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Et si le prix n’était pas un signal, mais l’expression d’un rapport de force ?
La théorie économique dominante, ou mainstream, suppose qu’il existe pour les prix un niveau “objectif” assurant l'”efficience allocative” optimale, autrement dit permettant la satisfaction maximale de l’ensemble des consommateurs.
Pour que les prix aillent se situer au niveau de leur objectivité, il faut que règne sur leur marché spécifique une ” concurrence pure et parfaite ” assurant une symétrie entre vendeurs et acheteurs quant à leur accès à l’information sur le produit ou le service offert (comme si l’acheteur pouvait en savoir autant que le vendeur…, mais passons). Alors, les prix à l’offre ( ask) et à la demande (bid) – qui sont autant de ” signaux ” envoyés par le marché – se rencontreront à leur niveau optimal. Découle de ceci, comme son corollaire, la nécessité pour les Etats de mettre en place les conditions de cette concurrence pure et parfaite, d’entretenir celle-ci et de s’abstenir de toute autre intervention – qui ne pourrait être qu’une interférence nocive – comme, par exemple, favoriser telle ou telle catégorie d’acheteur ou de vendeur, ou encore fixer les prix en fonction de telle ou telle considération relative à l’harmonie dans l’édifice social.
Mais qu’en serait-il si cette représentation du prix objectif n’était qu’un fantasme et qu’un autre modèle de la formation des prix rendait bien mieux compte de la réalité économique ? Et quel meilleur candidat pour cet autre modèle que celui qu’avait offert en son temps Aristote ? Dans un ouvrage passé ( Le prix, 2010), je pointais que le philosophe grec affirmait que les prix (et aussi les taux financiers) se déterminent en fonction du rapport de force entre vendeur et acheteur (ou le cas échéant, entre prêteur et emprunteur) de telle sorte que le montant de la transaction assure que l’ordre sociétal, stratifié, se maintienne tel quel. Une fois la transaction intervenue, le riche demeure aussi riche qu’il l’était, et le pauvre aussi pauvre qu’avant. Le fameux rapport entre l’offre et la demande ne constituerait alors que l’un des éléments constitutifs de ce rapport de force, comme l’entendait déjà Adam Smith (1723 – 1790), pour qui ce rapport n’avait comme seul pouvoir que de faire osciller le prix autour de son niveau naturel, constitué de la somme des coûts, selon l’économiste écossais.
Aristote affirmait que les prix se déterminent de telle sorte que le montant de la transaction assure que l’ordre sociétal, stratifié, se maintienne tel quel.
Si tel devait être le cas, il n’existerait aucun devoir pour quiconque d’assurer coûte que coûte une quelconque ” objectivité ” des prix. Et les interventions de l’Etat sur les marchés seraient parfaitement légitimes. Elles viseraient, par exemple, à modifier délibérément un rapport de force devenu trop inégal entre vendeur et acheteur (ou entre prêteur et emprunteur) pour rétablir un équilibre sociétal là où une concentration excessive de la richesse grippe le système économique, les fortunes en excès ne trouvant plus à s’investir dans l’économie, faute de demande suffisante d’une population dont le pouvoir d’achat s’est anémié, ces fortunes tournant à vide allant alors alimenter une spéculation, source de bulles financières, facteurs elles-mêmes de risque systémique.
On aura reconnu dans ce bref exposé des implications de l’antique modèle aristotélicien de la formation des prix, le portrait d’une approche familière, bien qu’aujourd’hui injustement négligée, et ceci à notre propre péril si l’on pense à la nécessité pour nos dirigeants de minimiser chez nous le ressentiment global des citoyens. J’ai nommé, bien entendu, le keynésianisme ( Penser tout haut l’économie avec Keynes, 2015).
Alors que le climat se détériore et qu’ultralibéralisme et populisme – en alternance de gouvernement et d’opposition en Europe – se complaisent à jeter de l’huile sur le feu, s’alimentant réciproquement dans un affrontement mortifère car destructeur à la fois du tissu sociétal et des principes démocratiques qui nous sont chers, ne serait-il pas impératif de revenir au plus vite à cette manière d’envisager les questions économiques et financières ?
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