En politique, les technocrates ne sont pas la panacée

Paul Van Tigchelt
Avec Paul Van Tigchelt (Open Vld), un septième ministre non élu a pris ses fonctions dans le gouvernement De Croo. © Belga
Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Pour de nombreuses raisons, le gouvernement fédéral d’Alenxander De Croo est composé de ministres qui n’ont pas été élus, mais dont l’image est celle d’un technocrate ou d’un expert. Par le passé, plusieurs demandes avaient été faites afin de mettre sur pied un cabinet d’experts dont l’objectif était de relever efficacement les défis sociétaux et socio-économiques. Mais les technocrates se heurtent eux aussi à la primauté du politique.

Avec Paul Van Tigchelt (Open Vld), un septième ministre non élu a pris ses fonctions dans le gouvernement De Croo cette semaine. Les sceptiques y voient le symptôme d’un déficit démocratique. Mais d’un autre côté, ces personnes, qui n’ont pas été élues, sont souvent des experts dans leur domaine. Par le passé, plusieurs appels ont été lancés en faveur d’un gouvernement technocratique, capable d’assurer la mise en œuvre de véritables réformes pour la Belgique. Ce sont aussi des personnes qui, comme elles n’ont pas besoin d’être réélues, peuvent prendre des décisions impopulaires. Comme l’assainissement des finances publiques, une vraie réforme des pensions, ou encore un gouvernement qui revient à ses fonctions essentielles, comme la sécurité.

Si c’est le cas, le gouvernement De Croo ne peut pas se tromper. Les technocrates qui y sont présents sont l’ex-magistrat Van Tigchelt, Annelies Verlinden (Intérieur, CD&V) qui a exercé comme avocate, et Nicole de Moor (Asile et Migration, CD&V) qui a été chef de cabinet. On peut y ajouter le secrétaire d’Etat à la Relance Thomas Dermine (PS). Il a dirigé le service d’études du PS et est un ancien de McKinsey.

Ils pourraient donc, en théorie, bâtir des politiques à partir de leurs manuels académiques. En théorie, car la pratique démontre que les technocrates au gouvernement sont loin d’être une réussite. Pour la simple raison qu’il reste la primauté de la politique, renforcée par le pouvoir des partis. Il est loin le temps où l’on partait du postulat que “le roi nomme et révoque les ministres” lors de la formation d’un gouvernement. Aujourd’hui, ce sont les présidents de parti qui décident et ce sont eux aussi qui adoubent un ministre à exposer sa politique, même s’il est technocrate. Cela se fait sur base d’un accord de coalition, obtenu après des négociations et des compromis difficiles. Les présidents de parti jouent les premiers rôles, car c’est ainsi que cela se passe dans une particratie.

Aucun exemple de réussite

Un gouvernement technocratique n’est pas la panacée. Il peut tout au plus fonctionner dans une démocratie parlementaire, où le pouvoir des partis est limité. Dans ce cas, le roi peut en effet nommer des experts et des technocrates comme ministres, et à eux de prendre les décisions difficiles. Ils sont alors sous le contrôle du parlement. Mais ce cas de figure n’est plus possible en 2023, car les députés obtiennent eux aussi leur siège grâce aux présidents de leurs partis.

L’histoire de la Belgique a montré qu’il y a déjà eu des technocrates nommés ministres dans les périodes de crise majeure, mais ces nominations n’ont jamais été un succès. Revenons quarante ans en arrière. En 1981, l’économie belge est au point mort. Les deux crises pétrolières, les récessions et l’inflation élevée avaient alors porté le déficit budgétaire à environ 14 % du produit intérieur brut (PIB). La compétitivité des entreprises s’était considérablement affaiblie. Le franc belge était sous pression. L’éphémère gouvernement dirigé par Mark Eyskens a tenté d’inverser la tendance. Il y est parvenu en partie en nommant Robert Vandeputte, ancien gouverneur de la Banque Nationale, au poste de ministre des Finances. Son expertise devait permettre de mettre un terme à la spéculation sauvage sur le franc belge. Cela n’a fonctionné que brièvement. Le gouvernement Eyskens s’enfonça dans les querelles, dont le point culminant fut les grèves des ministres du PS. Le franc belge s’affaiblit encore… Vandeputte a exprimé ses frustrations de cette époque dans le livre « Un ministre impuissant ».

La même chose est arrivée à Mieke Offeciers, brièvement ministre du Budget en 1992-1993, au sein du gouvernement Dehaene I. Elle venait de l’organisation patronale flamande Vlaams Ekonomisch Verbond (VEV).

Seule la pression extérieure peut aider

Après cette période sombre début des années 1980, l’économie belge s’est remise sur les rails et, une bonne décennie plus tard, notre pays a réussi l’examen d’entrée dans l’Union monétaire européenne. Cette entrée n’est pas due au mérite des technocrates du gouvernement, mais est le résultat d’une pression extérieure. En 1981-82, l’Allemagne en avait assez de soutenir le franc belge par la vente de marks allemands, une dévaluation avec sauts d’index et politique de relance était donc inévitable. Dans les années 1990, la Commission européenne a surveillé de près la Belgique, qui devait réduire suffisamment son déficit budgétaire pour rejoindre la zone euro.

Si, après les élections de 2024, quelques extra-parlementaires ou experts entrent à nouveau au gouvernement, leur liberté de mouvement sera déterminée par deux facteurs. D’une part, la volonté des présidents de partis et, d’autre part, les mises en garde des institutions internationales, comme le FMI, qui a récemment pointé du doigt notre pays.

A cela s’ajoute la pression de la Commission européenne pour, entre autres, assainir enfin nos finances publiques et mettre en œuvre des réformes sur le marché du travail et les pensions. Dans le cas contraire, la Belgique risque de s’asseoir le banc des accusés européen. Sans parler de la hausse potentielle des taux d’intérêt sur les emprunts belges d’État. Le prochain gouvernement interviendra alors. Et pour cela, des ministres technocrates ne sont même pas nécessaires.

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