Après la réforme du chômage, le ministre David Clarinval (MR) planche sur la deuxième pièce du grand puzzle de l’Arizona sur l’emploi : la modernisation du droit du travail. Une autre “révolution libérale” qui vise à flexibiliser le marché du travail. Toute la question est de savoir s’il s’agira d’une flexibilité choisie ou contrainte.
Si la limitation dans le temps des allocations de chômage a monopolisé l’attention médiatique, la modernisation du droit du travail, quelque peu passée sous les radars, n’en est pas moins importante. Elle touchera très concrètement les entreprises et fera l’objet, à n’en pas douter, de nombreuses critiques des syndicats.
La réforme “est en cours de finalisation”, indique-t-on au cabinet du ministre de l’Emploi, David Clarinval. Elle pourrait être présentée “dans les prochains jours”. Le but est de toute façon d’aboutir avant les vacances parlementaires, à l’été, pour une implémentation dès janvier prochain, en même temps que la réforme du chômage. “C’est en tout cas l’objectif”, précise-t-on.
Au menu, pas de grandes surprises: tout figurait dans l’accord de gouvernement. Il s’agit notamment de la limitation du préavis à 52 semaines, du retour de la période d’essai, de l’annualisation du temps de travail, de l’augmentation du quota d’heures supplémentaires sur base volontaire ou encore de la généralisation des flexi-jobs à tous les secteurs. Sur base de ce que l’on sait déjà, nous avons parcouru l’accord de gouvernement avec trois expertes RH : Valérie t’Serstevens de SD Worx, Marta Sequeira Pereira de Securex et Catherine Mairy de Partena.
1. Le plafonnement du préavis
Le préavis de licenciement, bien qu’il soit rarement presté jusqu’au bout, permet au travailleur licencié de se retourner, en cherchant un autre emploi. Ce préavis sert aussi à calculer le montant de l’indemnité de licenciement. Jusqu’ici, deux systèmes cohabitaient : un calcul en mois (avant 2014) et un calcul en semaines (après 2014), tous deux indexés sur l’ancienneté, sans plafond.
C’est le système post-2014 que l’Arizona compte plafonner à 52 semaines. Pour, dit-elle, “parvenir à un meilleur équilibre entre une protection sociale de qualité et un climat d’investissement attractif”. Mais la mesure s’appliquerait seulement aux nouveaux contrats. C’est en tout cas ce que précise l’accord de gouvernement. Une précision essentielle, souligne Catherine Mairy : “Pour atteindre les 52 semaines, il faut entre 16 et 17 ans d’ancienneté. Son effet ne sera donc réel que vers 2043.”
Un impact à long terme donc, et plutôt modeste dans les faits. Car la tendance du marché de l’emploi n’est clairement plus aux carrières longues au sein de la même entreprise. “On constate que les générations actuelles sont plus volatiles, changent plus facilement d’employeur. Et si on change après 15 ans à chaque fois, on n’atteint jamais ces 17 ans, et donc on n’est jamais plafonné”, ajoute Valérie t’Serstevens.
Quel intérêt alors ? “C’est une mesure qui envoie un signal, pas une transformation massive, mais elle rassure les employeurs, explique Marta Sequeira Pereira. Un employeur saura que le coût maximal d’un licenciement sera de 52 semaines. Cela permet de mieux budgétiser.” Elle estime en outre que la mesure “n’est pas déraisonnable” et s’inscrit dans une convergence européenne : “En Allemagne, pour 20 ans d’ancienneté, on est à sept mois de préavis.”
“Pour atteindre les 52 semaines, il faut entre 16 et 17 ans d’ancienneté. Son effet ne sera donc réel que vers 2043.” – Catherine Mairy (Partena)
2. Le retour de la période d’essai
Autre mesure emblématique de la réforme : la réintroduction de la période d’essai. Supprimée lors de l’harmonisation statutaire de 2014, elle pourrait refaire surface sous une forme simplifiée : durant les six premiers mois, employeurs et travailleurs pourront rompre le contrat moyennant un préavis d’une semaine, sans devoir motiver la décision.
“Cela permet de sécuriser les débuts de collaboration, notamment dans les PME, où chaque engagement représente un risque important. Le préavis raccourci offre de la souplesse, sans pour autant supprimer toute protection”, juge Valérie t’Serstevens. Elle rappelle cependant qu’il existe déjà, dans la pratique, une tolérance permettant aux employeurs de licencier sans motif explicite pendant les six premiers mois – à condition de payer l’indemnité légale, qui est souvent de cinq à six semaines de préavis, au bout des six mois.
Cette souplesse favoriserait donc les engagements, mais irait également dans les deux sens, nuance Marta Sequeira Pereira : “Pour le travailleur, c’est l’occasion de vérifier qu’il ne va pas se retrouver pieds et poings liés dans une fonction qui ne lui convient pas. Aujourd’hui, si vous avez passé la moitié d’un CDD et que vous vous rendez compte que ça ne vous convient pas, vous devez rester jusqu’au bout.”
Catherine Mairy insiste de son côté sur la nécessité d’apporter des précisions : “Le dispositif reste flou. S’appliquera-t-il aux CDD ? À tous les statuts ? L’employeur sera-t-il libre d’y recourir ou sera-ce obligatoire dans tous les contrats ?” Elle attire aussi l’attention sur les secteurs à haute rotation ou à contrats courts, comme le non-marchand, où cette période d’essai pourrait devenir problématique.
3. Les horaires en accordéon
Le gouvernement propose d’introduire un nouveau système d’annualisation du temps de travail, permettant une répartition flexible des heures sur l’année. Ce dispositif, surnommé “horaires en accordéon”, permettrait aux travailleurs de prester plus d’heures pendant les périodes de forte activité et moins lors des périodes creuses, tout en conservant une rémunération stable. “Cette annualisation sera mise en place sous réserve de l’accord des employés concernés, sans perte de pouvoir d’achat et avec le choix libre entre récupération du temps de travail ou paiement”, précise l’accord de gouvernement.
“L’annualisation existe déjà dans certaines commissions paritaires. La nouveauté, c’est de l’étendre à tout le monde”, explique Marta Sequeira Pereira. Mais les contours de cette extension doivent aussi être précisés. Avec plusieurs risques que repèrent nos interlocutrices.
D’abord, il faudra voir si cette réforme s’accompagnera d’une hausse du nombre maximum d’heures prestées par semaine. Ensuite, il y a un risque de voir une individualisation des horaires – avec ses complications en termes de gestion du personnel. À cet égard, Valérie t’Serstevens alerte sur la perte potentielle d’influence syndicale : “Cette individualisation coupe l’herbe sous le pied des représentants des travailleurs. Si ça passe tel quel, cela fragilise le cadre collectif.”
Catherine Mairy a un avis différent et estime que “l’annualisation devra être prévue dans le règlement de travail, et donc faire l’objet d’une négociation avec les syndicats”.
Dans tous les cas, Marta Sequeira Pereira pense que cette annualisation du temps de travail “va créer un monde à deux vitesses : ceux qui acceptent l’annualisation, et ceux qui gardent leur horaire fixe”.
“L’annualisation du temps de travail existe déjà dans certaines commissions paritaires. La nouveauté, c’est de l’étendre à tout le monde.” – Marta Sequeira Pereira (Securex)
4. L’assouplissement des heures supplémentaires
Ce monde du travail à deux vitesses, on le retrouvera également dans la possibilité d’effectuer davantage d’heures supplémentaires. Avec la réforme, le quota d’heures supplémentaires volontaires sera porté à 360 heures par an, dont 240 heures exonérées de cotisations sociales et fiscales, rendant le brut équivalent au net. Pour l’horeca, le total grimpe même à 450 heures.
Cette mesure est présentée comme un levier de pouvoir d’achat pour les salariés, et une solution de flexibilité opérationnelle pour les employeurs. “Les 240 heures nettes sont très attractives, confirme Marta Sequeira Pereira. C’est un moyen concret de répondre aux revendications syndicales sur le pouvoir d’achat, tout en laissant le choix au travailleur”, ajoute-t-elle.
Mais ce “volontariat” peut-il toujours l’être ? En théorie, le salarié peut refuser sans conséquences. En pratique, des pressions peuvent exister, mettent en garde Valérie t’Serstevens et Catherine Mairy. Le dispositif reposera là encore sur un accord écrit bilatéral, qui pourra être résilié à tout moment, précise l’accord de gouvernement. Il introduit néanmoins une segmentation plus marquée entre ceux qui acceptent la flexibilité et ceux qui la refusent. Entre ceux qui veulent augmenter leur pouvoir d’achat et ceux qui ne le souhaitent pas.
5. Flexi-jobs généralisés
La réforme prévoit d’étendre les flexi-jobs à tous les secteurs, tout en permettant à chacun d’eux d’activer une clause de retrait via une convention collective. “Tous les secteurs sont concernés, mais chaque secteur pourra faire jouer son option de retrait”, précise Valérie t’Serstevens. Cette ouverture vise à pallier les pénuries de main-d’œuvre dans des domaines comme l’enseignement, la culture ou l’accueil, en élargissant l’accès à ces formes d’emploi assouplies.
Parmi les nouveautés, figure aussi la possibilité pour un salarié à temps plein de travailler dans une entreprise liée. Comme le souligne Marta Sequeira Pereira : “Aujourd’hui, c’est interdit. Mais avec la réforme, cette interdiction sauterait. Si j’ai envie d’augmenter mes revenus chaque mois, je pourrai faire un flexi-job dans une entreprise liée à mon employeur principal.”
Sur le plan économique, certaines inquiétudes émergent. Valérie t’Serstevens note par exemple qu’entre “engager un étudiant avec une cotisation réduite et engager quelqu’un avec un taux plein, le choix peut être vite fait. Cela pourrait être considéré comme une concurrence déloyale”.
“Tous les secteurs sont concernés par la réforme des flexi-jobs, mais chaque secteur pourra faire jouer son option de retrait.” – Valérie t’Serstevens (SD Worx)
6. Les autres mesures
Outre ces mesures phares, l’accord de gouvernement comprend plusieurs réformes structurelles. D’abord, la suppression du seuil minimal d’un tiers temps pour les contrats à temps partiel offrira davantage de flexibilité, notamment dans les secteurs à horaires très variables. Le minimum de trois heures par prestation est toutefois maintenu. Autre changement marquant : la réduction de la protection pour les candidats non élus aux élections sociales, qui passe de deux ans à six mois. Une mesure sensible qui pourrait là aussi alerter les syndicats.
Le travail étudiant est également élargi : le plafond passe à 650 heures par an, avec un abaissement de l’âge minimum à 15 ans.
Enfin, le gouvernement veut relancer l’unification statutaire entre ouvriers et employés, et encadrer plus strictement certaines pratiques intérimaires, comme les clauses de non-engagement et les contrats journaliers répétés.
En conclusion, si les objectifs de la réforme sont clairement énoncés, sa mise en œuvre concrète reste à baliser, tant sur le plan législatif qu’au travers de la concertation sociale. Pour être crédible, la majorité Arizona devra démontrer que cette modernisation ne se résume pas à une flexibilité imposée, mais qu’elle ouvre la voie à une flexibilité réellement choisie. Une souplesse qui permettra aux travailleurs d’adapter leur rythme, de diversifier leur parcours ou d’améliorer leurs revenus, sans pour autant fragiliser leurs droits sociaux.