Du sang, des larmes et de la solidarité gouvernementale: le prochain budget wallon s’annonce compliqué

Pierre-Yves Jeholet est prêt à prendre des mesures courageuses. © FREDERIC SIRAKOWSKI

L’exercice budgétaire à venir sera corsé pour le gouvernement wallon. Le ministre libéral de l’Économie ne le cache pas : il faudra s’attaquer à des tabous, dont les aides à l’embauche. La solidarité au sein de la majorité avec les Engagés sera cruciale.

La Wallonie ne sera “plus un Mister Cash”. Le slogan lancé en début de législature par Pierre-Yves Jeholet (MR), ministre wallon de l’Économie, reste “plus que jamais d’actualité”, avoue-t-il, dans l’entretien qu’il nous a accordé. Le libéral ne s’en cache pas : les temps sont durs et risquent de l’être davantage encore. L’exécutif présidé par son collègue Adrien Dolimont n’a pas encore entamé le plus dur. La poursuite des politiques de non-réindexation des salaires, notamment, fera mal. “Nous devrons assumer collégialement les décisions difficiles ensemble”, insiste le libéral.

Le premier budget wallon n’était, au fond, qu’une amorce de ce qui va arriver. Le conclave à venir cet automne s’annonce très douloureux. “Nous avons déjà une trajectoire rigoureuse à respecter et les indicateurs macroéconomiques ne sont pas à la hauteur, confie Pierre-Yves Jeholet. La première chose sera de faire le calcul pour la corriger. Le fédéral veut anticiper la réforme fiscale, ce qui peut avoir un impact sur les Régions. Et je ne parle même pas des demandes nouvelles de certains ministres. De mon coté, je sais déjà qu’un effort devra être fait sur les aides à l’emploi.” Il est question de 200 millions d’ici la fin de la législature. L’ensemble du dispositif concerne un montant de 3 milliards.

La fin des effets d’aubaine

L’homme est prêt à prendre des mesures courageuses. “Au niveau des aides à l’emploi, il y a trop de dispositifs compliqués avec trop d’effets d’aubaine, insiste-t-il. Des entreprises peuvent engager un ingénieur dont elles ont vraiment besoin, tout en étant soutenues financièrement. Un des enjeux de cette année consistera à accompagner les demandeurs d’emploi pour réussir la remise au travail des personnes exclues du chômage.”

Des réunions de travail ont eu lieu avec les organisations patronales, AKT et UCM, pour avancer en ce sens. Voilà la priorité. “On va revoir certains dispositifs, dit le ministre. Les chèques-entreprises, par exemple : il y a 200 prestataires pour 400 aides. Vous imaginez le travail que cela représente pour l’administration ? Voilà pourquoi j’ai décidé d’un moratoire lors du dernier gouvernement. On a créé un système qui nourrit la consultance.”

“Un des enjeux de cette année consistera à accompagner les demandeurs d’emploi pour réussir la remise au travail des personnes exclues du chômage.” – Pierre-Yves Jeholet, ministre wallon de l’Économie

Un dossier judiciaire est ouvert en ce qui concerne l’aide à la formation, prolonge le ministre. Pas moins de 257 entreprises wallonnes sont dans le viseur de l’inspection sociale pour une vaste fraude aux subsides, au détriment du Forem. Elle pourrait se monter à pas moins de 22 millions d’euros. “On verra bien ce que cela donne. Mais de trop nombreux effets d’aubaine ont vu le jour. Si nous voulons réussir, il faut y mettre fin.”

L’écosystème de la formation sera au cœur des réformes à mener. “Nous avons plus de 250 Agences locales pour l’emploi, 153 Centres d’insertion socioprofessionnelle, plus de 70 Maisons pour l’emploi, 35 Régies de quartiers… Cela ne va pas. La Wallonie tourne sur base des structures. On me prévient du risque de licenciements si l’on restructure. Mais ces structures ne sont pas une fin en soi : ce qui compte, c’est l’objectif de réinsertion socioprofessionnelle que l’on se fixe. Il faut une offre de formation plus globalisée.” Plus en phase avec les besoins du marché du travail, aussi : numérique, métiers en pénurie…

Aider les personnes à grandir

Pierre-Yves Jeholet dit aimer cette formule : “il faut aider les personnes à grandir dans leur parcours”. “Avec la réforme du chômage, il y aura des personnes qui ne sont pas employables directement, même avec les aides à l’embauche, dit-il. On devra les envoyer vers un opérateur qui est le mieux à même à s’occuper d’elles. Ce ne sera pas la tâche du Forem. C’est bien pour cela que nous avons l’intention de mettre en place un dossier unique pour tout demandeur d’emploi.” La place de l’IFAPME sera également à repenser, en tenant compte de sa spécificité précieuse pour l’alternance.

La Wallonie, dans un contexte budgétaire dantesque, se retrouve face à la montagne de l’accompagnement des non-actifs. C’est l’épreuve de vérité. Ça l’est d’autant plus que les résistances sont nombreuses face à ce qui s’apparente à une double révolution culturelle.

Rationaliser, c’est impératif, au sens large. Le paysage de l’innovation, des pôles de compétitivité ou des centres de recherche va être également être revu et corrigé. “Nous sommes bons dans l’innovation, nous y consacrons pas mal de moyens, mais au fur et à mesure, nous avons été redondants dans pas mal de choses.”
Il est temps d’agir. Le moment est là.

“Solidaires dans les décisions”

Au sein de la majorité, la solidarité avec les Engagés risque d’être mise à rude épreuve. Ce sera vrai tant en Région wallonne qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles. “J’ai toujours dit que cela ne sert pas à grand-chose de pinailler sur l’aide à la jeunesse, explique notamment Pierre-Yves Jeholet. Les masses globales se situent du côté de l’enseignement et des salaires. Est-ce que notre enseignement est sous-financé depuis des années ? Non ! Il l’est davantage que dans de nombreuses régions d’Europe, avec de moins bons résultats. C’est cela la réalité. Il faut avoir le courage de parler des détachements, des fins de carrière… La qualité de l’enseignement, c’est la clé de tout !”

L’ambiance de travail est “honnêtement très bonne” avec le partenaire, insiste le ministre régional. “Mais nous allons vivre des moments difficiles et nous devons être solidaires dans les décisions. Nous ne faisons pas cela par plaisir. Les programmes de majorité sont clairs et ne doivent pas être interprétés à géométrie variable.” Le positionnement plus fort d’Yvan Verougstraete, président des Engagés, sur le social et le climat ? “À la fin, ce n’est pas le bruit qui compte, ce sont les actes !”

La “révolution wallonne dans les mentalités” doit se poursuivre et nécessitera plus que jamais du courage politique partagé. “Nous devons viser l’efficacité et utiliser au mieux l’argent public”, insiste Jeholet. La Wallonie n’est plus un Mister Cash, refrain connu. De là à savoir si cela suffira à provoquer le redressement… “Nous devons en permanence analyser si les résultats sont à la hauteur de l’argent investi. Aujourd’hui, la réponse est négative. Les réformes que nous initions, cela fait 20 ans que nous aurions dû les faire.”

Faute avouée, à moitié pardonnée. À moins que ce ne soit la faute du PS au pouvoir pendant trop longtemps, autre refrain libéral connu.

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