Exceptionnel Brabant wallon
On aurait tort de trouver cela banal. La province du Brabant wallon fait figure d’exception. Et pas seulement en Wallonie. Depuis 1996, c’est la “région” dont le PIB par habitant a connu la plus forte croissance de toute l’Europe occidentale.
Trente ans. Le 1er janvier 2025, le Brabant wallon fêtera sa 30e bougie. Il aura fallu à peine trois décennies pour que la plus petite (6,49% du territoire wallon, avec 1.090 km²) et la plus jeune province de Belgique – à égalité avec le Brabant flamand – devienne aussi la plus riche, en termes de PIB par habitant, selon les derniers chiffres d’Eurostat (2022). A l’exception de Bruxelles, le salaire médian y est aussi le plus élevé du pays, avec un salaire de 3.620 euros bruts par mois, d’après les tous derniers chiffres de SD Worx. En Flandre, le salaire médian ne dépasse pas les 3.387 euros par mois.
En Belgique, c’est déjà quelque chose. Alors en Wallonie, autant vous dire que ça dépote. Dans Le Brabant wallon en chiffres (2023), de la Fondation économique et sociale du Brabant wallon, on apprend que le “Béwé” contribue au PIB wallon à hauteur de 20,9%, pour un peu plus de 400.000 habitants, soit environ 11% de la population wallonne. Une population au taux de croissance de 22,1% depuis 1992, là où elle est n’a grandi que de 11,2% dans le reste de la Wallonie. La Jeune Province drainait également 24,4% des investissements wallons en 2022. Et la liste est encore longue. La balance commerciale est largement excédentaire: en 2020, les exportations du BW représentaient 40,1% des exportations wallonnes. Le taux d’emploi ? 74,6%, contre 65,5% en moyenne pour la Région wallonne, selon Statbel (2023). Le taux de chômage ? 5,8% contre 8,2% en Wallonie.
Tout à fait exceptionnel, mais jusque-là, rien de très nouveau. Le miracle économique du Brabant wallon ne date pas d’hier. Mais une étude de la Banque nationale, parue la semaine dernière, témoigne de l’ampleur de ce miracle. On y apprend que depuis au moins 1996, la province du BW est celle qui a connu la plus forte progression de son PIB par habitant parmi toutes les régions de l’Union européenne à 15 Etats membres, soit avant l’élargissement de 2004. “Des gens sont tombés de leur chaise, ici en interne, à la BNB, lors de la présentation de l’étude”, sourit Patrick Bisciari, son auteur.
Comparer ce qui est comparable
Comment comprendre une telle explosion économique ? L’étude porte, “et c’est une première pour la Banque nationale”, spécifiquement sur la Wallonie et ses provinces. “Nous avons voulu comparer la Région wallonne avec des régions à des stades de développement similaires”, précise l’économiste. Ainsi, les régions et provinces sont séparées en trois catégories. Le Brabant wallon fait partie des régions les plus développées d’Europe, car son PIB dépasse les 100% de la moyenne du PIB de l’UE à 27.
En comparant le BW à toutes les autres régions de l’UE, dites NUTS2, soit 242 régions en Europe, de 1996 à 2019, les performances sont déjà très impressionnantes. Mais en réduisant la cible à toutes les régions NUTS2 de l’UE à 15, personne ne fait mieux. Cette comparaison ciblée “est plus pertinente”, argumente Patrick Bisciari, dans la mesure où les régions d’Europe de l’Est ont connu un basculement économique total, en passant d’une économie planifiée à une économie de marché. Ensuite parce qu’elles ont accédé au marché intérieur de l’UE. “Le biais était tout simplement trop important”, ajoute l’économiste de la BNB. Pourquoi 1996 ? “Parce que les données fiables manquent avant cette période.” Et pourquoi 2019 ? “Dans le même ordre d’idées, la pandémie survenue en 2020 est également un fameux biais. Pensez à toutes les régions touristiques qui n’ont pas vu le moindre touriste”, termine l’auteur de l’étude, pour les quelques précisions méthodologiques. Il faut toutefois préciser que les indicateurs économiques les plus récents ont été pris en compte pour comparer la compétitivité, le bien-être et l’innovation de la Région wallonne. Nous y reviendrons.
Louvain-la-Neuve
Entrons maintenant dans le cœur de ce miracle, dont les explications, vous allez le voir, ne sont finalement pas irrationnelles. Le plus gros facteur d’influence date de 1968. Année de l’apparition de l’Université catholique de Louvain, suite à sa scission avec l’actuelle KULeuven. “À partir du moment où l’on part d’un champ de patates et qu’on crée une université, une ville, des entreprises et des activités autour, cela produit fatalement un très haut niveau de croissance”, commente le chercheur.
Sur le plan entrepreneurial, cette richesse économique est toujours très active et porte un nom : LLN Science Park. 230 hectares de terrains où se logent quelque 270 entreprises. On y retrouve des noms bien connus comme IBA (pharma), Odoo (tech), AGC (verre), Zoetis (santé animale) ou encore la partie recherche et développement d’Aerospacelab (aérospatial). Tout ce petit monde représente environ 8.500 emplois. “L’objectif, tout à fait réaliste, est de parvenir à 10.000 emplois d’ici 2025-2026, ce qui coïnciderait avec les 600 ans de l’Université. Un joli clin d’œil”, se réjouit Nicolas Cordier, directeur du parc scientifique.
“Le Science Park va, lui, fêter ses 50 ans. Ce n’est donc pas un épiphénomène ou un coup marketing, ajoute le directeur. On est sur la longueur et c’est une tendance lourde. En plus, on est multisecteurs par notre proximité avec l’Université.” Et forcément, cela attire beaucoup de monde. Le Science Park doit même se montrer sélectif dans le choix des nouveaux arrivants. Les hectares restants sont restreints et donc prisés. De fait, Louvain-la-Neuve, c’est la possibilité d’atteindre 65% du marché européen en quelques heures en voiture. Mais c’est surtout pouvoir compter sur une main-d’œuvre qualifiée à proximité. Une main-d’œuvre dont bénéficie d’ailleurs toute la province et qui est aussi un facteur explicatif.
GSK
Un autre gros facteur d’influence compte seulement trois lettres : GSK. La multinationale pharmaceutique, plus gros employeur en Wallonie, brasse 9.000 emplois. “Et il s’agit d’une entreprise innovante à haute productivité”, ajoute Patrick Bisciari. Cette bonne productivité est d’ailleurs l’apanage du Brabant wallon. Les autres provinces du sud du pays souffrent de cette comparaison, en raison d’un secteur non marchand trop dominant. On retrouve dans la Jeune Province “les gains de productivité par travailleur les plus importants d’Europe”, confirme l’économiste. Depuis 1996, le BW se trouve également dans le top 5 européen de création d’emplois, et dans le top 3, si l’on s’arrête à l’emploi industriel. Solide.
Le troisième facteur explicatif à ne pas négliger est la proximité du Brabant wallon avec Bruxelles. “Des familles plus aisées de la capitale s’y sont installées. Or ces familles se logent, construisent des maisons, font construire des piscines, elles consomment, vont au restaurant, au supermarché, achètent leur voiture.” Et cela booste forcément le PIB, ajoute l’économiste.
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Dernier point, moins connu : le BW performe très bien dans les services financiers aux entreprises, notamment avec la présence de Swift et d’Euroclear, jusqu’en 2019, pour cette dernière.
Et ça continue…
Les exploits du Brabant wallon ne s’arrêtent pas à 2019, justement. Selon les chiffres d’Eurostat de 2022, la province brabançonne figure toujours dans le top 5 des régions NUTS2 à la plus forte croissance par habitant. Seules l’Algarve, Madère, le sud de l’Irlande et les îles baléares font mieux. Or, les trois régions du sud de l’Europe sont justement à nouveau portées par le tourisme tandis que l’Irlande continue de profiter de ses nombreuses multinationales.
Le moment d’évoquer un phénomène relativement récent : la fuite des entreprises bruxelloises vers la Flandre, mais aussi vers la Wallonie et le Brabant wallon. Le dernier exemple en date, et pas des moindres, est Leonidas. Le chocolatier s’est installé dans le zoning nord de Nivelles, mettant fin à 110 ans de présence en Région bruxelloise. Un investissement de 70 millions d’euros y a été consenti pour construire la toute nouvelle usine qui s’étendra sur 30.000 m². En tout, entre 2021 et 2022, la Wallonie a gagné au profit de Bruxelles quelque 822 entreprises. Le prix du foncier et la mobilité expliquent en partie cette mouvance.
“A la Banque Nationale, certains sont tombés de leur chaise.” – Patrick Bisciari, économiste à la BNB
Le reste de la Wallonie en décrochage
Mais de grosses différences subsistent en Wallonie, et le Hainaut, Liège et le Luxembourg ne connaissent pas la même réussite que le BW. L’étude de la BNB montre d’ailleurs que ces provinces sont en décrochage : la croissance de leur PIB par habitant est en deçà de la médiane européenne. La province de Namur “fait un tout petit peu mieux”, ajoute Patrick Bisciari. Elle se situe juste au-dessus de la médiane des NUTS2 d’Europe occidentale.
L’économiste apporte quelques nuances. D’abord, entre 2001 et 2019, aucune région en transition n’est parvenue à se hisser dans la catégorie des économies plus développées, alors que de nombreuses autres ont été dégradées. En d’autres termes, “la stagnation ou le recul relatif n’est pas l’apanage des provinces wallonnes”. En outre, les provinces wallonnes, mais c’est aussi vrai pour le Brabant wallon, sont affectées par le phénomène des navetteurs qui travaillent dans la capitale. Et le même raisonnement vaut pour le Luxembourg dans la province du même nom.
Par rapport aux autres régions d’Europe en transition, la Wallonie dispose toutefois d’atouts. Notamment au niveau de sa compétitivité, écrit la BNB. Grâce à ses infrastructures et sa position géographique, la Région wallonne a accès à un large et riche marché potentiel. Ses entreprises sont également plus développées technologiquement et ses ménages se montrent plus disposés à utiliser les technologies les plus récentes. Autres avantages : la Wallonie est riche de terrains pour accueillir des entreprises et peut compter, pour le moment, sur une population active en progression, contrairement à plus de la moitié des régions en transition. Enfin, la Région wallonne est en avance sur certaines technologies vertes comme le recyclage et la capture de carbone.
Par contre, les points noirs ne surprendront personne. Parmi eux, le marché du travail. Le faible taux d’emploi résulte de “l’inadéquation entre l’offre et la demande de travail”, écrit la BNB. Et au-delà du chômage, la Wallonie compte trop d’inactifs, dont des malades de longue durée. La priorité des priorités selon l’étude ? L’enseignement et la formation.
Le refrain est connu, mais il semble impératif de le répéter. Après tout, les Wallons font face à un risque de pauvreté plus important qu’ailleurs et leur santé est également moins solide. Avec des finances publiques en décrépitude, le monde politique devra se montrer créatif lors de la prochaine législature.
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