Paul Vacca
Faut-il mettre le “coup de pouce” à l’index?
La machine à fantasmes s’est mise à tourner à plein régime quand on a appris que le gouvernement français avait fait appel à une “Nudge Unit”.
Dans les années 1970, un spectre hantait les consciences éclairées: les messages subliminaux dans la publicité. Circulait alors la croyance selon laquelle le pouvoir incitatif des spots publicitaires ne résidait pas tant dans ce qui était visible – le message publicitaire en lui-même – que dans une invisible 25e image. Un motif caché dans le tapis d’autant plus efficace, nous disait-on, qu’il s’adressait à notre inconscient, par définition sans défense. Une photo du Sahara, par exemple, glissée dans un spot pour un soda gazeux vous poussait irrémédiablement à consommer ledit soda toutes affaires cessantes…
La machine à fantasmes s’est mise à tourner à plein régime quand on a appris que le gouvernement français avait fait appel à une “Nudge Unit”.
Autres technologies, autres spectres. Aujourd’hui, nous sommes hyper-surveillés via nos traces numériques (le syndrome Big Brother), manipulés par des algorithmes prédictifs capables de prédire ce que nous allons acheter (le syndrome Minority Report) ou endoctrinés par des fake news auxquelles nous souscririons aveuglément (le syndrome Trump).
Avec une dernière phobie en date: celle du nudge (“coup de pouce” en français), une technique de communication issue des sciences comportementales. Théorisée par Richard Thaler, prix Nobel d’économie en 2017, il s’agirait d’une “méthode douce pour inspirer la bonne décision” (c’est le titre de son essai sorti en 2008). Comme dans le fameux exemple de la “mouche”: voulant réduire le coût du nettoyage quotidien des sanitaires dû notamment à l’incivisme masculin aux alentours des urinoirs nécessitant des passages fréquents, l’aéroport d’Amsterdam fit appel à un “coup de pouce”, une mouche dessinée à l’intérieur des urinoirs. Le problème fut résolu: les frais de nettoyage diminuèrent de 80%. Un exemple qui fait figure de parabole: comment une simple petite mouche fait mieux que tous les messages incitatifs placardés sur les murs ou les menaces d’amende par la prise en compte d’une “propension naturelle” chez les hommes à “viser”.
Le nudge possède indéniablement une aura magique. Si les messages subliminaux pouvaient s’apparenter à du mentalisme en s’immisçant subrepticement dans nos (in)consciences, le nudge, lui, tient de l’art de la prestidigitation. Pas étonnant dès lors que la machine à fantasmes se soit mise à tourner à plein régime quand on a appris que le gouvernement français avait fait appel à une “Nudge Unit” pour calibrer sa communication en réponse à la crise pandémique. De nouvelles âmes éclairées se sont scandalisées que l’Etat français pût faire appel à des méthodes portant atteinte au libre arbitre. Le “coup de pouce” servirait-il la main invisible de la manipulation?
Vaste question métaphysique. Encore faudrait-il s’entendre sur ce que l’on appelle le libre arbitre dans des sociétés de consommation comme les nôtres. A ce titre, celui-ci serait bafoué tous les jours avec des prix magiques à 19,99 euros ou “plus que deux places disponibles”, deux exemples de nudges.
Comme souvent, ce sont ceux qui fustigent une technique qui en assurent la meilleure promotion en lui prêtant des pouvoirs exorbitants et fantasmés qu’elle n’a pas. Les publicitaires n’ont jamais été aussi bien payés que lorsque l’on les imaginait en sorciers vaudous. Ceux qui mettent en place les nudges sont généralement plus modestes quant à leur efficacité à toute épreuve: si quelqu’un veut à tout prix souiller des toilettes, ce n’est pas une mouche qui l’en empêchera. Le nudge, reconnaissent-ils, ne marche que dans certains cas et n’a pas le pouvoir magique. A ce stade, la campagne de communication française face à la crise pandémique semble en apporter la démonstration.
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