D’où vient cette impression de perte de pouvoir d’achat?

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

La Banque nationale essaie d’expliquer ce ressenti négatif, pointant les prix de l’alimentation et la politique du logement.

Les perspectives économiques de la Banque nationale publiées voici quelques jours sont sans surprise : l’économie belge continuerait de croître à un rythme trimestriel proche de 0,3 %, avec une légère accélération à partir de 2026. La croissance annuelle serait donc de 1,2 % cette année, ainsi que l’an prochain, et accélérerait légèrement pour atteindre 1,4 % en 2026. Quant à l’inflation, elle reviendrait dans les clous : elle afficherait encore 3,9% cette année, mais décélèrerait ensuite, pour atteindre 2,4% l’an prochain et même tomber à 1,2% en 2026 et 90.000 emplois seraient créés en trois ans.

La BNB révèle toutefois quelques éléments plus inattendus qui touchent au pouvoir d’achat. En soi, le pouvoir d’achat des Belges ne se porte pas trop mal, si l’on excepte l’année noire 2022, au cours de laquelle il a baissé de 2,7%. Il a rebondi de 2,7% en 2023 et devrait continuer à croître chaque année en moyenne de 1,2% d’ici à 2026, porté par l’indexation automatique des salaires et la hausse des taux qui soutient les revenus de l’épargne.

Pourtant, le ressenti des gens est très différent.

Le prix du caddie

“Nous avons du mal à expliquer que l’inflation diminue rapidement. Les gens nous répondent que ce n’est pas vrai. Ils prennent souvent comme exemple le prix, qui reste très élevé, des produits qu’ils achètent au supermarché”, avoue Geert Langenus, macro- économiste auprès de la BNB.

Première observation, “il y a une confusion entre la hausse des prix, donc l’inflation, et le niveau des prix (est-ce cher ou pas ?)”, poursuit-il. Mais il y a autre chose qui explique que ce ressenti est justifié. “Lorsque l’on regarde les prix alimentaires, les gens ont raison, ajoute-t-il. Les prix de l’énergie avaient connu une hausse, puis une baisse. Mais ce qui se passe au niveau des prix alimentaires est différent. Ils ont aussi augmenté de manière substantielle à partir du début de 2022, et ils n’ont pas baissé ensuite. Ils ne sont pas redescendus à un niveau que nous pourrions qualifier de normal. Nous pensons que cette augmentation jusqu’à 2026 va perdurer.”

Une des raisons – pas la seule – de cette pression sur les prix alimentaires est le changement climatique. “Nos prévisions à deux ou trois ans ne prennent en général pas beaucoup en considération l’impact climatique. Cependant, dans l’alimentation, il y a peut-être quand même un impact, parce qu’avec le réchauffement, il y a une plus grande probabilité que certaines récoltes soient moins bonnes qu’attendu. L’offre diminue et les prix augmentent. On voit aussi que l’inflation, surtout pour les produits alimentaires transformés, n’est jamais devenue négative et ne va pas devenir négative selon nous, dans le futur”, ajoute Geert Langenus. Certains mettent en avant l’impact du prix de l’énergie et l’augmentation des marges des entreprises pour expliquer cette tension sur les prix alimentaires.

“Le prix du caddie va continuer à augmenter, résume Geert Langenus. Ce n’est évidemment pas l’inflation totale. On n’achète pas tout au Delhaize ou au Carrefour, mais c’est peut-être ce qui psychologiquement détermine l’inflation ressentie.”

Le logement, grand oublié du politique

Une autre raison pour laquelle la population a le sentiment de perdre du pouvoir d’achat touche au logement. “Dans nos démocraties, l’idée vit maintenant que la génération qui vient va moins bien vivre, et aura un pouvoir d’achat moindre que la génération précédente, souligne le gouverneur de la Banque nationale Pierre Wunsch. En soi, c’est une idée fausse. On voit que le pouvoir d’achat de la population continue de monter”.

Une des raisons de ce sentiment de déclassement, qui n’est pas propre à la Belgique, “est que les gens ont l’impression que l’accès au logement sera plus difficile, poursuit Pierre Wunsch. Et là, on peut s’interroger : comment se fait-il que l’accès au logement d’une génération à l’autre soit moins aisé alors que nous avons une dynamique démographique qui est relativement faible – il n’y a pas de forte croissance de la population comme dans les années 1960 – et que cela fait 2.000 ans que nous construisons des logements. Il n’y a pas de raison qu’il y ait beaucoup plus de difficultés à construire des logements aujourd’hui que hier. C’est quelque chose qui vit énormément auprès de la population et il n’y a pas un débat structuré et riche pour se demander si nous avons vraiment fait les bons choix en la matière.”

Certes, il y a des considérations objectives qui explique le phénomène : le nombre plus important de ménages monoparentaux ou unipersonnel qui pèse sur la demande, les taux hypothécaires qui remontent, le niveau plus élevé des prix des matériaux de construction et des salaires. Mais les politiques pourraient actionner certains leviers, et ils ne le font pas.

Décarboner n’est pas seulement isoler

Pierre Wunsch, pour ne froisser aucune susceptibilité régionale, prend l’exemple de Francfort où, pour se loger, un ménage doit désormais dépenser 15.000 euros par mètre carré. C’est bien plus élevé que le prix de construction d’un logement. “Or, cela ne coûte pas cinq fois plus cher de construire à Francfort qu’ailleurs. C’est la conséquence d’un choix politique, souligne Pierre Wunsch. Ce prix élevé du logement à avoir avec l’aménagement du territoire, ainsi que, un peu plus à la marge, la réglementation en matière d’isolation.”

Depuis pas mal de temps, la BNB se demande si la direction que nous prenons pour limiter les émissions carbone des logements est la bonne. En gros, il y a deux moyens, complémentaires, pour arriver à l’objectif de la neutralité carbone. On peut décarboner l’énergie employée pour se chauffer. Et l’on peut isoler son logement pour réduire la nécessité de se chauffer.

Or, soulignait la BNB dans son dernier rapport annuel, “les politiques actuelles destinées à décarboner les logements en Belgique sont fortement axées sur la réduction de la demande de chauffage au travers de mesures ciblant l’efficacité énergétique”. On met le paquet sur l’isolation. En chiffres, cela donne 185.000 logements à isoler d’ici à 2050, soit un investissement de 350 milliards d’euros. C’est un peu trop ambitieux, et c’est très cher, ajoute la BNB.

Cela ne signifie pas qu’il ne faille plus isoler son logement. Cela signifie que l’on peut peut-être mettre un peu plus l’accent sur la décarbonation des systèmes de chauffages, et lever un peu le pied sur l’isolation. “Modifier le dosage des politiques en accordant une plus grande importance à la décarbonation du chauffage serait de nature à augmenter le rapport coût-efficacité et la rapidité de la transition climatique”, soulignait déjà la BNB dans son rapport annuel 2023.

“Concentrons-nous sur l’objectif, et non pas sur la manière, souligne Pierre Wunsch. La manière qui serait d’imposer un label A partout est potentiellement une solution chère. Elle est adéquate pour les nouvelles constructions, mais moins pour les anciennes.”

Offre et demande

Un autre problème concernant l’accessibilité au logement est le déséquilibre entre l’offre et la demande. “Il y a une volonté de concentrer le logement dans les villes à des fins de mobilité notamment. Mais si vous limitez la surface où il est possible de construire de nouveaux logements, cela a naturellement un impact, et c’est un choix politique”, poursuit le gouverneur de la BNB.

Pour maintenir les prix, et donc l’accessibilité au logement, sous contrôle, il faut augmenter l’offre, abonde Geert Langenus. “Vous pouvez, comme au Danemark, avoir des pouvoirs publics très actifs sur le marché du logement, dit-il. Vous pouvez aussi vous en remettre au secteur privé, mais alors vous allez voir en quoi la réglementation limite l’offre de logement et déréguler.” Les réglementations concernant la transition énergétique et la densification de logements ont un impact direct. “Le nombre de permis de bâtir délivrés est en baisse, ce n’est pas parce qu’il y a moins de demandes, mais parce qu’il y a relativement davantage de permis rejetés”, ajoute Geert Langenus.

Cette question de la cherté du logement “est une des raisons pour lesquelles les gens ont l’impression d’une perte de pouvoir d’achat, insiste Pierre Wunsch. A un moment donné, il faut s’interroger: voulons-nous sciemment amener le prix d’un logement à un niveau qui est substantiellement plus élevé que le prix de construction? Car la différence entre les deux, c’est le résultat d’une politique.”

“Il y a de nombreuses choses que le politique ne contrôle pas et où il est obligé de faire parfois semblant d’agir. Mais ici, c’est un domaine qui vit très fort chez les gens et où la politique a vraiment un effet important. Or, il n’y a pas vraiment de débat”, regrette-t-il.

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Voulons-nous sciemment amener le prix d’un logement à un niveau qui est substantiellement plus élevé que 
le prix de construction ?” – Pierre Wunsch, gouverneur de la BNB

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