendus au printemps dernier pour décaler l’indexation automatique des salaires de la fonction publique, des allocations sociales et pensions. Auparavant, l’indexation avait lieu un mois après le dépassement de l’indice pivot pour les allocations et deux mois après pour les fonctionnaires. Désormais, c’est trois mois pour tout le monde. De quoi rapporter 150 millions d’euros par an, précisait-on à l’époque, du côté de la ministre de la Fonction publique, Vanessa Matz (LE).
Aujourd’hui, l’Arizona envisage d’annualiser l’indexation pour tout le monde. Cela aurait le mérite d’harmoniser les nombreux mécanismes qui coexistent. En effet, dans le secteur privé, certains salariés sont indexés dès le dépassement de l’indice pivot (50% des salariés), d’autres de manière trimestrielle, semestrielle ou annuelle (40% des salariés). Certaines commissions paritaires (CP 200) ont choisi le mois de janvier, d’autres ont opté pour le mois de juillet. Un sacré bazar.
- L’impact pour le portefeuille : Là encore, Philippe Defeyt s’est penché sur la question. Selon lui, une annualisation ne serait applicable qu’au 1er janvier 2027, ce qui gèlerait les indexations prévues en 2026. “Une fois le choc absorbé, les salaires reprennent leur progression, mais à un niveau inférieur”, souligne l’économiste. Plusieurs scénarios sont possibles, mais il évalue la perte à environ 1.450 euros de pouvoir d’achat cumulé pour un salaire médian (30.000 euros nets annuels) sur la période 2026-2029. Autre problème : tout le monde ne serait pas touché de la même manière, puisque certains salariés ont déjà été indexés en 2025, au contraire de ceux qui sont indexés annuellement.
- Les chances d’aboutir : faible. Harmoniser les mécanismes ne ferait sans doute pas de mal, mais il y a un gros problème d’équité. Aussi, ne s’agit-il pas d’un saut d’index déguisé ?
4. Une indexation en euros plutôt qu’en pourcents
Cette idée émane principalement du cd&v. Le vice-premier Vincent Van Peteghem a d’ailleurs réitéré cette piste ce weekend. Pourquoi indexer en pourcents alors qu’on pourrait indexer en euros ? Cette variante de l’indexation a le mérite d’être socialement plus juste.
- L’impact pour le portefeuille : Prenons par exemple un montant plafonné à 50 euros pour tout le monde. Il sera proportionnellement plus important pour les bas salaires. Ce qui permettrait de réduire les inégalités liées aux pourcents : 2% de 2.000 et de 4.000 euros bruts, c’est 40 vs. 80 euros.
- L’impact budgétaire : très difficile à évaluer sans connaître les montants fixes pour les fonctionnaires, les allocataires sociaux et les pensions.
- Les chances d’aboutir : faible. Cette idée n’est pas neuve puisqu’elle émane d’un rapport de la BNB qui date déjà de 2012. Mais elle n’a visiblement jamais convaincu les coalitions successives.
5. Les autres idées
Il est possible de modifier également l’indexation en jouant sur d’autres paramètres plus complexes comme ceux qui déclenchent le dépassement de l’indice pivot.
Ce n’est pas sur la table du gouvernement, mais une suppression de l’indexation n’est pas impensable dans la mesure où elle ne remplit pas tout à fait son rôle. C’est en tout cas ce qu’a montré une récente étude d’Eric Dor, économiste à l’IESEG School of Management à Lille : sur les 25 dernières années, le pouvoir d’achat des Belges a beaucoup moins augmenté que dans les pays voisins. L’indexation est en partie responsable.
Au final, le saut d’index ciblé fait figure de favori. Pourquoi ? Parce que l’Arizona discute aussi d’augmenter la TVA. Mais cette mesure qui peut rapporter gros a un effet pervers sur l’inflation et, in fine, elle déclencherait une nouvelle indexation, et donc un trou supplémentaire pour les finances de l’État et des entreprises. Un trou qui serait amoindri par un saut d’index ciblé, à défaut d’un saut d’index pur et simple.